mercredi 26 août 2009

Yukio Hatoyama: le japon doit rompre avec la globalisation

Celui qui semble être bien parti pour devenir le futur Premier Ministre du Japon, Yukio Hatoyama, du Parti Démocrate du Japon (PDJ), a publié dans la revue mensuelle japonaise «Voice» un long article intitulé «My political philosophy». Il est bien entendu que c’est en vue des très prochaines élections législatives du 30 Août prochain, convoquées après la défaite électorale du Parti Libéral Démocrate (PLD), le parti au pouvoir depuis presque 50 ans sans interruption, lors des Municipales du mois de Juillet dernier.


C’est ainsi que, sauf surprise de dernière minute, assez improbable étant donné l’impopularité de l’actuel parti au pouvoir et du Premier Ministre, il semblerait donc que M. Yukio Hatoyama, Président du premier parti d’opposition (PLD), devienne le futur Premier Ministre du Japon. D’où l'intérêt de son texte puisqu’il est censé dévoiler la politique que son auteur compte appliquer s’il est élu.

Que peut-on retenir de ce texte intitulé «My political philosophy»?

Premièrement que le futur Premier Ministre du Japon a pris acte du décès de ce qu’il nomme la «globalisation US style», c’est à dire une globalisation crée, soutenue et orientée en fonction des intérêts des USA, dont il dénonce avec justesse la nuisance destructrice pour les sociétés dans lesquelles cette globalisation fait son mauvais oeuvre. Entre parenthèse, et après avoir parcouru 16.000 km en voiture à travers les USA depuis la fin Juin, je me demande vraiment si ce ne sont pas eux qui furent, paradoxalement, les premières victimes de cette globalisation dont les dégâts furent peut-être même encore plus dramatique ici qu’ailleurs en raison du manque de structures sociales capables d’y résister où seulement d’en atténuer les pires excès; sans parler de la volonté politique inexistante pour ce faire, bien au contraire.


«The recent worldwide economic crisis resulted from a way of thinking based on the principle that American-style free-market economics represents a universal and ideal economic order – and that all countries should modify the traditions and regulations governing their own economy in order to reform the structure of their economic society in line with global standards (or rather American standards).»

«The economic order or local economic activities in any country are built up over long years and reflect the influence of each country's traditions, habits, and national lifestyles. However, globalism progressed without any regard for various non-economic values, nor for environmental issues or problems of resource restriction. If we look back on the changes in Japanese society that have occurred since the end of the cold war, I believe it is no exaggeration to say that the global economy has damaged traditional economic activities and destroyed local communities.»

Deuxièmement M. Yukio Hatoyama prend acte de l’affaiblissement des USA, pour ne pas dire de leur effondrement, et de la crise du dollar qui sera appelé à être remplacé. Ce qui l’amène logiquement à conclure que le monde sera désormais multipolaire. Il campe donc sur les positions de la Russie, de la Chine, du Brésil et même de la France depuis le G8.

«The recent financial crisis has suggested to many people that the era of American unilateralism may come to an end. It has also made people harbor doubts about the permanence of the dollar as the key global currency. I also feel that as a result of the failure of the Iraq war and the financial crisis, the era of US-led globalism is coming to an end and that we are moving away from a unipolar world toward an era of multipolarity.»

Troisièmement il tire la conclusion de ce qui précède pour son pays: à savoir que le Japon doit se tourner désormais beaucoup plus franchement vers l’Asie, et ce aux dépends des USA, jusqu’à oeuvrer à la mise en place d’une monnaie régionale commune aux pays de l’ASEAN, la Chine, la Corée du Sud et le Japon.

«However, we should nonetheless aspire to move toward regional currency integration as a natural extension of the rapid economic growth begun by Japan, followed by South Korea, Taiwan, and Hong Kong, and then achieved by the ASEAN nations and China. We must therefore spare no effort to build the permanent security frameworks essential to underpinning currency integration.»

C’est un texte important pour deux raisons: d’une part le ton employé n’est pas en demi-teinte, il est plutôt franc et sans détour ce qui pour des japonais est inhabituel; cela indiquerait également qu’il ne s’agit pas d’un texte de propagande électorale; d’autre part ce texte révèle soudain à quel point une partie des dirigeants japonais, probablement bientôt au pouvoir, sont conscients du problème que posent désormais les USA pour le reste du monde et pour leur pays en particulier: leur situation économique, le dollar et bien entendu leur prétention hubristique à l’hégémonie mondiale dont l'irréalisme a été démontré par les échecs successifs en Irak et en Afghanistan. Jusqu’à présent seul le PLD avait mené la politique japonaise ce qui avait mis sous le boisseau les dissonances internes à ce sujet; en effet depuis la guerre le Japon s’était toujours aligné sur les USA et n’avait jamais véritablement fait preuve de volonté d’indépendance et encore moins d’opposition. Or ce texte montre qu’apparemment cette période d’alignement inconditionnel pourrait être révolue avec l’arrivée au pouvoir du PDJ qui prend acte de l’affaiblissement structurel des USA. Cela implique un changement de cap fondamental dans la politique du Japon qui devra être de deux sortes:

  1. Economiquement le Japon devra se tourner de plus en plus vers ses partenaires régionaux aux dépends des USA, affaiblis et ruinés, par conséquent débouché économique de moins en moins intéressant pour le Japon en comparaison de ses voisins en pleine croissance, en particulier la Chine (en tout cas officiellement).
  2. Le Japon devra revoir entièrement l’aspect militaire de son alliance avec les USA, tout aussi essentiel que l’économique. Car si ces derniers s’affaiblissaient au point de ne plus être en mesure d’assurer de manière convaincante la sécurité du Japon, comme de Taiwan, ce qui est déjà sérieusement mis en doute par tout observateur normalement constitué, et comme ce texte l’envisage clairement, il est bien évident que ces deux derniers Etats devront trouver un nouveau moyen de préserver leur indépendance. D’où l’idée d’une intégration régionale plus serrée, économiquement et politiquement, avec derrière la tête l’espoir que cela limitera les ambitions de la Chine et ses conséquences sur ses voisins, en emmaillotant cette dernière dans une organisation régionale à l’image de l’Union Européenne, comme envisagé dans le texte.


On peut donc avancer désormais que le dernier partenaire et soutien inconditionnel de poids des USA, hors UK (mais quel est encore le poids de ce pays ?), risque bien lui aussi de tourner casaque, certes graduellement, à moins que la situation ne s’aggrave soudainement; en ce cas on peut se poser la question de savoir ce que fera le gouvernement japonais avec sa montagnes de Bonds du Trésor. De plus le Japon continuera t’il lui aussi de financer la dette américaine les yeux fermés, même sans dégradation de la situation ? Dans la situation actuelle des USA ce sera une question plus que préoccupante, inutile de le préciser. C’est pourquoi, en cas de victoire de M. Hatoyama, l’attitude du Japon à la conférence du G20 en Septembre prochain donnera peut-être quelques indications sur la politique qui sera suivie par le nouveau gouvernement japonais vis à vis des USA, du dollar etc...

On peut également tenir pour acquis que les USA se retrouveront complètement isolés, à court où moyen terme, et que ce statut s'accélérera au fur et à mesure de la prise de conscience par le reste du monde de leur situation véritable. En vérité il ne reste plus grand monde pour se faire des illusions à se sujet, à part eux-mêmes. En Europe la cécité ne perd t’elle pas également du terrain ? A se remémorer à ce sujet la position de la France après le G8 (voir notre post du 09.07.10) où le Président français a affirmé officiellement la nécessité de remplacer le dollar comme monnaie de référence mondiale.

La Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil, la France et probablement l’Allemagne, et maintenant le Japon... Il semblerait que le compte à rebours s'accélère pour les USA et qu’un jour prochain les décisions se prennent sans eux et contre eux.




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