jeudi 24 décembre 2009

Notes sur la fonction des "alertes" à Cochon sur Terre

Pendant la seconde guerre mondiale de très nombreuses ville furent soumises à des alertes aériennes pendant des mois, voire des années; chaque jour où presque les sirènes se mettaient à hurler pour indiquer aux habitants infortunés de ces cités qu’ils devaient se précipiter dans le premier abri venu afin de se protéger des bombes. Et tandis que les explosions se succédaient à un rythme d’enfer au-dessus de leur tête, chacun se demandait probablement avec angoisse ce qui resterait de son habitation une fois le bombardement terminé, s’ils retrouveraient leurs proches en vie où dans un sac plastique; où si on retrouverait quoi que ce soit tout court.

A cette époque une alerte c’était quelque-chose de sérieux; une sirène qui se mettait à retentir n’était pas à prendre à la légère car tout le monde savait ce que cela signifiait: danger de mort. Les mots avaient encore un sens car ils n’avaient pas été déformé par un usage abusif les privant de leur substance. Les mots n’étaient pas encore vides, sans signification réelle, galvaudés par les médias et leurs complices, assassinés par les gouvernants et les utilisateurs des dits «moyens de communication». A cette époque le mot «alerte» correspondait à ce qu’il prétendait recouvrir. C’était il y a bien longtemps.


De nos jours, si un habitant d’une autre planète débarquait à Cochon sur Terre il verrait un étrange spectacle. Il aurait le loisir de découvrir une société en bout de course, terrorisée, où pour être plus exact auto-terrorisée; mais pour être encore plus proche de l’irréalité de Cochon sur Terre, cet extra-terrestre pourrait se rendre compte rapidement que cet auto-terrorisme, loin d’être subi à contre coeur, est au contraire devenu le mode de fonctionnement de Cochon sur Terre. L’auto-terrorisme où se terroriser soi-même, où encore jouer à se faire peur à la différence près qu’à Cochon sur Terre on ne joue pas car, comme on le sait, les cochons sont toujours sérieux; n’ayant aucun sens de l’humour, le rire est donc l’arme la plus redoutée du cochonneux, mâle où femelle, car il n’a aucune possibilité de s’en défendre; seulement il faut savoir que c’est dans ces moments là qu’ils peuvent devenir éminemment agressifs puisqu’ils sentent confusément que leur survie est en danger. Or tout cochonneux qui se respecte se prend très au sérieux par définition génétique et, en conséquence, la survie qui est la sienne est ce qu’il possède de plus précieux à ses pauvres yeux exorbités de cochonneux, justifiant ainsi absolument n’importe quel comportement pour la conserver, y compris bien entendu les plus vils. Nous pourrions même dire que la seule chose qui ait une quelconque importance aux yeux du cochonneux, et paritairement de la cochonneuse, c’est précisément de préserver sa survie quel qu’en soit le prix.


Par conséquent Cochon sur Terre ne peut pas jouer à se faire peur; non, Cochon sur Terre se fait peur le plus sérieusement du monde, et cette activité débordante est même devenue une occupation à plein temps; c’est à dire, au bout du compte, que c’est devenue sa seule et unique raison d’être, comme évoqué plus haut, à savoir que la préservation de la survie d’un cochonneux est l'unique perspective de l’espèce.

Pour notre visiteur extra-terrestre donc la succession extraordinaire des «alertes» qui se suivent sans discontinuer tout au long des années à Cochon sur Terre devrait provoquer, pour tout honorable extra-terrestre normalement constitué, une série interminable de sentiments pour le moins variés.


D’abord un étonnement sans fin face non seulement à la multiplicité des «alertes» mais également à leur extraordinaire diversité (c’est politiquement très correct); en effet si les alertes se renouvellent à un rythme endiablé elles ne sont jamais les mêmes car si par hasard le sujet de «l’alerte» en question semblerait à priori similaire à l’un des précédents, comme la grippe par exemple, on ne se privera pas de nous dire, puis de nous expliquer, puis de nous ordonner d’assimiler que cela n’a rien à voir; non, c’est beaucoup plus grave docteur ! c’est beaucoup plus grave car c’est beaucoup plus virulent, car cela se répand beaucoup plus vite qu’autrefois etc... Donc jamais le même, toujours différent.


Ensuite l’extra-terrestre normalement constitué serait certainement pris d’un fou-rire irrépressible. D’abord il lui suffirait d’écouter les cris d’orfraies poussés par les radios, télévisions et autres médias-aux-ordres implorant les populations à la prudence tout en démontrant combien les gouvernements bien-aimés de Cochon sur Terre savent prendre en compte le bien-être de leurs populations chéries; ainsi de cette épouvantable épidémie ô combien mortelle de la grippe H1N1, qui se répand comme convenu avec une rapidité extraordinaire; nous avons pu voir combien les vaccins furent diligemment commandés parfaitement en temps voulus, combien les populations chéries de nos gouvernements bien-aimés furent instamment priées de se faire vacciner sur l’heure tandis que les laboratoires fabricants des dits vaccins se sacrifiaient jusqu’au sang afin de fournir au bon peuple sa dose de réconfort sous forme de vaccin. D’ailleurs les cours des actions des sociétés en question se portent on ne peut mieux, merci pour elles... Mais nous aussi nous nous portons on ne peut mieux, comme le cours des actions !


Allons tout le monde est donc content à Cochon sur terre; n’est-il pas le meilleur des mondes ?


Mais notre visiteur extra-terrestre devrait également avoir un mal fou à ne pas hurler de rire au vu de ce qui provoque les «alertes» de Cochon sur Terre. Ainsi la dernière en date fut «l’alerte à la neige» ! «Alerte à la neige»... Cela laisse un peu songeur tout de même. Mais vous pourrez toujours nous dire que nous avons eu des alertes à la canicule, alors pourquoi pas des alertes à la neige ? C’est de bonne guerre, non, on souffle le chaud et le froid (ah, ah, ah)... Et puis quand on s’en sera lassé on soufflera le tiedasse; Alerte au tiedasse, c’est à dire au ni chaud ni froid.


Attendons nous donc à de nouvelles séries innombrables d’alertes auxquelles jamais nos ancêtres, ces êtres si stupides et si bornés, ces individus sans «avancées sociétales et sans «culture progressiste», n’auraient jamais pensé. Par exemple nous pouvons escompter dans un avenir proche des alertes à la pluie, des alertes au beau temps, des alertes à la marée qui monte puis à celle qui descend (ce n’est pas la même c’est bien connu), des alertes à la pleine lune comme des alertes au soleil, en vertu du principe de parité (encore); des alertes aux nuages, des alertes aux étoiles qui brillent et des alertes aux étoiles qu’on ne voit pas, puisqu’elles sont trop loin de nous, mais on ne sait jamais au cas où elles décideraient de se laisser tomber sur nous sans prévenir; donc alerte en vertu du sacro-saint principe fondateur de notre société divine, nous voulons citer le principe de précaution («amen»).

Et puis attendons-nous à des alertes beaucoup plus sérieuses encore (je sais elles le sont toutes..) comme des alertes à la jeunesse, des alertes à la vieillesse (le comble de la terreur comme on sait) et encore beaucoup d’autres dont nous ne pouvons même pas seulement imaginer la possibilité aujourd’hui mais qui, demain où après-demain, sembleront à tout cochonneux décent le comble de l’évidence.


Arrivé à ce stade de ces découvertes notre visiteur extra-terrestre sera alors envahi irrésistiblement par un nouveau sentiment, tout autre que l’envie de rire où l’étonnement. Un sentiment que les cochonneux accueilleraient sans doute avec fureur puisqu’une des caractéristiques principale de Cochon sur Terre est l’orgueil bien évidemment. En effet notre visiteur serait soudain pris de pitié face à notre monde en train de s’écrouler; oui, soyons en sûrs, notre visiteur se mettrait à plaindre Cochon sur Terre d’en être arrivé à un tel degré de décadence, de déchéance psychologique, d’insanité mentale. Car toutes ces alertes grotesques, toutes ces agitations frénétiques pour se protéger de tout et n’importe quoi sont le fait d’êtres immatures, voire extraordinairement peu évolués, incapables d’accepter leur condition et se sentant donc obligés d’inventer une autre «réalité» que celle qu’ils sont censés supporter, un monde virtuel fabriqué pour eux et par eux afin d’être capable de survivre tant bien que mal sans jamais avoir à faire face à la cruelle réalité.


Car ce que notre visiteur aurait alors découvert c’est que toutes ces «alertes», toutes ces peurs, cette terreur hystérique permanente, tout cela n’est que le reflet de la peur de la réalité dont nous parlions tout à l’heure, la crainte absolue de faire face à sa condition, l’impossibilité de faire face à sa propre finitude. C’est pourquoi notre société immaculée évoluera donc de plus en plus rapidement vers l’état d’alerte permanent. Car comme déjà dit, à Cochon sur Terre il ne s’agit plus de vivre, et donc de mourir, mais bel et bien de survivre, en toute sécurité, le plus terrorisé possible, redoutant par dessus tout l’alerte finale, la plus redoutable de toutes, l’alerte des alertes, l’Alerte avec un grand A, celle qui au final constitue le résumé de toutes les alertes que Cochon sur Terre peut inventer: l‘alerte à la vie.


Fuyons donc la vie à toute jambe, évitons cette vie que la mort porte dans ses bras. Nous n’en voulons pas, nous ne désirons pas de cette vie qui sent le cadavre, nous n’en acceptons que la première partie mais non la seconde.

Contentons-nous donc de survivre, terrorisés et bercés d’alertes quotidiennes comme on les aime.


Aucun commentaire: