vendredi 24 avril 2009

M. Cochet:reflexions à propos d'un bain de sang dans un verre d'eau.



Qui n’a pas entendu parler des propos jugés scandaleux par le troupeau bêlant de nos médias et commentateurs accrédités à la médiocrité et à la non pensée ? Ces propos, publiés par un journal aux ordres, et repris par le chœur habituel des vierges effarouchées, furent abondamment commentés, extraordinairement critiqués et attaqués, avec une virulence frisant l’hystérie ; sans parler d’un manque d’à-propos risible touchant souvent au grotesque mais qui démasquait l’occultation (soyons généreux pour une fois) de toute faculté critique et réflexive, même la plus minime.


On en a donc beaucoup crié, et pourtant certains s’étonnaient du peu de cas que l’on avait fait de ces propos relevant du sacrilège, selon eux. Ces gens là trouvaient qu’il aurait fallu faire beaucoup plus de bruit et donner encore plus de publicité (mauvaise) aux propos du député vert Yves Cochet. Les réactions fusèrent de toutes parts, c'est-à-dire qu’elles vinrent de la droite comme de la gauche, de l’extrême droite comme de l’extrême gauche, généralement pour les mêmes raisons bien que matinées des superstitions propres à chacun de ces acteurs politiques. Nous avons eu droit à tout le répertoire classique des clichés les plus éculés. Nous ne pouvons résister à l’envie de faire partager à nos lecteurs quelques uns des échantillons les plus divertissants de ces commentaires que nous avons pu lire.

A tout seigneur tout honneur l’accusation d’eugénisme et en conséquence de nazisme a droit à la première place :


« Dire que ce c..... se prétend anti-fasciste alors que sa proposition ressemble limite à de l'eugénisme ! UN NAZI N'AURAIT PAS DIT MIEUX !!!!!!
Entre Billard, Mamère et Cochet, les Verts sont vraiment représentés par des GUIGNOLS !
Si ces crétins veulent s'exprimer qu'ils aillent dans leur salon feutré de bobos à Paris et qu'ils arrêtent de nous bassiner avec leur conneries !!!!!!!!
» (La ponctuation et les fautes d’orthographes sont d’origine…).


Nous avons également eu la joie de trouver des accusations reposant sur le relent nauséabond habituel de lutte des classes et de tout ce qui s’en suit sans tenir aucun compte du principe le plus basique de réalité des faits :


« Réduire les alloc' du troisième... Pour l'écologie... Fallait la trouver celle là!
Les centrales? Les usines? Les vaches? Les gros trucs là qui nous asphyxient la gueule, ont leurs fait payer quoi?
C'est à dire que moi, lamda, je dois ramasser mon papier chwing gum, payer des eco participations, me satisfaire de deux enfants etc, etc... Mais les gros eux, on leurs demande de faire quoi? De ramasser le butin et accélérer la cadence?
Mort aux vaches tient! »
(La ponctuation et les fautes d’orthographes sont d’origine…).


Nous avons là le plaisir du romantisme débridé allié à la superstition du progrès scientiste qui est supposé nous sortir toujours des impasses dans lesquelles nous nous sommes fourrés grâce à lui.


« voici le danger du fascisme vert, elle s'attaque à l'homme en la rendant responsable de tous les malheurs de la terre. Qu'est ce qu'il y'a de plus beau d'avoir des enfants, ils sont synonymes d'espoir, de joie. Au lieu d'avoir fois au gènie de l'homme à surpasser les dèfis du XXIeme siecle, ces ecologistes de salon nous rabattent les oreilles avec leurs delires tous sorties de leurs cervelles infestés de vers. Pendant ce temps de hommes avec les capacités intellectuelles sont entrain d'agir sur le terrain en marriant progres economique et protection de l'environnement » (La ponctuation et les fautes d’orthographes sont d’origine…).


Ici c’est une autre version du délire romantique mais sans l’appel à la science qui sauvera le monde. Ceci dit la cohérence n’est pas le fort de ce commentaire ou les contradictions abondent. C’est ainsi que l’auteur part d’une apologie des enfants, de « la paix et de la joie de vivre » et qu’il aboutit à la fin de son texte en déclarant : « cessons d’être naïfs la nature n’est pas notre amie, regardez la nature humaine…». Allez y comprendre quoi que ce soit !


« faisons des enfants, le plus possible, donnons leur ceux dont ils ont besoin, apprenons leur la paix et la joie de vivre afin qu'ils se développent au mieux pour que l'on soigne enfin toute les formes de dépression que subit la planète !!
non les enfants ne nous tuent pas !
ce qui nous tue c'est notre ignorance, arrogance et notre haine
nous n'avons pas à prendre en charge des peuples qui remplacent des tyrans par d'autres tyrans, qui les affament dans le seul but de les asservir
au lieu de gaspiller de l'argent dans des guerres d'énergie, tournons nous vers des recherches d'énergies renouvelables
réduisons les vrais gaspillages, par des comportements citoyens et efficaces
n'entretenons pas les esclavagismes modernes
et soyons enfin solidaires les uns envers les autres
et cessons d'être naïfs la nature n'est pas notre amie, regardez la nature humaine... »
(La ponctuation et les fautes d’orthographes sont d’origine…).


Là transparaît une sensibilité particulièrement sourcilleuse sur le droit d’interdire qui devrait être interdit, comme on sait, c'est-à-dire sur la liberté menacée de notre espèce en voie de prolifération. Malheureusement le commentateur n’a pas eu la bonne idée de se demander s’il n’y avait pas un rapport entre le nombre exponentiel d’individu et les menaces sur les libertés individuelles que cet accroissement même pourrait bien comporter.


« On voit bien dans c'est propos le caractère anti-humaniste de l'écologie politique. C'est une pensée totalitaire contre laquelle on doit lutter.

Que se monsieur stoppe son "activité politique", qu'il arrête les réunions, cocktails et autres vernissages... cela baissera son bilan carbone et l'on pourra ainsi faire plus de jolis bébés.
Quant arrêterons nous de prêter attention à ces politiciens pisse-vinaigre et castrateurs?!?! »

(La ponctuation et les fautes d’orthographes sont d’origine…).


Quelle virulence, quelle vindicte ! Voilà au moins un sujet chaud, chaud, chaud que l’on n’aurait pas soupçonné. Nazi, fasciste évidemment, eugénisme, malthusien etc, tout y passe et tout le monde s’y est mis. Mais qu’a-t-il donc dit de si terrible ? Ceci :


« Aujourd’hui, plus on a d’enfants, plus on touche. Je propose qu’une famille continue de percevoir des aides pour les deux premiers enfants, mais que ces aides diminuent sensiblement à partir du troisième ».

«(…) un enfant européen (ou douze burkinabés) coûte sa vie durant (de zéro à 80 ans) l’équivalent de 620 trajets Paris New-York ».


Comme on peut lire il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Et pourtant tous ces hurlements sont venus des quatre coins du spectre politique, de gauche à droite, chacun accusant M. Cochet des pires intentions, toutes déformées par leurs idées d’un autre temps et d’un monde disparu, ne pouvant par conséquent plus s’appliquer à celui dans lequel nous survivons. Brièvement résumé on l’a accusé :

- de vouloir limiter les naissances des populations immigrées puisque ce sont elles qui auraient le plus grand nombre d’enfants (ce qui est faux ou en tout cas elles ne sont pas les seules),

- de faire du malthusianisme de facto en empêchant les classes les plus pauvres d’avoir trois enfants ou plus si on supprime les allocations,

- de vouloir la mort de l’Occident puisqu’on nous empêcherait de nous reproduire au profit des immigrés qui viendraient nous remplacer,

- de préférer les animaux et « les insectes » aux êtres humains,

- de vouloir l’extinction de l’espèce au profit de Gaia.

On pourrait continuer à prolonger la liste (en passant au-delà de la soi-disant morale invoquée en ce qui concerne la comparaison entre la vie d’un enfant et les 620 trajets en avion) mais ce sont là les principales critiques qui, comme déjà indiqué, couvrent tout l’échantillon politique aujourd’hui en place. Nous n’allons pas revenir sur ces arguments qui sont tous assez facilement réfutables et qui, surtout, n’ont pas beaucoup de rapport avec les propos du député Vert. C’est précisément cela qui étonne : pourquoi ces quelques phrases, somme toute assez banales, ont-elles provoqué une telle fureur hystérique jusqu’à sortir totalement les critiques du contexte des propos ? Car à l’arrivée, lorsqu’on lit la plupart des commentaires, ceux des journalistes comme des autres, ces derniers n’ont qu’un rapport très lointain avec ce qui est censé les avoir déclenché.


M. Cochet à t’il déclaré qu’il fallait empêcher les Occidentaux d’avoir trois enfants et permettre uniquement aux immigrés d’en avoir ? Non, il parlait des naissances en Occident, et ce quelque soit la race de l’enfant, puisqu’il n’est question que du style de vie occidental. En conséquence un Burkinabé habitant en France coûtera autant que son voisin de palier français de souche alors que les mêmes au Burkina-Faso coûteront douze fois moins.

M. Cochet a-t-il déclaré qu’il fallait interdire aux familles pauvres ou aux familles émigrées d’avoir plus de trois enfants ? Non, il s’est basé sur la question du troisième enfant et non sur l’origine sociale de celui-ci.

M. Cochet a-t-il sous entendu par ces deux phrases qu’il préférait les animaux et les plantes aux êtres humains. Peut-être qu’avec un don particulièrement développé de divination on pourrait parvenir à ce genre de résultat…

M. Cochet a-t-il sous entendu par ces propos qu’il voulait la disparition de l’humanité pour sauver Gaia ? Sa déclaration pourrait-elle être le cheval de Troy d’un but de ce genre ? On ne voit pas comment ou alors recourrons à la boule de crystal…


Non seulement aucunes de ces affirmations n’a la moindre réalité mais elles confinent toutes au délire paranoïaque si on relit ce qu’a dit M. Cochet. Il propose seulement d’inverser la logique des allocations familiales, et encore uniquement à partir du troisième enfant puisqu’il ne demande pas la suppression de celle-ci pour les deux premiers ni pour le troisième mais qu’elles « diminuent sensiblement à partir du troisième ». Où est l’eugénisme, le nazisme, le malthusianisme là-dedans ? Il faut être doté d’une sacrée myopie pour voir tout çà dans ces propos quasiment sans intérêt.

Par quel mystère des phrases aussi insignifiantes ont-elles pu engendrer un tel raz de marée de protestations venant de tout l’échiquier politique ? Quel nerf à vif le député vert à t’il touché pour déclencher un tel tollé général ? La réponse à cette question pourrait bien se trouver dans le fait que la réduction de la population par la non reproduction volontaire (même si ce n’est pas ce qu’a proposé le député vert) heurte directement de front l’un des instincts les plus profonds de notre espèce (l’instinct de reproduction) comme de toutes les autres d’ailleurs ; la différence est que nous, humains, aurions théoriquement le choix de ne pas nous y soumettre. Nous avons d’ailleurs suffisamment d’exemples de ce genre tout au long de l’histoire pour souscrire à l’opinion selon laquelle c’est une des caractéristiques principales de l’humanité, avec la faculté de se donner la mort, toutes deux étroitement liée bien sûr à la conscience spécifiquement humaine de sa propre finitude. Mais apparemment cela reste encore du domaine de la théorie pour l’immense majorité des êtres humains… Ceux pour qui cela ne l’est pas restent des exceptions.


Ajoutons pour la suite de notre propos que tous les commentaires n’étaient pas critiques. Les autres étaient même carrément pro-Cochet ainsi que nous en avons relevé deux pour l’exemple:


« Tout à fait d'accord la surpopulation sur terre va être un désastre dans un avenir proche parce qu'en plus nous sommes des pollueurs, trop laxistes sur la protection de l'environnement. L'être humain est assez intelligent pour savoir ce qu'il est possible de faire mais trop égoïste pour agir si il doit changer ses habitudes de consommateur irresponsable ».


« J'ai 21 ans et honêtement j'avoue ne pas avoir de désir d'enfant,
c'est vrai que je ne veux pas nourrir la croissance démographique
car plus il y aura d'habitants plus on nous demandera de se serrer
la ceinture et c'est surtout les générations futures qui payeront
la facture.Je pense qu'on ne devrait pas etre plus de 3 milliards d'habitants ».

(La ponctuation et les fautes d’orthographes sont d’origine…).


Que conclure de l’ensemble des réactions dues aux propos de M. Cochet ?


Comme nous le disions plus haut nous en avons relevé de deux types : les « contre » sur le mode hystérique venant de tout le panel politique habituel et les « pour » qui semblent au contraire ne plus se rattacher à aucune tendance politique déterminée, même s’il leur arrive de soutenir ponctuellement telle ou telle formation sur tel ou tel sujet bien précis. L’observation de tous ces commentaires corrobore ce qui se dessine lentement, trop lentement d’ailleurs, dans la vie politique d’aujourd’hui : à savoir que la disparition des idéologies a mis à jour la collusion de ce que l’on nomme encore par convention droite et gauche, ces partis que l’on oppose toujours artificiellement les uns aux autres sans aucune autre raison que l’habitude ou une convention qui ne reflète plus la réalité ; car soudain tout ce monde se révèle étrangement incestueux. Cette affaire déclenchée par M. Yves Cochet a eu le mérite de dévoiler tout à coup la véritable ligne de fracture du champs politique ; en d’autre terme cette affaire a mis en relief la construction, certes encore dispersée, disparate et confuse mais non moins réelle, d’une vraie opposition constituée d’individus dont l’objectif sera de renverser le système politique et économique actuel au nom de principes qui relèveront de moins en moins de ceux qui nous ont influencés depuis trois ou quatre cent ans puisqu’ils leur sont antinomiques. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : un renversement des « valeurs » sur lesquelles s’était bâti le monde depuis quatre siècle ; nous pourrions dire dans un autre langage que l’écroulement du monde que nous avons connu, vidé par le « nihilisme » qui le ronge de l’intérieur, est en train de laisser la place à de nouvelles valeurs et par conséquent à un autre univers de référence. Bien que nous ne soyons là qu’au début de ce processus, celui-ci requerra un changement profond des mentalités et par conséquent un abandon des référents en cours qui pourrait bien s’accélérer spectaculairement en cas de crise majeure, non seulement financière ou économique, mais surtout écologique. Aujourd’hui, et c’est la spécificité de notre temps, la crise que nous traversons ne se limite pas à la finance ou à l’économie ; c’est un des éléments mais qui reste tout à fait secondaire par rapport à la crise de civilisation dans laquelle nous nous trouvons. De plus elle inclut désormais la dégradation de l’environnement due à notre activité, économique entre autre, dont les conséquences menacent à terme la survie de l’espèce elle-même. C’est pourquoi la seule crise véritable, mais qui inclut toutes les autres, à laquelle nous devons faire face aujourd’hui est celle-ci : la très prévisible disparition de l’espèce. Seule la prise de conscience de cet enjeu en temps voulus, ce qui n’est pas du tout acquis, pourra provoquer les changements radicaux qui seront nécessaires pour éviter cette catastrophe. Or, pour la plupart des écologistes (pas les plus extrémistes loin de là) l’unique façon d’agir le plus efficacement possible est de cesser de se reproduire afin de réduire l’impact de l’homme sur la planète. En effet pour ces derniers il s’agit, par ce biais, de diminuer la population humaine jusqu’au seuil nécessaire et suffisant pour assurer la pérennité de la biosphère et par conséquent de l’espèce humaine (nous n’entrerons pas dans la polémique de savoir quel est ce seuil ni comment parvenir à l’autolimitation volontaire de l’espèce car là n’est pas notre sujet).


Ce que la déclaration de M. Cochet a mis à jour très brièvement, comme un éclair dans la nuit, c’est que, si observés à travers le spectre écologique, tous ces partis politiques que nous avons l’habitude d’opposer les uns aux autres, se retrouvent tout à coup dans le même camp, rangés sous la même bannière. Et dans cette perspective ils ont toujours fait partie du même parti ainsi que l’a bien entrevu le rédacteur de ce message :


« A l'heure actuelle, le système des allocs POUSSE les gens à faire des gosses; rien de choquant à ce que demain, il les freine (sans les en empêcher, évidemment). C'est même une très bonne chose pour la planète et si la France veut donner l'exemple. Les gens qui se disent choqués sont des fondamentalistes religieux qui s'ignorent. Cochet a du courage de rester chez les Verts, qui ont dilué l'écologie dans le gauchisme et le politiquement correct et sont de moins en moins crédibles. »


C’est pourquoi le mouvement de fond qui parait se mettre en branle aujourd’hui et qui s’opposera fortement, et probablement avec violence, à tout le système politique et économique de plus en plus chaotique que nous connaissons encore, constitue en réalité la seule et unique opposition politique véritable, et ce quelque soit le pays. Car cette mouvance, que nous nommons par simplification « écologique », devrait être diamétralement opposée aux structures politiques et économiques que nous connaissons et à ce sur quoi elles reposent. Nous pourrions ajouter qu’elle leur est fondamentalement incompatible. C’est pourquoi ces tentatives d’aggiornamento écologique, que l’on nous trompette dans les oreilles avec des tremolos dans leurs voix de fausset, sont des plans sur la comète qui non seulement ne seront d’aucune utilité mais pourraient même bien être contre productifs s’ils ont pour résultat de retarder les prise de décisions, graves mais nécessaires et urgentes, en raison de la bonne conscience qu’ils nous procurent. Ce que M. Cochet a mis a jour c'est que la route sera longue et semée de cadavres.

Mais pour le moment tout le monde est content à Cochon sur Terre, le meilleur des mondes.

lundi 20 avril 2009

Royal pardons: notre mère à tous!

Princesse Royal a encore frappé ! Par écrit cette fois, avec son marteau de plomb bien connu qui lui sert toujours à s’exprimer et à forger des mots nouveaux, puisqu’elle ne connaît apparemment pas le sens des anciens, qui signifient pourtant la même chose que ceux qu’elle invente (ex : bravitude), bien qu’avec plus de profondeur. Normal me direz-vous puisque ceux dont elle ne sait pas se servir, ou qu’elle ignore, ont souvent des racines indo-européennes, grecques voire latines, tandis que les siens n’ont pour racines que Princesse Royal soi-même, c’est dire que cela ne remonte pas très loin, quelques années déchiquetées au plus… Bref l’horreur pour quelqu’un qui n’a à la bouche que la nouveauté et le changement permanent érigés en mode de survie. Et puis ces vieux mots ont un côté réactionnaire qui ne sied pas à Princesse Royal, convenons-en.

Il parait que Princesse Royal a perdu les dernières élections présidentielles ; c’était il y a deux ans déjà. Apparemment elle ne le sait pas encore et ce serait une grande preuve d’amitié et de compassion que de le lui faire savoir. Car il y a désormais en France un Président de la République qui n’est pas Princesse Royal ; nous connaissons même son nom (oui, oui) et nous nous tenons tous soigneusement informé de ses faits et gestes ; de toute manière même si nous voulions l’ignorer on nous le ferait savoir malgré nous. Ce Président de la République se nomme Nicolas Sarkozy et il fût bien sûr le vainqueur de Princesse Royal aux élections. Voilà des faits vérifiés par tous sauf Princesse Royal apparemment qui se croit encore en campagne présidentielle, surtout à l’étranger d’ailleurs, bien qu’à notre connaissance le droit de vote en France n’ait pas encore été accordé à tous les étrangers du monde entier. Ce qui est remarquable dans la campagne présidentielle de Princesse Royale c’est son programme politique extraordinairement innovant et prometteur pour l’avenir radieux qu’elle sait nous faire entrevoir à chacune de ses interventions. Désormais, et ce depuis quelques semaines, c'est-à-dire depuis son voyage à Dakar, la candidate à la présidentielle « déjà battue sans le savoir » a dévoilé le trait principal de son nouveau programme qui, comme vous le savez certainement, change le plus souvent possible d’après le théorème inlassablement répété par Princesse Royale soi-même : « il faut que çà change ! » ; parfois nous avons droit à une autre variante : « il faut que çà bouge ! ». Mais l’un dans l’autre (eh oui !) cela revient au même.

Désormais donc il semblerait que notre ex-candidate « déjà battue sans le savoir » ait soudain été touchée par la grâce. Car depuis Dakar nous découvrons tout à coup une Princesse Royale que nous ne connaissions pas. Il semblerait en effet qu’elle ait eu la révélation, relevant du miracle, que la politique ne suffirait pas à sauver l’homme de lui-même, ni la planète de l’homme non plus d’ailleurs. Il semblerait qu’elle ait compris que la seule solution à nos maux, c'est-à-dire nous-mêmes puisque nous sommes la plus dangereuse de toutes les calamités qui nous menacent, serait de nous pardonner les uns les autres ce que nous nous faisons tout autant que ce que nous ne nous faisons pas bien entendu. Demander pardon pour l’acte d’autrui, me direz-vous, est facile puisque nous ne sommes pas concernés. Vous auriez raison s’il ne s’agissait pas de Princesse Royal. Or il s’agit d’elle et vous avez donc tord car les règles qui s’appliquent à nous tous ne la concernent plus. Désormais elle est à part, elle est autre car du haut de sa récente lévitation elle plane maintenant au-dessus de nous tous. Une constatation : Princesse Royal n’a jusqu’à maintenant demandé pardon que pour les propos supposés de celui qu’elle croit être son adversaire à la présidentielle, alors qu’il n’en est que le futur. Cela signifie sans l’ombre d’un doute qu’elle porte à son ex-futur adversaire un intérêt extraordinaire qui ne manquerait pas de nous surprendre si nous n’avions à l’esprit que cela fait partie intégrante de son nouveau programme pour la présidentielle de 2007. A la lumière de ce que nous savons de ce dernier, et afin d’en comprendre les ressorts intimes, il nous faut nous interroger sur cet intérêt désintéressé de la candidate « déjà battue sans le savoir » à la présidentielle de 2007 pour son ex-futur adversaire, le Président de la République Française.

Quelle peut donc être la signification profonde de cette poussée de « pardonnitude » en faveur de M. Sarkozy ? Pourquoi lui et personne d’autre ? Pourquoi ne pas demander pardon pour Mme Aubry par exemple, son ex-futur adversaire à la direction du PS ; ne le mériterait-elle pas ? Pourquoi pas un petit pardon pour Oncle Jo (Staline) ? Pourquoi pas un pardon de derrière les fagots pour Georges Busch Jr ou même pour François Hollande, son ex-mari (pas futur celui là) ? Et tant d’autres, tous les autres, qui seraient si reconnaissants d’être pardonnés par l’intercession de Princesse Royale, n’auront-ils pas droit à une demande de pardon pourtant bien méritée ? Eh bien nous sommes en mesure de vous éclairer à propos de ce sujet délicat. Nous serons tous tout autant que nous sommes, eh oui, nous serons bien tous pardonnés grâce à l’intercession de Princesse Royale. Car cela fait partie intégrante de son nouveau programme 2007 afin de sauver l’humanité d’elle-même : puisque la politique n’est pas efficace le seul moyen sera le pardon général. Mais il faut bien commencer par quelqu’un, se faire la main en quelque sorte. Or quel meilleur entraînement que son ex-futur adversaire à la présidentielle? N’est-ce pas lui qui devrait concentrer en toute logique toutes les haines les plus intimes de la candidate « déjà battue sans le savoir »? C’est donc par lui que débute tout à fait logiquement le nouveau programme pour la présidentielle 2007 de notre ex-futur candidate. Voilà pourquoi Princesse Royale s’entraîne à la compassion envers M. Sarkozy, son meilleur allié dans cet exercice dont dépend le sort de l’humanité, voilà pourquoi elle ne ratera pas une occasion de demander pardon pour notre Président à tous ceux qui voudront bien lui pardonner ce qu’il a dit, ce qu’il n’a pas dit, ce qu’il a fait et ce qu’il n’a pas fait non plus, ainsi que beaucoup d’autres choses encore jusqu’au pardon suprême : pardonnez-lui d’exister. Et lorsque la compassion de Princesse Royale sera parvenue à ce niveau d’intensité, alors son amour s’étendra tout naturellement au monde entier ; lorsque son amour pour l’espèce humaine, désormais en voie de devenir légendaire, recouvrira la terre de ses merveilleuses vertus curatives, lorsqu’elle aura sauvé l’humanité et la planète, et peut-être aussi l’univers avant de sauver Dieu lui-même, alors Princesse Royale aura un problème.


Quel problème me demanderez-vous ? Un grave problème auquel elle a déjà certainement médité du haut de sa toute récente compassion orbitale, un problème difficile car peut-être sans solution. Mais c’est la non résolution de ce problème qui nous fera le plus prendre conscience de la grandeur de Princesse Royale, de son désintéressement exemplaire. Car posons-nous la question : une fois le monde entier pardonné, une fois chacun de nous pardonné grâce à l’intercession de Princesse Royale, qui sera capable d’outrepasser le grief d’avoir été pardonné sans son consentement ? En d’autres termes qui intercédera pour demander pardon pour Princesse Royale soi-même ? Eh bien, personne ! C’est alors seulement que nous serons en mesure de comprendre la grandeur irréelle de la démarche de Princesse Royale : elle se sera sacrifiée volontairement pour le bien de l’espèce humaine en sachant que jamais personne ne demandera pardon pour elle.

Pour le moment tout le monde est donc content à Cochon sur Terre, le meilleur des mondes.

dimanche 19 avril 2009

Du Tanit et des pirates.

La prise d’otage du voilier « Tanit » a alimenté la chronique pendant au moins une semaine voire deux. Quelle aubaine pour tous, journalistes, politiciens, citoyens, tous égaux face à l’écran magique, tranquillement installés dans leur fauteuil chaque soir afin de vivre par procuration une aventure dont la plupart n’avait même plus l’imagination nécessaire pour en rêver…

Inutile de préciser que cette affaire, somme toute banale, a mis Cochon sur Terre en émoi. On en parle, on prend des airs consternés, on en blogue, on s’en moque, on s’afflige, on fustige, mais au bout du compte on n’y reste pas indifférent. Il est certain que tous les ingrédients nécessaires pour exciter notre société immaculée étaient réunis là comme par un fait exprès.
On connaît l’histoire : un jeune couple (27 et 29 ans) décide de partir sur un bateau à voile de 12,5m (un yacht selon certains !) sur les mers du globe afin de «fuir la société de consommation et sa routine pour vivre une vraie aventure au long cours». Vous imaginez l’horreur ! « Fuir la société de consommation » est déjà quelque chose d’incompréhensible pour un cervelas normalement irrigué de Cochon sur Terre. En effet pourquoi fuir cette merveilleuse société d’abondance et de bienfaits en tout genre qui s’efforce par tous les moyens possible et impossible de nous apporter tout ce dont nous avons besoin, et même et surtout ce dont nous n’avons pas besoin ? Et puis fuir pour quoi ? Fuir pour aller où ? Pour se retrouver dans des endroits étranges où les habitants n’ont pas de retraites, ou il n’y a pas de caméras pour nous protéger, de radar pour nous empêcher d’aller vite, de flics pour nous enlever la cigarette du bec, où les « Associations pour la Disparition de la Vie Privée »(ADVP), ou ce qu’il en reste, qui ont pour seul et unique objectif de dénoncer et poursuivre devant les tribunaux tous ceux qui ne marchent pas en rang et en bon ordre, n’existent pas ; sans compter les impôts, les cotisations multiples, les sacro saintes assurances contre la fièvre aphteuse, le chômage, la chaude pisse, le feu ou le manque de neige, toutes ces bonnes choses qui nous sont fournies avec notre reconnaissance la plus vive… Non, apparemment tout cela ils n’en n’ont plus voulu ces deux jeunes gens et ils ont tourné le dos à notre monde idyllique comme on le fait de mauvais souvenirs dont on ne veut plus entendre parler. Ils ont largué les amarres et sont partis à l’aventure.
Il y a un mot dans cette phrase qui n’a pas été relevé mais qui reste le plus important : le mot « routine ». C’est celui-ci qui constitue la clé pour comprendre pourquoi ces gens sont partis. Ils ont fui la routine qu’engendre systématiquement notre monde et, n’en déplaise à ceux qui en ont profité pour voir dans cette phrase une déclaration contre la société de consommation, ils l’auraient faite de la même manière pour une société socialiste puisque ces deux mondes engendrés par les mêmes causes engendrent à leur tour les mêmes effets. « Routine » ou « ennui » crées par le monde moderne, ses planifications et ses directives suffocantes sans cesse en déploiement, cet étouffoir à libertés.
Mais parce que l’aventure s’est terminée de manière tragique Cochon sur Terre triomphe, le plus hypocritement du monde bien entendu, et se venge ainsi de l’humiliation qui fût la sienne de voir ces deux « jeûnes » lui dire : « fuck you », ces « jeûnes » dont notre monde délicieux fait si grand cas, ces « jeûnes » qu’il s’échine à séduire par son confort en carton pâte et ces promesses de sécurité jusqu’à 90 ans, voire plus avec un peu de malchance. La lecture des commentaires des articles traitant de cette histoire nous livre un aperçu assez juste de ce qui agite Cochon sur Terre. On peut en voir deux catégories opposées :
- ceux qui fulminent contre les « inconscients qui mettent la vie des autres en danger », les proches (l’enfant !) et les sauveteurs, ces soixante huitards attardés qui crachent sur la société mais qui lui demandent du secours s’il leur arrive quoi que ce soit, sans parler du fait que toutes ces « conneries coûtent chères au contribuables » et qu’il faudrait désormais « faire une loi et interdire aux plaisanciers français de circuler dans cette région » (quelle chance une loi de plus !).
- et puis il y a ceux qui accusent les militaires de bavure scandaleuse, le gouvernement d’être incompétent, voire ceux qui y voient un complot ou qui affirment du fond de leur canapé que les pirates étaient inoffensifs et que jamais il n’y aurait eu de morts si on ne les avait pas attaqué… Cela deviendra peut-être la prochaine polémique avec constitution d’une Association pour la défense des pirates dont le nom pourrait être : « touche pas à mon pirate ! » par exemple. (Car il faut bien savoir que ce sont de gentils pirates qui n’auraient jamais fait de mal à une mouche et qu’ils se sont défendus parce qu’on les avait attaqués et que leurs armes c’était juste pour rire mais qu’ils n’avaient aucune intention de les utiliser, non mais !…) Et puis il sont pauvres ce qui explique sinon excuse tout ou presque.
Nous avons relevé deux commentaires, l’un répondant à l’autre, qui résument bien la polémique :

« Ces individus, même en prison, vont profiter - aux frais de la République, donc avec votre argent - de conditions de vie d'une qualité inconnue de la plupart des gens en Somalie. Logés, nourris, blanchis, accès aux soins, le cas échéant à une formation. Certes ils seront en prison, mais la misère n'est elle pas une prison ? Finalement, d'une manière ou d'une autre, le crime paie: comment en conséquence imaginer qu'il puisse être combattu efficacement ? » (Le Monde 14.04.09)

Il est certain que pour Cochon sur Terre « être logés, nourris blanchis, un accès aux soins et avoir droit à une formation (!)», cela constitue le maximum du bonheur, du confort et du bien être souhaitable ! C’est pourquoi notre contribuable est vraiment furieux de l’injustice qui lui est faite étant donné que ce n’est pas lui qui profitera de toutes ces merveilles mais de vulgaires pirates somaliens qui, si l’on extrapole un peu, seront comme des coqs en pâte dans nos prisons, jouissant d’une survie incomparablement meilleure que ne le leur aurait jamais permis leur misère somalienne. Mais le commentaire suivant donne une réponse inattendue à ceux qui expliquent les actions désespérées de ces pirates par leur état endémique de pauvreté due à cet Occident qui leur tond la laine sur le dos :

« Je travaille en Somalie, et lire que les pirates seront plus heureux en prison que dans leur "misère" m’a fait beaucoup rire... Les pirates passent leur temps libre a conduire leurs 4X4 dans le désert somalien, a se droguer au Khat, a coucher avec leurs multiples épouses et a se dorer au soleil... je doute qu’ils se plaisent dans une prison française, ou personne ne parle somalien et ou le khat est interdit. Avant d’écrire n’importe quoi, on se renseigne sur la culture somalienne svp » (Le Monde 14.04.09)

Voilà qui remet les choses au point malgré les doutes que nous pourrions émettre sur l’emploi du mot « culture » dans ce contexte. Dans tous les cas de figure, opposants, opposés, pour ou contre, Cochon sur Terre ne peut envisager que l’on ne veuille pas survivre selon ses codes de bonne ou mauvaise conduite, que l’on puisse s’affranchir de ses superstitions érigées en dogmes. Il faut entrer et rester dans le rang d’une manière ou d’une autre et ces réactions, indignées comme de juste, qui semblent s’opposer en apparence ne font en réalité que se compléter. Toutes n’ont pour objectif sous-jacent que de souligner la folie de vouloir remettre en question notre monde inénarrable et ce qui lui est associé, prouvant ainsi une fois encore combien il reste indépassable. Et dans cette affaire combien de fois ne sera pas revenu comme leitmotiv, ou plutôt comme psaume récité rituellement par tous, l’inconscience de ces deux « jeûnes » en abandonnant la sécurité de l’ennui planifié et régulé de notre société pour un inconnu plein de dangers, o combien excitant mais parfois mortels, comme ils le savaient et comme le savent tous ceux qui décident de larguer les amarres. C’est précisément le piment de l’affaire comme ne peuvent pas le savoir tous ces héros pour qui l’expédition au supermarché constitue le sommet de l’aventure, sans parler de prendre un auto-stoppeur sur l’autoroute !
C’est bien sur ce point là que convergent tous les commentaires que nous avons pris la peine de lire. Au-delà de leurs oppositions virtuelles, puisqu’elles se situent toutes dans le cadre rassurant de Cochon sur Terre, personne ne semble intégrer l’idée que, parfois encore, certains préfèrent l’inconnu, le danger et les risques qui leur sont inhérents (la mort), au confort et à la sécurité. Personne ne parait concevoir qu’au-delà d’un certain seuil la recherche de la sécurité et la liberté deviennent fondamentalement antinomiques et que plus l’une s’agrandit plus l’autre diminue collatéralement. Personne ne parait comprendre que certains choisissent volontiers l’insécurité et l’aventure, qui impliquent l’inconfort et le danger, plutôt que la climatisation et les caméras de sécurité, les produits bios et la télé-réalité. Personne ne s’est demandé pourquoi ce couple a fait ce choix plutôt que de rester tranquillement là où ils étaient, faisant de l’informatique pour l’un et tenant une boutique pour l’autre jusqu’à la fin de leurs jours… Personne ne peut-il plus comprendre le sens de cette phrase inscrite sur leur blog de voyage :

« … ce n'est pas la peur des pirates qui va nous faire arrêter un voyage aussi enrichissant… »

C’est à craindre en voyant les réactions aux articles sur cette affaire. Alors on peut les traiter d’inconscients et de ce que l’on voudra mais il n’en reste pas moins qu’ils ont prouvé qu’ils étaient certainement plus vivants que tous ceux qui en parlent. Quant à la question des pirates là encore elle réunit sous un même fanion ceux qui les excusent et ceux qui les condamnent ; car les deux camps sont en réalité d’accord sur le principe que seule la pauvreté fait de ces gens des pirates. Ce qui revient à dire qu’à travers ces gens l’homme n’est rien d’autre qu’un animal exclusivement dirigé par ses instincts, ce qui est précisément la manière dont Cochon sur Terre envisage l’homme, une conception avilissante puisque strictement matérielle. Donnez leur à bouffer et ils se tiendront tranquilles ! Ou en d’autres termes : « du pain et des jeux ». En fin de compte les pirates et leurs prisonniers avaient une idée de la vie beaucoup plus proche l’une de l’autre que de celle que s’en fait notre monde agonisant, si tant est qu’il soit encore capable de s’en faire une !
Tout le monde est donc content à Cochon sur Terre, le meilleur des mondes.

mardi 14 avril 2009

De la lévitation en tant que programme politique pour l'avenir de l'espece humaine.

Lettre ouverte aux électeurs bien-votants de Cochon-sur-Terre à l’occasion d’une campagne électorale quelconque.


Figurez-vous, cher concitoyen, que j’ai récemment appris, et croyez-le bien tout a fait par distraction, que j’avais la chance inouïe de vivre dans une démocratie, ce qui signifie, semble t’il, que je peux ouvrir ma gueule (je vous prie de bien vouloir excuser cet écart de langage mais je m’exprime…) et dire tout ce que je pense. Il parait même que c’est recommandé en période de campagne électorale, ce que j’ignorais totalement. Vous pouvez imaginer ma surprise lorsque j’ai réalisé que tout, absolument tout, n’était pas interdit, contrôlé, surveillé, ausculté, fliqué etc… et qu’il nous restait encore une possibilité relative de dire ce que l’on pensait. Ca tombe plutôt bien et je vais donc en profiter rapidement avant que cet oubli, certainement involontaire, ne soit corrigé, pour notre sécurité à tous naturellement. Car, cher concitoyen, je suis révolté de voir qu’aucun des candidats de cette campagne électorale, de l’importance la plus considérable pour l’avenir de notre Illustrissime Humanité, ne l’oubliez pas je vous prie, aucun, donc, n’a pris le soin de préciser dans ce qu’ils appellent leurs « programmes » ce qu’ils pensaient de cette question de la plus haute importance pour l’avenir de notre espèce divine : la lévitation. Car l’air de rien, et je vais insister lourdement là-dessus, cela nous concerne tous et devrait être au rang des préoccupations principales de cette campagne électorale. Ce devrait même être le seul et unique objet des élections. Eh bien non, non seulement personne n’en parle, mais je suis certain que personne n’y pense, ce qui m’afflige encore plus. Cela ne fait que confirmer, si besoin en était, à quel point nos politiciens professionnels peuvent être superficiels, englués dans des schémas politiques et économiques d’un autre monde, en bref à quel point nous sommes aux mains de politiciens ringards, voire réactionnaires, dont l’absence de pensée n’a d’équivalent que l’irresponsabilité criminelle pour notre avenir dont ils font preuve.

Car, cher concitoyen, vous le savez bien vous qui êtes lucides et clairvoyants, le seul et unique débat de cette campagne électorale aurait dû être : comment voulez-vous léviter ?
Ne vous y trompez pas, cher concitoyen, nous en sommes là ! La situation est à ce point catastrophique que nous devons faire un retour sur nous-mêmes, si tant est que nous en soyons encore capables, ce qui n’est pas du tout certain, afin de faire un choix qui engagera l’avenir de notre Illustrissime Humanité. De quelle manière dorénavant voudrions-nous léviter ? Tout est là. Rien n’est en effet plus important que cette question car elle touche à notre humanité, à ce qui constitue le fait même que nous sommes des êtres humains et non pas des animaux. Nous pourrions dire sans nulle crainte d’exagération que notre caractéristique principale, ce qui nous différencie de tous les autres êtres vivants est justement ce besoin congénital de nous élever au-dessus de nous-mêmes, en bref notre irrésistible attrait pour la lévitation. Car nous ne pouvons échapper à la lévitation, à moins que l’on ne choisisse d’abandonner notre humanité et de retourner dans ce règne animal qu’il nous est si pénible de laisser derrière nous, comme nous pouvons en voir d’ailleurs de nombreuses preuves plus ou moins hybrides autour de nous, voire dans notre entourage, c'est-à-dire tous ces individus ayant un fort penchant pour la bestialité plutôt que pour l’humanité. J’ai d’ailleurs le sentiment que ce genre tout à fait ancien, mais pas moins inquiétant, aurait tendance à se développer à nouveau de nos jours au cœur même de notre monde paradisiaque, comme si celui-ci engendrait ce qui le détruira... La vérité est que nous n’avons nullement le choix : c’est la lévitation ou la bestialisation. L’histoire de la lévitation n’est que l’histoire de l’humanité, soyez en sûr cher lecteur, c'est-à-dire la tentative nullement assurée d’échapper à l’animalité.
Or, cette histoire se partage en deux périodes bien distinctes. Pour simplifier nous devons distinguer la période dîtes « moderne » de toutes les autres. Il ne s’agit pas de prendre une quelconque notion arbitraire pour ce faire. Non, nous distinguons cette période par la manière absolument nouvelle dont l’art de léviter fût envisagé à partir de ce moment là. Il est un fait que la caractéristique de la période historique dans laquelle nous survivons depuis maintenant trois siècles environ n’est rien d’autre que la mise en place de la forme nouvelle de lévitation dans laquelle nous nous sommes engagés, rejetant du même coup toutes les institutions et les traditions de lévitation qui avaient cours jusqu’alors. Pour la première fois l’humanité a changé radicalement de méthode de lévitation. La révolution française, cher lecteur, n’est rien d’autre que le renversement concret et le plus spectaculaire des anciennes méthodes de lévitation au profit des nouvelles. Notre Illustrissime Humanité s’est faite déicide à cette occasion afin, contrairement à ce que croyaient les naïfs, non pas de renverser Dieu de son trône pour détruire ce dernier et le rabaisser à notre niveau au nom de notre fétiche sanctificateur l’égalité, mais bien afin d’y monter à sa place. Elle a ainsi troqué la croyance en Dieu pour la croyance en Elle-même. La période moderne n’est donc rien d’autre que la prise en main de sa lévitation par l’humanité, ce qui signifie que Notre Humanité désormais Divinisée a décidé un beau jour qu’Elle s’élèverait au-dessus d’Elle-même par Elle-même, grâce aux ressources de sa créativité et de son savoir-faire. C’est ainsi que nous sommes entrés dans l’ère de la lévitation artificielle dont la technologie est le moyen unique et indispensable. Cela fait donc plus de trois siècles, maintenant, que ce rêve de lévitation artificielle guide Notre Lumineuse Humanité sur le chemin de la félicité, électrique hier, atomique aujourd’hui et probablement désertique demain au train où vont les choses. C’est ainsi que depuis trois cent ans notre Illustrissime Humanité a poursuivi son exploration et sa quête de toutes les possibilités que recelait la lévitation artificielle pour en arriver aux temps héroïques de l’aviation puis à celui de la conquête de l’espace, dont nous ne connaissons encore que les balbutiements aujourd’hui, ce qui, rétrospectivement, constitue bien l’aboutissement logique de cette forme nouvelle de lévitation. Il faut tout de même avouer que cet achèvement, si c’en est un véritablement, est encore assez limité non seulement en raison de sa fiabilité douteuse, mais surtout en raison du nombre ridicule d’individus à qui cela permet de léviter. De plus il se pourrait que cette lévitation artificielle ne soit plus réalisable à court terme en raison de son coût prohibitif, tant il semble que les ressources nécessaires à notre exercice de la lévitation artificielle soient en train de s’épuiser. C’est ainsi, cher lecteur, que Notre Illustrissime Humanité est en train de découvrir avec stupeur qu’Elle pourrait ne pas gagner la course engagée par elle contre la planète dont elle tire sa subsistance, et de laquelle elle avait voulu s’affranchir. Pis encore il se pourrait même que cette ingrate planète soit la cause de la disparition de cette espèce évoluée entre toute qui se crut éternelle pendant quelques malheureux siècles, cette période au cours de laquelle l’Humanité s’est mise à croire en elle-même. Or, aujourd’hui, nous commençons à nous rendre compte que croire en soi-même n’a jamais élevé personne. La triste et ironique vérité est que notre croyance en nous-mêmes, c'est-à-dire plus concrètement la foi que des vaisseaux spatiaux nous permettraient de nous propulser littéralement au-dessus de nous-même, a bien eu pour résultat concret de nous propulser quelque part mais ce ne fût pas du tout dans la direction espérée ; nous voilà arrivés non pas au-dessus de nous-mêmes mais bien plutôt à coté de nos pompes…

Voilà, cher concitoyen, la situation véritable dans laquelle nous nous trouvons de nos jours et que nos politiciens n’abordent jamais, soit par ignorance crasse, soit par lâcheté et par intérêts à court terme. Ne nous y trompons pas : nous ne pourrions bien sûr pas interrompre nos expériences de lévitation sans retomber immédiatement dans la bestialité la plus authentique. Or il se trouve que nos méthodes de lévitation actuelles, modernes donc, par conséquent les plus évoluées qui soient, celles qui sont tout de même parvenues à nous envoyer dans la lune en des temps records, ces méthodes donc, d’une part ne nous seront certainement plus accessibles dans un avenir très proche en raison de leurs coûts qui menacent notre survie, et d’autre part elles ont échouées puisque nous nous retrouvons aujourd’hui très nettement à coté de nos pompes… Mais qui, cher citoyen-bienvotant, a abordé cette question vitale pour notre avenir au cours de ces élections ? Qui a proposé une solution de rechange à nos méthodes condamnées de lévitation ? Qui y a seulement fait allusion ? A ma connaissance personne, même pour rire. N’est-ce pas faire preuve d’irresponsabilité coupable?

Puisqu’il n’est pas envisageable de cesser de léviter, et que nous ne pouvons pas non plus continuer à le faire par nos méthodes actuelles, la seule issue est donc d’en inventer de nouvelles dont les coûts ne remettraient pas en cause la survie de plus en plus sujette à caution de Notre Illustrissime Humanité. En d’autres termes, si nous ne savons pas renoncer de notre propre initiative et sans attendre à nos méthodes actuelles de lévitation, cela se fera sans nous et contre nous, avec pour conséquence l’extinction de l’espèce, ou, en tout cas, de sa dégénérescence si complète que l’on devra trouver un autre terme afin de classifier ce qui en subsistera parmi les êtres survivants. Si, donc, nous partons du principe que notre Illustrissime Humanité a opté il y a environ trois siècle pour la lévitation artificielle, que nous pourrions également dénommer technologique en raison du fait déjà signalé que ce ne peut-être qu’à travers nos réalisations technique que nous pouvons accomplir la lévitation artificielle, nous devrions donc en conclure logiquement que nous ne pouvons l’abandonner qu’en renonçant en partie au moins à ce par quoi elle se réalise : la technologie. Oui, cher concitoyen, j’ai bien conscience du blasphème que je suis en train d’écrire, comme chaque remise en cause radicale de toute religion établie en constitue un ; et j’ai bien conscience également du risque que je cours et de la possibilité d’être réduit en cendres sur le bûcher médiatique, car je ne suis pas sans ignorer que même la divine tolérance de notre sainte époque a des limites, illimitées bien entendu. Si, donc, nous abandonnions nos méthodes de lévitation artificielles reposant sur la technologie et sur des inventions toujours plus ingénieuses afin de nous aider à nous faire léviter toujours plus loin, cela signifierait-il que nous soyons obligés de régresser aux méthodes de lévitation de nos ancêtres, ces êtres si ignorants et si stupides qui nous font tant honte que nous hésitons à nous déclarer leurs descendants ? Car il me parait légitime d’être en droit de nous demander si nous sommes réellement issus d’individus si peu évolués qu’ils parvenaient à survivre sans téléphone portable et sans télévision, sans les 35 heures et sans vacances, sans crèches et sans tous ces spécialistes illuminés qui envahissent nos vies comme le font si bien les cancrelats, sans militants et sans avancées sociétales, sans associations pour la défense des portables abandonnés ou celle pour le droit à la connerie intergalactique pour tous, sans bobos ni bobonnes etc… bref, des êtres qui survivaient dans un monde autre que notre paradis terrestre contemporain. Comment ont-ils pu ? C’est à ne pas croire j’en conviens volontiers… Devrions-nous revenir, d’ailleurs il faudrait interdire cette expression abjecte au nom de notre droit à la sécurité psychologique, je me demandais donc s’il nous fallait adopter ces façons de vivre indignes d’êtres aussi évolués que nous le sommes ? Cela aurait de graves conséquences pour nous et notre merveilleux niveau de vie. Je dois vous avouer que j’ai du mal à envisager une existence digne de nous sans toutes ces glorieuses conquêtes de notre Illustrissime Humanité contemporaine, et je trouverai même absolument injuste que nous soyons obligés de sacrifier ainsi ce qui fait pour nous l’agrément de nos inexistences parfaites. Je ne peux même pas imaginer que des êtres aussi fiers, à juste titre naturellement, que nous le sommes devenus puissent régresser au point de devoir de nouveau apprendre à marcher pour aller acheter notre pain sans prendre nos indispensables 4x4 pour ce faire, ces véhicules irremplaçables par ailleurs pour la sécurité des enfants que l’on va chercher à l’école dans la rue voisine et qui peuvent ainsi se cultiver en regardant la TV tandis qu’on les ramène chez eux, leur épargnant par la même occasion de subir les ignominies de la vie dont ils pourraient accidentellement voir ce qu’il en reste par la fenêtre… Ou encore imagineriez-vous survivre tout un été, et même le Printemps et parfois l’Automne en attendant l’hiver, en bref toute l’année, une survie entière donc sans air conditionné ; ou encore quelques heures sans informations ; ou pire encore, quelques moments en silence, j’entends sans bruit ? Ce serait parfaitement insoutenable j’en suis bien conscient. Pourtant cela ne s’arrêterait pas là, loin s’en faut, car il faudrait envisager encore bien d’autres sacrifices qu’il m’est trop pénible d’énumérer ici tant il y en aurait et tant cela me peinerait d’en envisager seulement la possibilité.
Mais la conséquence la plus grave à mes yeux de notre changement de méthode de lévitation aurait une implication sérieuse et immédiate sur ce qui nous tient le plus à cœur, sur ce que nous avons conquis de haute lutte depuis trois siècles et qu’aucune société avant la notre n’avait pas même pu imaginer, j’entend par là ce qui constitue le socle sur lequel repose avec confiance notre Fierté d’êtres fiers : nos droits, ou plutôt notre Droit Sacré d’avoir tous les droits, possibles et impossibles, imaginables et inimaginables, existants et inexistants, concrets et virtuels, passés, présents et à venir, particuliers et globalisés, terrestres et extra-terrestres… Eh oui, cher concitoyen, aussi abominable que cela puisse vous sembler, nos Sacrés Droits et nos Droits Sacrés, ceux-là même que nous avons si brillamment respectés depuis trois siècles, j’entends Nos Droits de l’Homme, eh oui, eux-mêmes et mêmes eux sont désormais menacés. Et il se pourrait bien que nous dussions volontairement renoncer à avoir tous les droits sans exception afin de nous sauver du désastre imminent. Oh, je sais bien ce que signifierait une telle insanité ; cela voudrait dire que nous consentirions à descendre du trône dont nous avions chassé Dieu et à le laisser vacant. Est-ce possible ? En sommes-nous capables ? Sommes-nous suffisamment illustres pour descendre du trône dont nous nous étions emparés? Notre désormais légendaire Sagesse Orbitale nous permettrait-elle volontairement de ne plus nous prendre pour des dieux ou pour Dieu, ce qui, entre nous soit dit, prouverait notre supériorité sur Dieu qui, lui-même, n’a jamais atteint à cette grandeur de ne plus se prendre pour ce qu’il était pourtant bel et bien… Autrement dit, serions-nous capables de condescendre à faire semblant d’admettre, du sommet auquel nous sommes parvenus, que nous ne serions peut-être pas aussi haut que nous ne le pensions (afin d’écarter tout malentendu je crois vraiment que nous sommes même encore plus haut que nous ne le sommes). Je me demandais simplement si nous étions prêts à comprendre que notre Infinie Grandeur ne consisterait précisément pas à accepter que nous ne sommes finalement pas aussi omnipotents que nous ne le croyions, et que ce ne serait pas forcément déchoir de notre Eminentissime Dignité que de réaliser qu’en fin de compte nous ne pouvons pas tout, et qu’une nouvelle méthode de lévitation pourrait fort bien démarrer par cet acte de courage de notre part : souffrir qu’en étant incurablement mortels nous ne pouvons être ni dieux ni Dieu, et encore moins les deux à la fois, avec toutes les conséquences gigantesques que cela impliquerait.
Cher concitoyen, veuillez pardonner je vous prie les propos tenus plus haut qui auraient pu vous faire douter de ma foi totale et absolue en Notre Destin Immaculé à tous. Mais cette supercherie fût nécessaire afin de vous faire prendre conscience de l’enjeu. Oui, je sais parfaitement bien qu’une nouvelle méthode de lévitation est une utopie, et je sais tout aussi bien que notre Eminentissime Dignité ne nous permet pas d’en envisager une autre. Accepter que nous soyons mortels, et qu’en conséquence de quoi nous ne soyons ni dieux ni Dieu, est une folie que seul un individu drogué à la cigarette pourrait proposer. C’est d’ailleurs probablement pour cette raison que fumer est désormais interdit pour notre bien à tous, au nom de notre Sécurité Sainte et Bien-Aimée.
Oui, cher concitoyen, je suis fanatiquement persuadé du caractère inéluctable de notre méthode de lévitation ; j’aime et j’admire sans réserves notre méthode de lévitation qui est de loin la plus admirable de toutes puisqu’elle aura pour conséquence de nous faire léviter tous ensemble, et en même temps qui plus est, dans une apocalypse digne des dieux que nous sommes. Je comprends bien que Notre Illustrissime Humanité ne peut se permettre de régresser au point d’admettre Sa mortalité ; quelle ignominie ne serait-ce pas, en effet ! Combien plus noble en comparaison est la voie choisie d’un suicide assumé qui ne laissera rien ni personne derrière nous, puisque nous ne pouvons revenir en arrière mais uniquement aller de l’avant. A la rigueur Nous pourrions laisser quelques survivants devant Nous mais serait-ce bien digne de Notre Grandeur ? Non, je ne le crois pas, car le suicide collectif est notre destin, le point culminant de notre méthode de lévitation, sa réussite complète et parfaite. C’est pourquoi j’ai bien compris, depuis longtemps d’ailleurs, que notre suicide grandiose représente l’achèvement de notre progrès bien aimé, que seule notre espèce divine aura eu le génie illimité de réaliser. Et puis ne rien laisser derrière Nous, quel panache, non ! Nous et puis rien…

Donc, pour en revenir à notre campagne électorale, je crois pouvoir affirmer qu’au nom de notre Dignité Eminentissime nous pouvons voter pour n’importe lequel des candidats les yeux fermés, assurés comme nous le sommes désormais que chacun d’eux fera de toute manière le maximum pour que Notre Grand Œuvre, j’entends Notre Suicide Collectif, se fasse de la manière la plus réussie et la plus accélérée possible, et surtout qu’au nom de notre fétiche Egalité nous soyons tous conforté par l’assurance qu’il n’y aura aucun laissé pour compte. A cette réjouissante perspective je dois avouer que tous les candidats sans exception sont d’une intégrité et d’un professionnalisme qui les honorent et qui me fait poser une dernière question :
Ne devrions-nous pas les élire tous ensemble afin d’être vraiment sûrs de réaliser Notre Destin de la meilleure manière et le plus rapidement possible?

dimanche 12 avril 2009

Petite histoire de la crise financiere pour les sains d'esprit...

Nous nous contenterons ici de raconter et de tenter d’expliquer comment ce que l’on appelle « la crise », c'est-à-dire la composante financière du désastre avec lequel nous commençons seulement à faire connaissance et dont nous n’avons vu pour le moment qu’une infime partie, comment donc cette crise financière s’est développée dans l’ombre pour finir par exploser. Contrairement à ce que l’on nous raconte cette catastrophe qui menace de nous submerger n’a pas débuté par l’écroulement des banques ; ce n’est là qu’un des symptômes d’un phénomène beaucoup plus vaste et bien plus grave dont les prémisses sont contemporaines des premières décennies de ce que l’on a appelé l’époque moderne.
En nous en tenant pour le moment uniquement à l’histoire de cette crise financière nous devrons revenir quelques années en arrière lorsque l’Administration Clinton commença à lâcher les rênes aux banques et aux institutions financières. Rassurez-vous nous serons en pays de connaissance, car si les années ont passé et ne se ressemblent pas forcément, les individus eux non seulement n’ont pas passé de mode mais sont donc toujours là, fidèles aux postes. Vous verrez dans la longue suite de cet article que cela pourrait bien expliquer les nombreuses et coûteuses bizarreries qui se produisent sous nos yeux en ce moment même.

- Dérégulations

USA - Années 1999-2000 – L’administration Clinton est sur le départ. Un certain Larry Summers, ancien numéro deux du Trésor sous Robert Rubin (ex banquier chez Goldman Sachs pendant 26 ans, Secrétaire au Trésor 1995 – 1er Juillet 1999) promu au poste de Secrétaire au Trésor (1er Juillet 1999-2001) lorsque son supérieur Robert Rubin déjà cité, devint vice-président de Citigroup ; Summers réussit alors à convaincre le Président Clinton de signer certaines propositions de lois d’origine républicaine afin de leur donner force de loi. Ce qui advint. Quelles furent ces lois ?
- La première (12 Novembre 1999) consista à abroger la loi de 1933 « Glass-Steagall » qui fût crée et votée en pleine Dépression pour interdire la fusion de banque de dépôt et de banque d’affaire. Même si cette loi était déjà battue en brèche depuis des années la constitution de la banque Citigroup n’aurait pu se faire sans elle (pure coïncidence bien sûr avec le fait que Robert Rubin devint vice-président de cette même banque après avoir été Secrétaire au Trésor.: « In November 1999, senior regulators—including Mr. Greenspan and Mr. Rubin—recommended that Congress permanently strip the CFTC of regulatory authority over derivatives. » (Source : NY Times). Monsieur Rubin démissionna de Citigroup le 9 Janvier 2009 après avoir touché $ 126 millions au cours de ces neuf années passées dans cette banque, probablement pour services rendus…
- La seconde loi fût le « Commodity Futures Modernization Act », signée par le Président Clinton le 21 Décembre 2000 ; elle abrogeait le « Shad-Johnson Juridictional Act » de 1982 qui interdisait les « Single stock Futures » et fût fortement recommandée par certains qui ne nous sont pas inconnus :

« In November 1999, senior regulators—including Mr. Greenspan and Mr. Rubin—recommended that Congress permanently strip the CFTC of regulatory authority over derivatives. » (Source: NY Times).

Cette seconde loi empêchait l’Agence Gouvernementale US de régulation (CFTC) d’avoir un quelconque contrôle sur le marché des dérivés financiers, tels que les fameux « credit default swaps » qui provoquèrent la catastrophe de AIG, ces mêmes produits que Warren Buffet catalogua comme : « weapons of financial mass destruction ». Cette loi a été citée par de nombreuses personnalités de l’économie comme ayant été à l’origine directe de la faillite d’Enron en 2001 et de la crise générale d’insolvabilité de Septembre 2008 qui mena à la faillite de Lehman Brothers, sans parler des plans massifs de sauvetage de AIG et des banques US sur lesquels nous reviendrons un peu plus loin.
L’actuel Secrétaire d’Etat au Trésor Timothy Geithner, quant à lui, servira sous deux de ses prédécesseurs de 1999 à 2001 : Robert Rubin et Larry Summers, désormais lui-même « Obama’s Chief Economic Advisor ». Ce qui permet d’affirmer que ceux que l’on a chargé d’endiguer la crise sont les mêmes que ceux qui l’ont provoqué en faisant passer des lois qui abrogèrent toutes les régulations antérieures qui avaient permis de protéger l’économie et les marchés contre les excès dus à la cupidité humaine qui engendre souvent des prises de risques irresponsables.

- Septembre 2004 : Alerte du FBI sur le danger que recèlent les produits dérivés et le parallèle avec la « S&L crisis ».

Cette dérégulation massive des produits dits dérivés entraîna des excès très rapidement (dés 2001 avec l’affaire Enron) au point que le FBI rédigea un rapport sonnant l’alarme sur le danger que cela pouvait entraîner. C’était en le 17 Septembre 2004:

Rampant fraud in the mortgage industry has increased so sharply that the FBI warned Friday of an "epidemic" of financial crimes which, if not curtailed, could become "the next S&L crisis." (Source: CNN 17.09.04).

La crise des « Savings and Loans » sévit entre 1980 et 1993, période durant laquelle plus de 1600 banques firent faillite ou bénéficièrent d’une aide du FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation). Cette crise financière d’origine immobilière fût en partie due à une mauvaise gestion des dépôts, à des prêts risqués attribués de manière inconsidérée et surtout à des fraudes ; cette crise coûta environ $150 milliards aux contribuables américains (1993). Le FBI avait raison. La crise dite des subprimes qui déclencha le désastre dans lequel nous sommes plongés aujourd’hui fût en quelque sorte « the next S&L crisis ». Ce qui est encore plus affligeant est qu’à l’époque de ce rapport la crise aurait pu être évitée. Malheureusement personne ne fît rien pour l’éviter, bien au contraire puisque les prêts douteux furent encouragés sans aucune restriction ni vérification de la qualité des emprunteurs. Si le FBI avait raison de tirer le signal d’alarme il ne pouvait imaginer combien l’échelle de la crise précédente (S&L) paraîtrait enviable en comparaison de ce qui allait exploser au grand jour quatre ans plus tard (Septembre 2008).

- Une épidémie de fraudes.

Une dérégulation systématique de l’utilisation des produits dérivés, l’absence presque complète de contrôle de ces mêmes opérations de la part d’un organisme institutionnel et des systèmes de compensation douteux aboutit immanquablement à la création spontanée d’un environnement encourageant la fraude comptable et le maquillage des pertes. Le schéma en est relativement simple même si cela parait aujourd’hui incroyable.

- L’emprunteur mentait à la banque en lui donnant de faux renseignements sur ses capacités à rembourser le prêt demandé et sur l’utilisation du bien immobilier qu’il achetait. D’après le FBI une grande partie des fraudes vinrent du fait que les acheteurs déclaraient que le bien immobilier pour lequel ils empruntaient serait leur résidence afin de bénéficier des avantages y afférant. Dans la majeure partie des cas c’était faux car ils n’achetaient qu’avec l’idée de revendre rapidement en spéculant sur la hausse de l’immobilier pour faire une rapide plus-value à la revente avant d’être contraints de rembourser un emprunt auquel ils ne pouvaient faire face depuis le départ.
- D’après le FBI les prêteurs de première instance, c'est-à-dire les établissements qui prêtaient de l’argent à des individus pour acheter un bien immobilier, furent complices de leurs clients dans 80% des fraudes, voire les encourageaient à ne pas dire la vérité pour avoir des contrats plus intéressants. C’est ce qu’on appelait les « liar’s loans » avec lesquels furent constitués les fameux « produits dérivés ». Afin d’améliorer leurs profit à court terme les banques accordèrent de plus en plus de prêts à des emprunteurs de moins en moins solvables et n’offrant aucune garantie. Pourquoi ? D’une part parce-que chaque dossier traité rapportait de l’argent à la banque, d’autre part plus le prêt était risqué pour la banque plus le taux d’intérêt du prêt était élevé, sans compter la revente aux établissements qui les transformeraient en produits dérivés. Pour éviter d’avoir à refuser une opération aussi lucrative les banques ne vérifiaient même plus les informations mensongères données par les emprunteurs quant elles prenaient encore la peine d’en demander ; c’est ainsi qu’on se rend compte aujourd’hui que bien souvent les demandes de prêt ne contiennent aucune information sur l’emprunteur (ce qui a des conséquences importantes aujourd’hui sur lesquelles nous reviendrons plus loin). La fraude était si répandue que n’importe qui aurait pu s’en apercevoir immédiatement en regardant une simple demande d’emprunt, ce qui se produisit après le début de la crise lorsqu’un analyste de l’agence de notation Fitch finit par faire une enquête sur le problème en Novembre 2007 :

In the absence of effective underwriting, products such as “no money down” and “stated income” mortgages appear to have become vehicles for misrepresentation or fraud by participants throughout the origination process.”(Source: The impact of poor underwriting practices and fraud in Subprime RMBS performance – Fitch Report 13 November 2007).

Fitch believes that much of the poor underwriting and fraud associated with the increases of affordability products was masked by the ability of the borrower to refinance or quickly resell the property prior to the loan defaulting, due to rapidly increasing home price.”(Source: The impact of poor underwriting practices and fraud in Subprime RMBS performance – Fitch Report 13 November 2007).

“…the results were disconcerting, in that there was appearance of fraud in nearly every file we examined.”(Source: The impact of poor underwriting practices and fraud in Subprime RMBS performance – Fitch Report 13 November 2007).

- Les banques et institutions financières qui achetaient sciemment ces « liar’s loans » aux établissements prêteurs et qui les regroupaient dans des « pools » pour créer des dérivés financiers (fondés sur des prêts à des individus insolvables, ou sans aucunes garanties) ne vérifièrent jamais la qualité de ces mêmes prêts. Et ces nouveaux produits dérivés furent revendus à des investisseurs qui ne se préoccupèrent de rien non plus. Pourquoi ?
- Parce-que ces « pools » comme on dit, ces regroupements de prêts douteux à hauts rendements, à court terme en tout cas, bref ces dérivés financiers bénéficiaient de notes positives de la part des agences de notation. C'est-à-dire que tous ces « toxics assets » étaient notés AAA ce qui signifie « sans aucun risque » ou « risk free », c'est-à-dire l’équivalent des Bonds du Trésor US. Non seulement ces agences de notation donnèrent les meilleures notations à ces bombes à retardement mais en plus elles ne firent aucun contrôle pour s’assurer que ce qu’elles disaient était vrai jusqu’au jour ou le marché se retourna et ou ses acteurs commencèrent à se pencher sur la question. Ce fût en 2007. C’était trop tard.

- Le rôle des agences de notation.

Le rôle des agences de notation, « credit ratings agencies », est absolument essentiel pour comprendre ce qui s’est passé. Entre 2000 et 2007 Wall Street émit une énorme quantités de nouveaux produits financiers, dits « dérivés », « subprimes », CDO, toujours plus complexes et basés sur les « liar’s loans ». Ces nouvelles inventions étaient si compliquées que plus personne ne comprenait ce que cela recouvrait. De plus il faut garder à l’esprit que dans ce contexte entièrement dérégulé (voir plus haut) il n’y avait plus aucun garde-fou contre ce que le FBI nomma « an epidemic of financial crime ». Lorsque le Rep. Henry Waxman déclara le 22 Octobre 2008 (dans le cadre de l’enquête du Congrès sur le rôle des agences de notation dans la crise), que « the leading rating agencies are essential financial gatekeeper » (1), il sous-estimait le problème ; elles n’étaient pas « essential » elles étaient les seules et uniques « gatekeepers » encore en place puisque le gouvernement avait abandonné son propre rôle de « gatekeeper » de dernier ressort. Le problème majeur était désormais de savoir jusqu’à quel point leurs avis pouvaient rester suffisamment indépendants pour guider les investisseurs correctement. D’où l’importance fondamentale et involontaire que prirent les agences de notation dans l’achat et la vente de ces produits :

- les investisseurs ne pouvaient plus se fier qu’aux notes de ces agences pour savoir, non pas ce qu’ils achetaient puisque personne n’en savait rien, mais bien la qualité de leurs achats, c'est-à-dire leur fiabilité, leur perméabilité au risque.
- les banques qui créaient ces produits dérivés à partir de prêts immobiliers à risque, ces « liar’s loans », avaient besoin des agences de notation pour inciter les investisseurs à acheter leurs produits hautement toxiques. Ils avaient un besoin vital de voir ces derniers se transformer miraculeusement en cash machine dés qu’ils obtenaient la note magique AAA grâce à laquelle les investisseurs se précipitaient pour les acquérir.

Ces deux facteurs accrurent la pression sur les agences de notation et malheureusement l’indépendance de ces dernières fut mise encore plus à mal lorsqu’elles virent leurs revenus affectés de manière spectaculaire par leurs attributions de notes AAA à ces produits dérivés plus que douteux crées par les banques : ils passèrent de $3 milliards en 2002 à $6 milliards en 2007 (1). C’est ainsi que les agences de notation finirent par attribuer leurs notes AAA sans même demander les documents qui pouvaient leur permettre de soumettre la solidité des produits à leurs propres analyses sur lesquelles reposait la confiance des investisseurs. Cette manière de faire était déjà en place dés l’année 2001 comme le prouve ce qui suit :

In 2001 Mr Raiter (from S&P) was asked to rate an early collateralized debt obligation called “Pinstrip”. He asked for the collateral tapes so he could assess the credit worthiness of the home loan backing the CDO. This is the response he got from Richard Gugliada, the managing director:
“Any request for loan level tapes is TOTALLY UNREASONABLE!!! Most investors don’t have it and can’t provide it. Nevertheless we MUST provide a credit estimate…
It is your responsibility to provide those credit estimates and your responsibility to devise some method for doing so.”
Mr Raiter was stunned. He was being directed to rate “Pinstrip” without access to essential credit data. He e-mailed backed:”This is the most amazing memo I have ever received in my business career
.”(1) (Les lettres en majuscule et les points d’exclamation sont d’origine).

Comme on le voit dés le début, c'est-à-dire dés que la dérégulation fût effective (2000-2001), le système d’aveuglement volontaire, c'est-à-dire de fraude, était en place à tous les niveaux, les sommes en jeux étant trop importantes pour être ignorées. Les agences de notation n’eurent donc pas d’autres solutions que d’occulter volontairement les documents qui leur auraient permis de se faire une opinion indépendante sur les produits que les banques leur demandaient de noter AAA si elles voulaient continuer à voire leurs profits exploser. Sans quoi elles n’auraient eu que deux choix : 1) soit déclarer ces produits comme hautement dangereux ou « toxic assets », ce qui les rendaient invendables. 2) soit prouver leur participation dans la fraude générale en les notant favorablement après avoir examiner des documents qui prouvaient sans aucuns doutes combien ces produits étaient dangereux.
On connaît leur choix.

The story of the credit rating agencies is a story of colossal failure. The credit rating agencies occupy a special place in our financial markets. Millions of investors rely on them for independent, objective assessments. The rating agencies broke this bond of trust, and federal regulators ignored the warning signs and did nothing to protect the public. The result is that our financial system is now at risk.”(1)

En vérité les agences de notation trompèrent les investisseurs en ignorant délibérément les documents qui auraient pu leur permettre d’alerter le monde entier sur les dangers encourus par l’achat de « produits dérivés ». Par cette ignorance volontaire elles renièrent leur raison d’être et permirent à la catastrophe que nous connaissons d’arriver.

- « Sauver le système bancaire » : qu’est ce que cela signifie ?

Aujourd’hui nous faisons face aux conséquences de sept ou huit années de folie irresponsable au cours desquelles tous les acteurs jouèrent avec le feu pour finir par faire sauter la maison toute entière. La maison est en flamme mais contrairement à ce qu’il serait rassurant de croire tout n’a pas encore fini de brûler et il reste encore beaucoup de braises incandescentes sous la cendre. Prévenir une recrudescence de l’incendie et l’écroulement de la bâtisse toute entière est la préoccupation principale du gouvernement US. Dans cette perspective le gouvernement US n’a d’ailleurs pas ménagé sa peine puisque les plans se succèdent les uns après les autres depuis le mois de Septembre, tous avec le même objectif officiel : sauver le système bancaire de la faillite. Mais qu’est-ce que cela signifie réellement ? Qui dans le système bancaire US est en banqueroute aujourd’hui ? En d’autres termes combien de banques sont-elles concernées par le risque de faillite à cause des produits dérivés? 1000, 500, 100 ou 10 ?
Apparemment seulement cinq !

Today, five US banks, according to data in the just-released Federal Office of Comptroller of the Currency’s Quarterly Report on Bank Trading and Derivatives Activity, hold 96% of all US bank derivatives positions in terms of nominal values, and an eye-popping 81% of the total net credit risk exposure in event of default. The top three are, in declining order of importance: JPMorgan Chase, which holds a staggering $88 trillion in derivatives; Bank of America with $38 trillion, and Citibank with $32 trillion. Number four in the derivatives sweepstakes is Goldman Sachs, with a mere $30 trillion in derivatives; number five, the merged Wells Fargo-Wachovia Bank, drops dramatically in size to $5 trillion. Number six, Britain's HSBC Bank USA, has $3.7 trillion.”(Source : William Engdhal – Asia Times (2)

Les chiffres cités ne sont pas croyables, ils semblent inventés et nous avons même cru à une erreur en en prenant connaissance si bien que nous sommes allés vérifier par nous-mêmes sur le site du gouvernement. Et nous sommes au regret de devoir vous les confirmer (sources : http://www.occ.treas.gov/). Pour résumer les positions de ces cinq banques US représentent 96% des positions sur les dérivés de toutes les banques US pour une somme de (accrochez-vous à votre siège !) $193 trillions de dollars… (Toujours là ?)…
Que nous révèlent ces chiffres invraisemblables ? Ils nous montrent que les cinq banques les plus importantes de Wall Street sont les plus exposées aux risques d’insolvabilité (81% du total) par leurs folles prises de risques. Nous pouvons remarquer d’ailleurs que la plupart de l’argent sorti de la planche à billet de la Réserve Fédérale, c'est-à-dire de la poche du contribuable américain, n’a servi qu’à renflouer directement ou indirectement ces cinq banques, y compris le renflouement d’AIG et le dernier plan PPPIP concocté par le Secrétaire au Trésor Geithner. Or ces plans n’ont jusqu’à présent servi à rien sinon à gaspiller de l’argent qui aurait été nettement plus utile s’il avait été employé à d’autres fins, comme par exemple mettre sur pied un système d’assurance et de chômage décent, surtout au moment ou ce dernier s’accroît à une moyenne de 600.000 personnes par mois. La question qui nous vient à l’esprit est la suivante : pourquoi tous ces plans qui ont déjà coûté à peu près $ 2.000 milliards ne parviennent-ils pas à éponger les dettes de ces banques ? Car dans l’hypothèse où il soit impératif de les sauver de la faillite (ce qui est plus que discutable) pourquoi ne pas leur donner toutes les sommes nécessaires pour les sortir du trou et gagner du temps contre la crise qui se déploie toujours plus au fur et à mesure que le temps passe ? Pourquoi ne pas dire ce dont elles ont besoin une fois pour toute ? Nous avons effleuré la réponse à cette question plus haut. C’est très simple : d’une part çà leur est impossible parce que personne ne sait quels sont les montants des pertes réelles, à commencer par les banques elles-mêmes, et d’autre part elles ne veulent pas révéler les montants des pertes qu’elles connaissent car cela montrerait qu’elles sont insolvables ce qui les placeraient aussitôt sous le coup de la loi PCA. En effet comment pourraient-elles connaître la totalité de ces montants puisqu’elles ne possèdent même pas de dossiers d’emprunts fiables (quant il y en a !), ces « liar’s loans » sur lesquels elles ont bâtis leur châteaux de cartes ; c'est-à-dire à partir desquels tous ces produits financiers ont été constitués en pools, revendus, triturés et torturés jusqu’à ce que plus personne ne sache qui possède quoi, à part des chiffres truqués et gonflés démesurément à chaque étape du désastre, chiffres qui n’ont plus aucun rapport avec le monde concret. Ce ne sont plus que des signes étranges inscrits sur du papier, ou plutôt sur des écrans d’ordinateurs trop stupides pour signaler que quelque chose ne tourne pas rond, des hiéroglyphes devenus incompréhensibles pour ceux là même qui les ont inventé. C’est pour cette raison que les plans de sauvetage succèdent aux plans de sauvetages car les banques sont incapables de faire face à chaque fois qu’une perte ou une nouvelle dépréciation d’actifs les surprend et vient s’ajouter aux précédentes ; et ce d’autant moins qu’elles ne peuvent matériellement pas prévoir ce qui va leur tomber dessus d’un mois à l’autre puisqu’il n’existe pas les pièces nécessaires à établir l’étendue de la catastrophe. Mais est-ce bien la seule raison ?

- L’oligarchie ?

Depuis plusieurs semaines de nombreuses voix se font entendre et trouvent un écho de plus en plus grand dans les médias et auprès du public pour protester contre le traitement de faveur réservé par le gouvernement US aux banques de Wall Street, celles là mêmes qui sont en grande partie responsable de ce qui est arrivé. Deux questions sont adressées publiquement sous forme d’exigences de plus en plus fortement exprimées :
- La première est la suivante : Pourquoi le gouvernement US ne place t’il pas ces banques en faillite sous « receivership » comme l’exige le système de régulation financière mis en place en 1991 pour éviter qu’une nouvelle catastrophe comme la « Savings & Loans Crisis » ne se reproduise ? Il s’agit du « Prompt Corrective Action » ou PCA grâce auquel une première crise des subprimes fût étouffée dans l’oeuf en 1992-1993. M. William Black (former Director for the Institute for Fraud Prevention) explique très clairement ce que prévoit le PCA dans le cas ou une banque est insolvable :

Whatever happened to the law (Title 12, Sec. 1831o) mandating that banking regulators take "prompt corrective action" to resolve any troubled bank? The law mandates that the administration place troubled banks, well before they become insolvent, in receivership, appoint competent managers, and restrain senior executive compensation (i.e., no bonuses and no raises may be paid to them). The law does not provide that the taxpayers are to bail out troubled banks.”(Source: Huffington Post – 23.02.09 – William Black (3 voir bio à la fin de l’article))

We have a law that says when banks are at or near insolvency private shareholders should be eliminated unless we can arrange a transaction that has no cost to the FDIC. Receiverships produce "private institutions." The FDIC manages the failed institution only long enough to get it in shape to be sold at the least cost to the taxpayers. Receiverships end unnecessary bailouts of private shareholders, reducing the cost to the FDIC, as the law requires. Receiverships place banks back in the hands of new shareholders” (Source: Huffington Post – 23.02.09 – William Black (3)

La seconde question qui fait suite à la première est la suivante
- Pourquoi le Congrès n’a-t-il pas constitué une commission d’enquête sur les causes de cette crise, comme celle qui avait été mise sur pied en 1933, la fameuse Pecora Commission, afin de comprendre ce qui s’était passé pour éviter que cela ne se reproduise à nouveau ?

Pourquoi n’applique t’on pas le PCA pour assainir la situation des banques le plus vite possible et se donner ainsi une chance de se sortir le moins mal possible de cette dépression puisque tout est déjà prévu par la loi pour assainir les banques et les revendre aux moindres coûts pour le contribuable américain.?
Si officiellement personne n’a jamais répondu à cette question, certains ont soutenu que les banques étant la propriété de holdings et la loi ne s’appliquant pas à ces entités mais exclusivement aux banques, cela empêcherait la mise sous « receivership » de ces banques pourtant bel et bien américaines (surtout lorsqu’il s’agit d’être renfloué à moindre coût par le Trésor US). Argument extrêmement faible et spécieux qui ne peut cacher la volonté d’épargner aux actionnaires et aux dirigeants de ces établissements les conséquences de leurs irresponsabilités et de leurs malversations comptables. Voici ce que déclare Mr Black à ce propos :

“… banks are the issue. U.S. banks have FDIC insurance and are subject to the PCA law, regardless of whether they are owned by a BHC (holding). Deposit insurance covers only insured banks, not BHCs, so the FDIC, the Treasury and the taxpayers do not owe any obligation to pay their creditors. If the commentator is worried that BHCs will escape receivership, s(he) need not fear. BHCs and insurance companies such as AIG are subject to the bankruptcy laws, which can be used to block and even “claw back” excessive and fraudulent executive compensation. (Treasury is also requesting Congress to grant it authority to place BHCs and some insurers into receivership.)”(William Black – “On the prompt Corrective Action Law”)

Par conséquent rien dans les textes ne s’oppose ni à l’application du PCA dans les plus brefs délais et encore moins à la constitution d’une commission d’enquête par le Congrès afin de comprendre ce qui s’est passé.
Y a-t-il une explication à ces bizarreries?
Au début du mois d’Avril Simon Johnson (ancien économiste en chef du FMI) a fait connaître publiquement sa version des faits, celle qui se trouve être la plus répandue aux USA, à la fois dans le public et de plus en plus ouvertement dans les médias. Ce fût un véritable pavé dans la mare non seulement en raison de la comparaison qu’il fait entre les USA et une « banana republic » mais aussi à cause de la caution qu’apporte sa position à cette vision des faits.

But I must tell you, to IMF officials, all of the crises looked depressingly similar. Each country, of course, needed a loan, but more than that, each needed to make big changes so that the loan could really work” (Simon Johnson – IMF former chief economist – The Atlantic)
(…)
No, the real concern of the fund’s senior staff, and the biggest obstacle to recovery, is almost invariably the politics of countries in crisis. Typically, these countries are in a desperate economic situation for one simple reason—the powerful elites within them overreached in good times and took too many risks. Emerging-market governments and their private-sector allies commonly form a tight-knit—and, most of the time, genteel—oligarchy, running the country rather like a profit-seeking company in which they are the controlling shareholders.” (Simon Johnson – IMF former chief economist – The Atlantic)
(…)
In its depth and suddenness, the U.S. economic and financial crisis is shockingly reminiscent of moments we have recently seen in emerging markets (and only in emerging markets): South Korea (1997), Malaysia (1998), Russia and Argentina (time and again).” (Simon Johnson – IMF former chief economist – The Atlantic)
(…)
But there’s a deeper and more disturbing similarity: elite business interests—financiers, in the case of the U.S.—played a central role in creating the crisis, making ever-larger gambles, with the implicit backing of the government, until the inevitable collapse. More alarming, they are now using their influence to prevent precisely the sorts of reforms that are needed, and fast, to pull the economy out of its nosedive. The government seems helpless, or unwilling, to act against the” (Simon Johnson – IMF former chief economist – The Atlantic)

Tout cela n’est-il qu’une vision de paranoïaque anti-capitaliste et néo-bolchevique de surcroît ? En réalité la plupart des critiques américains de la politique économique et financière du gouvernement US, et ils sont de plus en plus nombreux, ne sont pas le moins du monde anti-capitaliste et encore moins socialistes ou néo communistes. Chacun critique l’abrogation du Glass-Steagall Act et du Shad-Johnson Security Act de 1982, deux mesures qui furent directement à l’origine de la crise en ce qu’elles ont supprimé tous garde-fou à la « créativité » financière et à la malversation puisqu’il n’y avait plus de contrôle sur les marchés des produits dérivés. En ce qui concerne ces deux abrogations une autre critique existe également, une critique qui rejoint tout ce qui a été dit jusqu’à maintenant à propos de cette oligarchie financière et qui en précise les contours. Elle est bien résumée par William Engdahl :

What Geithner does not want the public to understand, his "dirty little secret", is that the repeal of Glass-Steagall and the passage of the Commodity Futures Modernization Act in 2000 allowed the creation of a tiny handful of banks that would virtually monopolize key parts of the global "off-balance sheet" or OTC derivatives issuance.” (Source: Asia Times)

Cette opinion est largement corroborée par les faits ; par exemple le lobbying intense qu’exercèrent ces banques au Congrès : on sait par exemple qu’elles dépensèrent $5 milliards (Source : William Engdhal – Asia Times (2) pour faire abroger les deux lois citées plus haut permettant la dérégulation tant controversée aujourd’hui mais acceptée alors par tout le monde, démocrates comme Républicains. Or nous savons que les cinq banques américaines (JP Morgan Chase, Citigroup, Bank of America, Goldman Sachs, Wells Fargo-Wachovia) qui détiennent à elles seules 96% du marché des dérivés aux USA et se partagent 81% des risques (Sources déjà citées) sont celles qui furent les plus actives à soutenir la dérégulation. Ce sont celles là également, comme déjà dit, qui sont les principales bénéficiaires des différents plans de soutiens successifs et ce sont elles encore qui fournissent régulièrement de hauts fonctionnaires au gouvernements et inversement. Ce sont elles qui concentrent les liens incestueux qui existent depuis une décennie au moins entre l’administration et le Congrès d’une part et Wall Street d’autre part. Il est de notoriété publique que de très nombreux passages se font en permanence de l’un à l’autre comme le montrent éloquemment les cas de Robert Rubin (26 chez Goldman Sachs avant d’être nommé Secrétaire au Trésor pour finir Vice-Président de Citigroup) et de Henry Paulson (lui aussi CEO de Goldman Sachs avant de devenir Secrétaire au Trésor). Aujourd’hui les accusations contre ces liens qui frisent le conflit d’intérêt se font plus fortes au fur et à mesure que les sommes d’argent destinées à sauver ces banques augmentent à chaque plan qui passe tandis que les managers de ces établissements sont toujours aux commandes ; à ce titre la différence de traitement entre ces derniers et le Président de GM releva presque de la provocation et la presse US ne manqua pas de souligner ce fait; pendant ce temps le Secrétaire au Trésor et le Conseiller économique de la Maison Blanche d’aujourd’hui sont les pères fondateurs de la dérégulation d’hier !

- La réaction populaire.

Aujourd’hui même, le 11 Avril 2009, une série de manifestation est prévue à travers les USA, organisée en dehors des circuits officiels. Ces actions, dont on ne sait pas encore ce qu’elles donneront ni à quoi elles aboutiront, furent mises sur pied grâce à Internet (www.anewwayforward.org). Le but est de faire entendre l’opinion des américains aux membres du Congrès et de l’Administration, c'est-à-dire de les forcer à prendre des mesures contre les banques et l’oligarchie financière. Le programme brièvement résumé sur le site recoupe ce que prônent nombre d’économistes, y compris le prix Nobel d’économie Paul Krugman :

NATIONALIZE: Experts agree on the means -- Insolvent banks that are too big to fail must incur a temporary FDIC intervention - no more blank check taxpayer handouts.

REORGANIZE: Current CEOs and board members must be removed and bonuses wiped out. The financial elite must share in the cost of what they have caused.

DECENTRALIZE: Banks must be broken up and sold back to the private market with strong, new regulatory and antitrust rules in place-- new banks, managed by new people. Any bank that's "too big to fail" means that it's too big for a free market to function.

Cette série de manifestation est dirigée à la fois contre les banques et leurs dirigeants mais aussi contre le Congrès et l’Administration perçus tous les trois comme ayant les mêmes intérêts qui ne sont pas ceux du peuple américains. Pourtant que les gauchistes attardés de tous poils ne crient pas à la victoire du prolétariat car il ne s’agit nullement du grand soir mais bien de remettre le système sur ses pieds sans oligarchie mettant en cause l’indépendance du gouvernement, comme c’est désormais la perception justifiée que peuvent en avoir de nombreux Américains.

Le rêve tourne mal, mais nous sommes toujours en plein rêve, qu’on ne s’y trompe pas ! Les rêveurs font face à des problèmes qui les agacent mais qui, s’illusionnent ils, font toujours partie de leur trip. C’est pourquoi dirigeants comme dirigés cherchent des solutions pour résoudre leur cauchemar qui, toutes, font parties prenantes de leur état de somnambules agités. En effet, dirigeants comme dirigés ne divergent pas (pas encore) sur les fins mais sur les solutions à apporter à leurs problèmes puisque tous cherchent à perpétuer leur rêve commun pour toujours. Il s’agit donc de continuer à dormir le plus agréablement possible en éliminant tous les risques de réveil les menaçant.
Jusqu’à quand ? Quant le réveil se fera t’il ? Car ce que l’on nomme par convention “la crise”, elle, s’étend toujours plus, toujours plus vite et elle n’attend personne. Et plus on tarde à se réveiller plus il sera difficile de faire face aux problèmes qui se dressent face à nous tous, des problèmes qui ne se limitent pas, très loin de là, à une poignée de banquiers imbéciles ou à une question de liquidités ou même d’insolvabilité générale. Nous devrions même affirmer que ces questions constituent un paravent derrière lequel s’abritent les menaces véritables qui continuent à se développer inexorablement. Et les criailleries que l’on entend de tous côtés à ce propos ne font que masquer cette réalité de « la crise » qui a une ampleur telle qu’il nous faudrait des dirigeants dignes de ce nom, des hommes aptes à saisir la grandeur de la catastrophe qui nous menace tous. Pour le moment il n’y en a pas, ou en tous cas aucun ne s’est fait connaître.
Nous ressemblons à ces habitants de l’île de Pâques (4) qui coupèrent le dernier arbre de leur île après les avoir tous abattus les uns après les autres sans avoir pris aucune précaution pour en replanter, agités qu’ils étaient par leurs rivalités et leurs guerres intestines, aveuglés par leur immaturité tragique et leur incapacité à remettre en cause un mode de vie qui les condamnaient à la disparition.
Le dernier arbre abattu les fit-il sortir de leur rêve ?
Ce n’est même pas sûr…




(1) – Opening statement of Rep. Henry A. Waxman, Chairman, Committee on oversight and Government Reform – Credit Rating Agencies and Financial Crisis – October 22 2008-
(2) - F William Engdahl est l’auteur de: A Century of War: Anglo-American Oil Politics and the New World Order; and Seeds of Destruction: The Hidden Agenda of Genetic Manipulation. Son dernier livre: Full Spectrum Dominance: Totalitarian Democracy in the New World Order (Third Millennium Press) doit sortir en librairie à la fin du mois d’Avril.
(3) - Bill Black is an Associate Professor of Economics and Law at the University of Missouri – Kansas City (UMKC). He was the Executive Director of the Institute for Fraud Prevention from 2005-2007. He has taught previously at the LBJ School of Public Affairs at the University of Texas at Austin and at Santa Clara University, where he was also the distinguished scholar in residence for insurance law and a visiting scholar at the Markkula Center for Applied Ethics. He was litigation director of the Federal Home Loan Bank Board, deputy director of the FSLIC, SVP and General Counsel of the Federal Home Loan Bank of San Francisco, and Senior Deputy Chief Counsel, Office of Thrift Supervision. He was deputy director of the National Commission on Financial Institution Reform, Recovery and Enforcement. His regulatory career is profiled in Chapter 2 of Professor Riccucci's book Unsung Heroes (Georgetown U. Press: 1995), Chapter 4 (“The Consummate Professional: Creating Leadership”) of Professor Bowman, et al’s book The Professional Edge (M.E. Sharpe 2004), and Joseph M. Tonon’s
(4) - A lire sur ce sujet - Jared Diamond : « Collapse. How societies chose to fail or succeed. » - Viking Penguin 2005.
Edition française – Jared Diamond – “Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie. » - Gallimard 2006.