samedi 10 avril 2010

Collateral murder où la légalisation du mal.

Le 12 Juillet 2007 à Bagdad eut lieu ce que l’on nomme dans le jargon médiatique «une bavure» de la part de l’armée américaine, une parmi de très nombreuses autres.  Celle-ci coûta la vie à une quinzaine de personnes, toutes civiles, dont deux membres de l’Agence Reuters, un photographe et son chauffeur. Il est très probable d’ailleurs que personne ne se serait intéressé à l’affaire si Reuters n’avait pas tout tenté auprès des autorités incompétentes, notamment en faisant appel au «Freedom of Information Act», pour savoir ce qui s’était réellement passé et dans quelles conditions les deux membres de son personnel avaient été tués. Curieusement tous les efforts de Reuters pour éclaircir cette affaire, notamment la possibilité de visionner les enregistrements du dit «engagement», furent vains.


Lundi dernier le site www.wikileaks.org, spécialisé dans la publication de données classées confidentielles et destinées à rester inconnues du public, a mis en ligne la fameuse vidéo tant demandée par Reuters pendant des années. Grâce à une fuite. Un site spécial fût crée afin de permettre à qui le veut bien de visionner cette vidéo. 

Le site dont il s’agit est le suivant: www.collateralmurder.com.

Nous recommandons à tous nos lecteurs de bien vouloir passer 15 minutes de leur temps à regarder cette vidéo en prêtant la plus grande attention non seulement aux images mais surtout aux dialogues sous-titrés.

Pour parer immédiatement aux questions légitimes à propos de l’authenticité du document il convient de citer le site à ce propos:


« it goes "to great lengths to verify the authenticity of the information it receives" and has "analyzed the information about this incident from a variety of source material ».


Le New-york Times pour sa part eût la confirmation de la part d’un militaire de haut rang que le document était authentique. De plus il faut souligner que personne n’a remis en cause l’authenticité de la vidéo: ni le Pentagone, ni aucune instance politique où gouvernementale.


Depuis cette mise en ligne, reprise par YOUTUBE entre autre, plus de 4 millions de personnes en prirent connaissance. En réalité il y a deux versions de cette vidéo; l’originale qui dure à peu près 39 minutes et une version réduite par wikileaks à 17 minutes. Bien entendu on a tout de suite accusé la version plus courte d’être partiale et de ne montrer qu’une partie des faits en occultant ceux qui justifieraient ce qui s’est réellement produit. Mais en visionnant la vidéo originale il est difficile de trouver quoi que ce soit qui pourrait aider à atténuer un sentiment d’horreur. La version plus courte ne fait qu’éliminer la petite demi-heure au cours de laquelle il ne se passe rien qu’à attendre en tournant en rond au-dessus de la scène du massacre les troupes au sol qui viennent constater les dégâts.


D’horreur ? Certes il y a des morts. Mais toute guerre n’impliquait-t’elle pas des morts jusqu’à une période récente qui vit la création par les Américains d’un nouveau type de guerre où il ne devait plus y avoir de pertes humaines, de leur côté en tout cas (pour mémoire on estime à un million les morts irakiens depuis la «libération» de l’Irak). Et comment ce miracle pourrait-il bien se produire ? Grâce à la supériorité du matériel, où pour reprendre un mot doux à toute oreille occidentaliste, grâce à la supériorité de notre technologie. Voilà, il suffit d’avoir les armes les plus performantes, les plus puissantes bien entendu et les plus nombreuses bien évidemment (pour les plus grands bénéfices du complexe militaro-industriel) ceci pour éviter toute perte de la vie d’un de nos vaillant  héros se battant pour libérer tous ces peuples qui aspirent tous désespérément, et avec une unité si touchante!, aux bienfaits inouïs de notre système économique, démocratique, humanitaire, respectueux des droits de l’homme, de la femme, des enfants, des extra-terrestre, des animaux etc... 

Cette vidéo édifiante donne d’ailleurs un bon aperçu de nos méthodes pour y parvenir, un peu comme les trop fameux «bombardements humanitaires» pendant la crise des Balkans.


Nous ne reviendrons pas sur les images de cette vidéo puisque tout en a déjà été dit et qu’il ne sert à rien de commenter ce qui crève les yeux. Cependant nous renvoyons nos lecteurs à l’article de Raffi Katchadourian dans le New-Yorker du 5 Avril 2010 dans lequel il commente la vidéo dans la perspective de cinq «Army rules of engagement» que tout soldat US est censé observer avant d’engager le combat dans une zone qui n’est pas une zone de guerre ainsi que l’était Bagdad en 2007.

 

  • Proportion; toute action utilisant la force doit être proportionnée à la menace.
  • Identification; tout soldat doit identifier avec certitude l’individu qu’il veut tuer comme étant un belligérant.
  • Command culture; l’autorité donnant la permission de tirer ne doit pas être sur le terrain de l’affrontement. 
  • Les blessés où les individus déposant les armes, c’est à dire des personnes ne posant plus de menaces, ne doivent pas être prises pour cible.


Objectivement aucunes de ces «Army rules of engagement» ne furent respectées à l’exception de l’individu donnant l’autorisation d’ouvrir le feu qui n’était pas sur la zone des opérations (procédure en elle-même qui est très révélatrice de l’état d’esprit qui règne au sein du commandement) mais qui, au vu des rapports contradictoires qu’il recevait, aurait dû se poser un peu plus de questions sur l’opportunité d’ouvrir le feu où non, cela malgré l’insistance de ceux qui lui demandait la permission de tirer.

Car il saute aux yeux lorsque l’on visionne cette scène qu’il n’y a aucune menace de quelque sorte que ce soit ni de la part du premier groupe dans lequel figurent les membres de l’Agence Reuters, dont l’un porte la caméra qui sera immédiatement identifiée comme un RPG, et encore moins de la part du conducteur du mini-van qui porte secours au cameraman blessé gisant sur le trottoir.


Mais ce qui nous semble beaucoup plus significatifs que ces images ce sont les dialogues.


D’une part on est frappé par le calme qui émane de ces dialogues. Nuls cris, nulle excitation, nulle précipitation, aucune peur et encore moins de panique face à un soit disant danger mortel ne transparaissent au cours de ces 39 minutes de communications entre les pilotes et le centre de commandement; cela ressemble plutôt à un exercice dont il faut suivre les procédures pour ne pas avoir d’ennuis, une routine réglée jusque dans les moindres détails par des lois abstraites et généralement peu compréhensibles par ceux qui doivent les appliquer sur le terrain. C’est parfaitement normal puisqu’elles sont édictées à Washington par des ronds de cuir en fonction de préoccupations politique et par conséquent d’image, en bref de publicité sur fond de campagne électorale. Donc la routine, le train train de chaque jour qui revient sans cesse dans un pays inconnu peuplé de gens avec qui on n’a aucuns rapports véritables autrement qu’à travers une caméra, une balle de AK47 où autre colifichet. Cependant un mot revient tout au long des conversations, un mot qui semble à la fois un sésame et une barrière selon qu’on trouve sur le terrain ce qu’il recouvre où non; ce mot c’est «weapon», c’est à dire une arme dont la possession sert à distinguer un «insurgent» d’un simple civil. En théorie en tout cas car le problème c’est qu’à Bagdad en 2007 les civils ont le droit de porter des armes... Mais pour les équipages, et comme le prouve la vidéo, il est clair qu’un individu en possession d’une arme est immédiatement assimilé à un «insurgent» ce qui les conduit à ignorer dans la pratique les cinq «army rules of engagement» évoquées plus haut. Il ressort donc de ces dialogues que ces hommes sont tellement conditionnés qu’ils voient des armes partout et sur tout le monde ce qui leur permet accessoirement de se servir des leurs. C’est ainsi que la caméra de l’employé de Reuters se transforme naturellement en RPG et que n’importe quel objet devient un AK47. C’est ce que l’on appelle un «confirmation bias». 


«The video appears to depict a case of confirmation bias by the American helicopter pilots. Confirmation bias is the tendency of the human mind to unconsciously prefer information reinforcing existing beliefs. In this case, the fact the pilots were looking for armed insurgents made them predisposed to believe that any item carried by the persons were weapons.» (Sources : Christopher Albon - www.conflicthealth.com)


Nous avons repris quelques-uns des dialogues les plus saillants de cet enregistrement qui confirment tous ce «confirmation bias» dont nous parlions plus haut.

Voilà ce que l’on peut entendre après l’attaque contre le groupe de huit où dix personnes qui se trouvait dans la rue, dont le cameraman de Reuters qui portait un RPG, c’est à dire une caméra de tv. A noter que ce RPG a été d’une grande importance pour avoir l’autorisation de se servir des canons de 30mm de l’hélicoptère d’attaque au sol Appache contre ce groupe d’individus qui n’avait objectivement absolument aucune attitude menaçante en quoi que ce soit contre qui que ce soit. D’ailleurs ils ne semblaient pas non plus craindre cet hélicoptère qui tournait autour d’eux comme un frelon prêt à attaquer sa proie, ne se cachant pas ni ne courant s'abriter derrière des murs. Ils paraissaient très tranquilles ne se doutant de rien...

Après l’attaque la vidéo montre les corps sur le sol et l’on entend ceci:


«Oh yeah, look at those dead bastards!»

«Nice»

«Good shoot’n»

«Thank you»


On imagine sans peine le rose aux joues de celui que l’on félicite ainsi d’avoir massacré huit personnes sans défense. Il y a de quoi être fier effectivement tant le combat fût acharné.

Un peu plus tard l’équipage repère que l’un des «bastards» n’est pas mort et qu’il tenterait même de se relever. Il s’agit de l’un des membres de l’équipe de Reuters. On voit le viseur du canon se balader sur le corps du blessé mais malheureusement  l’une des «army rules of engagement» interdit de tirer car, apparemment, non seulement le «bastard» ne semble pas avoir d’armes sur lui mais en plus il ne parait pas se soucier d’en saisir une à proximité. C’est alors qu’on entend cela:


«Come on buddy! All you got to do is pick a weapon».


Allez un effort quoi, fais-moi plaisir, prends une arme que je puisse te shooter dans la tête, ce serait sympa... Il faut dire que ce doit être extrêmement frustrant comme situation ! Nous parlons de celle du canonnier évidemment.

Quelques temps après un mini-van arrive, stoppe près du blessé et le chauffeur en descend avec un autre individu pour porter le «bastard» dans la voiture. En bref, et pour des gens normaux, ils lui portent secours sous les yeux furieux des équipages qui réclament avec insistance la permission de tirer sur le van, ses occupants et ce «salaud» de blessé qui est en train de leur échapper et qu’ils voudraient bien achever . Eh oui ce sont des perfectionnistes et le travail doit être bien fait, surtout quant on sait le prix des heures de vol et des munitions... 

L’autorisation se faisant attendre on entend:


«Come on! Let’s us shoot!»


Cela ressemble un peu à une partie de ball-trap où plutôt à un tir aux pigeons.  

Après avoir enfin reçu l’autorisation de massacrer encore un peu si impatiemment attendue et réclamée, le canon de 30 mm fait son oeuvre de mort. Un petit cercle tranquille et puis on revient sur le lieu du crime pour s’assurer du résultat. C’est alors qu’on entend les exclamations satisfaites suivantes:


«Oh yeah, look at that ! Right through the windshield, ha, ha!»


Pas de doute la journée fût divertissante. Et en plus on a bien tiré, comme à l’exercice, où à la parade... On se congratule d’être si bons face à des cibles si difficiles à atteindre et surtout qui se sont montrées si menaçantes pour la sécurité des USA, de l’Occident, du monde dit «libre»; en bref de la planète et de l’humanité tout entière.

Peu après les troupes au sol arrivent pour inspecter le travail des hélicoptères. C’est là qu’elles découvrent les deux enfants criblés de balles mais vivants à l’intérieur du mini-van.

Commentaires des tueurs:


«Well, it’s their fault for bringing their kids into a battle», says one.

«That’s right», says another.


C’est vrai qu’il faut être complètement stupide pour emmener des enfants accompagner leur père dans une bataille entre un mini-van sans armes et un hélicoptère d’attaque au sol armé de canons de 30 mm. Ce sont des barbares ces Irakiens, cela ne fait plus aucun doute désormais.


C’est étrange mais bien que nous ne soyons jamais allé à Bagdad ces extraits de dialogues ne nous sont pas inconnus, à l’exception du dernier. Etes-vous déjà allés, cher lecteur, dans un de ces ciber-cafés où des hordes d’adolescents se regroupent pour jouer les uns contre les autres à des parties de jeux vidéo dans lesquelles deux équipes s’affrontent avec pour but de s’éliminer mutuellement à coup de grenades où de mitraillettes ? Non ? Eh bien allez-y et vous découvrirez que vous pourriez entendre quasiment ces dialogues cités plus haut dans la bouche de ces adolescents en train de se tirer dessus avec ravissement. Mais aussi avec le même détachement que les pilotes et les tireurs des hélicoptères de Bagdad; aucune émotion sauf lorsque l’on rate un coup où au contraire lorsque l’on est fier d’avoir tiré dans le mille, c’est à dire de s’être montré très habile où meilleur qu’un autre. 

Et puis il y a les félicitations comme celles-ci qui nous font un peu rougir:


«Oh yeah, look at those dead bastards!», says one.

«Nice», says another.

«Good shoot’n», says one.

«Thank you».


Où encore la légitime fierté d’avoir mis un beau coup au but:


«Oh yeah, look at that ! Right through the windshield, ha, ha!»


En écoutant tout cela Annah Arendt nous revint à l’esprit de manière insistante. Notamment lorsqu’elle écrivait, lors du procès d’Eichmann, à propos de l’irresponsabilité due au fait qu’il ne pensait pas et qu’en conséquence il ne pouvait avoir aucun jugement sur ce qu’il faisait où sur les ordres qu’il recevait. Tout ce qui lui importait c’était que ce soit légal. Tant que la loi l’autorisait à faire ce qu’on lui demandait il n’y avait jamais aucun problème, oserons-nous dire de conscience ? Mais si tout à coup quelque chose ne rentrait pas dans les rails de la légalité, la «conscience» d’Eichmann et de ses très nombreux semblables se révoltait. 

On retrouve ici cette situation paradoxale de devoir se mettre en accord avec la loi pour pouvoir commettre un crime:


«Come on buddy, all you have to do is pick up a weapon !»


Si le blessé fait mine de toucher une arme «the army rules of engagement» autorisent de l’achever à terre et blessé, sans autre forme de procès, sans se poser de questions. Objectivement aucun problème de conscience ne vient troubler notre homme. Aucune question, aucun doute, on applique les règles un point c’est tout; ces règles qui sont là pour nous protéger puisque l’on est «couvert». Appliquer les règles sans se poser de questions revient aussi à se protéger de la réalité.

C’est en ce sens que l’affirmation de Arendt selon laquelle, à travers l’exemple d’Eichmann, le mal n’a pas forcément de sources mystérieuses, diaboliques où surnaturelles est fondamentale; le mal est prosaïquement banal ce qui signifie qu’il est à la portée de n’importe qui.


«[c]et échec des juges de Jérusalem était lié à un autre : leur incapacité à comprendre le criminel qu’ils étaient venus juger. […] Il eût été réconfortant de croire que Eichmann était un monstre […]. L’ennui, avec Eichmann, c’est précisément qu’il y en avait beaucoup qui lui ressemblaient et qui n’étaient ni pervers ni sadiques, qui étaient, et sont encore, effroyablement normaux. Du point de vue de nos institutions et de notre éthique, cette normalité est beaucoup plus terrifiante que toutes les atrocités réunies, car elle suppose (les accusés et leurs avocats le répétèrent, à Nuremberg, mille fois) que ce nouveau type de criminel, tout hostis humani generis qu’il soit, commet des crimes dans des circonstances telles qu’il lui est impossible de savoir ou de sentir qu’il a fait le mal.» (Eichmann à Jérusalem où la banalité du mal - Hannah Arendt) 


Et à notre époque cela donne ceci, parmi d’innombrables autres occasions de toutes sortes:


«Well, it’s their fault for bringing their kids into a battle», says one.

«That’s right», says another.


Il leur est impossible de savoir où de sentir qu’ils ont commis un crime. Si aujourd’hui ils étaient traduit devant un tribunal pour l’assassinat de quinze personnes il est à parier que ces soldats seraient révoltés par une telle injustice, un tel manque de reconnaissance de la part de leur pays pour les services rendus par eux à celui-ci et à tous ses habitants; pour avoir, au péril de leur vie, contribué à la «libération» d’un pays aux mains d’un criminel qui s’apprêtait à produire des armes de destruction massive qui auraient menacé la sécurité de la planète tout entière; et par la suite pour l’avoir «pacifier» en réduisant les «terroristes» menaçant la liberté toute neuve de ce pays en route vers le paradis démocratique et capitaliste auxquels tous ses habitants sans exceptions ont toujours aspiré de toutes leurs forces... Ils pourraient également soutenir qu’ils n’avaient fait que leur devoir de soldat en accord parfait avec les règles qui étaient les leur (ce qui est vrai), c’est à dire ces règles même qui furent édictées par les autorités compétentes et légitimes du pays de l’armée duquel ils faisaient partie. En conséquence comment pourrait-on leur reprocher d’avoir agi comme ils l’avaient fait ? Comment ceux là même qui avaient édicté ces règles qu’on leur reprochait maintenant d’avoir suivi à la lettre pouvaient les traduire en justice ?


Vous pourriez penser, cher lecteur, que nous écrivons ces lignes avec ironie. N’en croyez rien car c’est exactement ce qui se produirait si ces soldats étaient traînés en justice aujourd’hui par des gouvernants où une hiérarchie militaire lâche et irresponsable tout à la fois. Ces soldats auraient parfaitement raison de clamer leur innocence car en vertu des règles et des lois qui étaient les leurs, et qui le sont toujours à l’heure où nous écrivons ces lignes, ils n’auraient fait aucune faute quand à la lettre même de ces règles. Et il faut s’empresser d’ajouter qu’on ne leur a jamais demandé d'interpréter quoi que ce soit, bien au contraire. D’ailleurs qui nous demande d'interpréter quoi que ce soit à Cochon sur Terre ? Qui met quiconque en mesure d'interpréter quoi que ce soit ? Car pour pouvoir interpréter une règle, c’est à dire pour pouvoir l’appliquer d’une manière où d’une autre, c’est à dire se donner la possibilité de pouvoir refuser de l’appliquer, il faut y penser, c’est à dire qu’il faut être capable de réflexion et donc de recul; de plus il faut pouvoir disposer d’un système de référents qui nous permettrait ce recul lui-même qui aboutit à faire un choix: soit on passe à l’action telle que prescrite par les règles soit on ne le fait pas en fonction d’un jugement qui nous est propre. Dans le cas contraire, c’est à dire dans le cas où on agit uniquement en fonction des règles édictées sans exercer notre faculté de pensée et par conséquent sans l’intervention de notre faculté de jugement, on n’agit plus comme des humains. 

Si la situation donnée correspond à ce que dit le manuel on appuie sur la gâchette, point final. On a alors la satisfaction d’avoir accompli notre devoir de sauveur du monde.


Ceux qui se récrieront sur cette tuerie, ceux qui demanderaient que justice soit rendue (à qui?), ceux qui s’indigneront bruyamment, tous ces cochons qui se lamenteront qui sur les militaires, qui sur les américains, qui sur la guerre d’Irak etc, tous ces cochons rateront complètement le coche, comme toujours. Car ces cochons ne feront que se récrier sur la conséquence et nullement sur la où les causes. Crier et s’indigner ne servira strictement à rien si ce n’est à ce donner bonne conscience à vil prix. 

Si l’on veut sérieusement se pencher sur la question il faut s’interroger non seulement sur ce qui peut provoquer de tels comportements m ais aussi sur la raison pour laquelle ils paraissent si banals à ceux qui les commettent comme à la majorité de ceux qui en ont connaissance, c’est à dire nous tous en fin de compte.  

Concluons avec Bernanos:  


«L’espèce de civilisation qu’on appelle encore de ce nom – alors qu’aucune barbarie n’a fait mieux qu’elle, n’a été plus loin qu’elle dans la destruction – ne menace pas seulement les ouvrages de l’homme : elle menace l’homme lui-même ; elle est capable d’en modifier profondément la nature, non pas en y ajoutant mais en y retranchant. Devenue plus ou moins maîtresse de nos cerveaux par sa propagande colossale, elle peut se donner, bientôt peut-être, un matériel humain fait pour elle, approprié à ses besoins.» (- Révolution et Liberté -).


Un matériel humain qui ne pense pas et qui exécute les ordres reçus sans se poser de questions; un matériel humain dont les «confirmation bias» ne lui sont même plus propres mais sont ceux de la société tout entière; un matériel humain devenu l’agent de la collectivité, c’est à dire un être si dégradé qu’il en est venu à abdiquer la faculté spécifiquement humaine de la pensée et du jugement. Un matériel humain coupé si complètement de ses semblables qu'il ne peut même plus s'identifier à ceux qu'il rencontre sur sa route, si totalement enfermé dans son petit monde d'autiste que les seules "relations" qu'il est encore capable d'avoir sont dictées par la peur et ne mènent généralement qu'à l'agressivité hystérique où à la dépression. Un matériel humain qui refuse la réalité en se refermant sur son petit monde fermé et douillet, autarcie mentale rendu possible grâce à ces artfacts technologiques dont nous sommes si fiers.

Un matériel humain, c’est à dire un robot de chair et d’os programmé par la collectivité tout en se proclamant un être libre.

Un matériel humain semblable à chacun d'entre nous.


Mais pour le moment tout le monde est content à Cochon sur Terre, le meilleur des mondes.


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