jeudi 12 novembre 2009

Fort Hood: le major Hasan et nous.

Un petit tour et puis s’en va ! Comme d’hab nous direz-vous avec raison. Oui, comme d’hab, et c’est pour cette raison que nous avons pris notre temps afin d’ajouter notre grain de sel sur cette histoire sinistre alors que presque tous l’ont oublié. Il est vrai que cela s’est passé il y a une semaine déjà... Considérable...

Il faut avouer malgré tout que la presse-aux-ordres n’a pas beaucoup insisté sur l’affaire, comme si çà la gênait aux entournures. Bien sûr que çà la gêne aux endroits sensibles de son cervelas déjà si spongieux qu’il faut des sacs en plastique pour l’empêcher de s’écouler par le nez ! Et comment que cette histoire dérange nos «establishments» globalisés, nos progressistes «pursetdurs» de tous poils !


Du coup nous avons eu une pléthore d’explications toutes plus débiles les unes que les autres, par conséquent dans la droite ligne de tout ce qui nous est infligé à longueur d’année. Nous avons eu droit à l’habituelle excuse psychologique, à la non moins vulgaire et récurrente deresponsabilisation (il n’avait pas de guirl friend, il n’avait pas d’enfants, il était seul dans la vie etc, etc...); bref on a tout fait pour circonscrire le cas à un problème strictement individuel qui ne serait qu’une triste exception au milieu de l’océan de félicité quasiment surnaturel dans lequel nous baignons tous grâce aux génies cumulés, où accumoncelés on ne sait, de nos dirigeants bien-aimés. Les Colorado de la pensée (pour nos amis américains) où nos Rhône extralucides (pour nous autres français), à l’image de feu l’illustre Danube de la pensée roumain, tous ces fleuves pleins d’énergie et de vision politique sidérantes se sont précipités dans des commentaires de l'événement dignes de ceux d’une basse-cour agitée de province.


Nous avons eu droit à peu près à tout ce que le spectre de la Cochonnerie Instituée pouvait nous offrir. Et comme on sait le choix est vaste!

Les réactions officielles les plus notables furent de deux sortes:

  • Les tenants du complot islamique, avec mises en garde, hystériques où non, contre les agents d’Al Quaeda infiltrés aux USA et attendant l’heure de frapper la vertueuse patrie du «freedom», à l’image des déclarations du sénateur Joe Liberman sur Fox News.
  • Les tenants de l’individualisation du problème afin d’éviter qu’une autre chasse aux sorcières ne se déclenche dans ce pays qui n’a jamais connu de repos à ce niveau depuis celles de Salem au 17 eme. Dans cette ligne le chef d’état-major de l’armée US, le général George Casey, fut interviewé sur CNN et ABC, se mettant au diapason du Président US lui-même.


Le grand avantage de ces deux théories c’est qu’elles permettent de rester intégralement dans les bornes de la doxa officielle et qu’elles ne déparent pas d’un poil du conformisme idéologique de Cochon sur Terre.


Le responsable de la tuerie de Fort Hood est un pur produit de ce que l’on a appelé pendant quelques décennies «l’American Dream». Issu d’une famille émigrée des environs de Jérusalem, il est né en Virginie et a passé sa vie aux USA, en Américain de première génération. Ses parents ont «réussi» comme on dit, c’est à dire qu’ils se sont constitués un capital à travers leur travail, des gens entreprenant, propriétaires de restaurants et de magasins. Bref le bonheur total versus USA.

Le major Hasan s’est engagé dans l’armée contre l’avis de ses parents et a entrepris des études médicales qui ne furent, parait-il, pas une réussite. Prenons ces détails officiels avec des pincettes, comme le fait qu’il fût envoyé à Fort Hood afin d’être «encadré» car, nous dit-on, on s’inquiétait déjà à son sujet. Hum, et l’inquiétude était si grande que, bien évidemment, on l’avait recruté pour l’envoyer sur le front, en Afghanistan, un endroit de tout repos ne nécessitant pas du tout d’individus sûrs et psychologiquement sains mais bien au contraire ceux au sujet desquels on s’inquiétait déjà tout particulièrement, et ce d’autant plus lorsqu’ils sont musulmans. A moins que ses supérieurs aient confondu l’Afghanistan avec Israël...


Tout cela tombe sous le sens !


Donc on s’emploie à noyer le poisson d’arrache-pied en se torturant le cervelas afin de trouver une explication plausible qui ait l’avantage inestimable de se jeter à marche forcée dans la direction opposée à toute compréhension de cette affaire. Mais pour le moment le suspens reste entier et on ne sait pas encore laquelle des deux théories va l’emporter: le complot international où l’individu médiocre et débile, bref un fou. Ceci dit notez bien que les deux thèses seraient parfaitement conciliables. Cela pourrait donner ceci: un groupe de terroriste international (devinez qui: Al Qaeda où l’Iran ?) a recruté un brave soldat américain un peu simplet que l’armée US avait gardé dans ses rangs par pure charité, comme à son habitude; et ces terroristes ont fait exécuter cette oeuvre répugnante à ce très brave soldat qui ne s’est pas du tout rendu compte de ce qu’on lui faisait faire. Et ce alors que l’armée lui avait organisé une petite virée en Irak pour lui changer les idées et lui remonter le moral, genre séjour au soleil avec spa et séance de massage intégrée. Quelle ingratitude !

Tout cela est d’une logique à toute épreuve, non?


Eh bien d’après le NYTimes du 9 Novembre cette jolie synthèse qui aurait contenté tout le monde a du plomb dans l’aile car il semblerait que le Major Hasan, en dépit de ses fréquentations douteuses, n’aurait peut-être pas été recruté par un groupe terroriste bien connu, ni même par un Etat terroriste bien connu. Le monde serait-il mal fait ? Changeons-le !


Major Hasan’s 10 to 20 messages to Anwar al-Awlaki, once a spiritual leader at a mosque in suburban Virginia where Major Hasan worshiped, indicate that the troubled military psychiatrist came to the attention of the authorities long before last Thursday’s shooting rampage at Fort Hood, but that the authorities left him in his post


Counterterrorism and military officials said Monday night that the communications, first intercepted last December as part of an unrelated investigation, were consistent with a research project the psychiatrist was then conducting at Walter Reed Army Medical Center in Washington on post-traumatic stress disorder.


“There was no indication that Major Hasan was planning an imminent attack at all, or that he was directed to do anything,” one senior investigator said. He and the other officials spoke on the condition of anonymity, saying the case was under investigation


In a statement, the Federal Bureau of Investigation said, “At this point, there is no information to indicate Maj. Nidal Malik Hasan had any co-conspirators or was part of a broader terrorist plot.” The statement concluded that “because the content of the communications was explainable by his research and nothing else was found,” investigators decided “that Major Hasan was not involved in terrorist activities or terrorist planning.”

(Sources: NYTimes - 9 Nov 2009).


Exit le complot international ! Dommage, on aura tout de même essayé mais cela ne peut pas marcher à tous les coups tout de même. Alors que reste t’il ? Eh bien la seconde théorie: le pauvre type un peu simplet qui déraille soudainement sans que personne n’ait pu le prévoir. Une triste histoire strictement individuelle comme il y en a de temps à autre dans notre monde paradisiaque (très peu comme nous le verrons un peu plus loin), sans que personne ne comprenne ces anomalies. C’est inexplicable, (un peu d’humilité pour une fois!), ce doit être génétique où quelque chose dans ce goût là, en tout cas quelque chose auquel nous ne sommes absolument pour rien. C’est très regrettable, c’est horrible, c’est inhumain (ah vraiment?), toute nos condoléances et bla bla bla... et on passe à d’autres questions dont nous avons la maîtrise parfaite comme la situation en Irak, l’Afghanistan, la dépression, la crise du système dans son ensemble, le changement climatique etc...


Comme évoqué plus haut le Major Hasan était un produit du so-called American Dream. Son engagement dans l’armée US était un signe qu’il croyait à ce rêve américain, comme tant d’autres. Malheureusement, une fois à l’intérieur du système il s’est rendu compte par lui-même de la réalité de ce que la propagande passe son temps à masquer sous des tombereaux de conformismes psychologiques à l’eau de rose, de formatages insidieux, de préjugés tenaces transformés en modèles de tolérance etc... Bref, lui aussi, comme tout le monde, s’est fait prendre entre d’une part la pince de la propagande incessante à laquelle nous sommes tous soumis continuellement et d’autre part celle de la réalité à laquelle nous sommes confrontés lorsque nous n’y prenons pas garde. Et le gouffre qui sépare le mirage de la réalité est tellement infranchissable que nombreux sont ceux qui y perdent leur latin (c’est une image bien sûr !).

Le Major Hasan, lui, a perdu la tête.


Il y a de nombreux facteurs pour lesquels le Major Hasan a pu perdre la tête. Ils ne manquent certes pas et nous pouvons en citer plusieurs sans crainte de nous tromper. En premier lieu nous pouvons citer l’ambiance générale qui règne dans le pays, la montée des tensions et des peurs, la montée des divisions et des haines, le gouffre toujours grandissant entre le mirage américain et la réalité que la population doit affronter chaque jour; et surtout, particulièrement lorsque nous parlons d’un militaire, les effets déstructurants, tant sur le plan national qu’individuel, des guerres d’Irak où d’Afghanistan.

A ce propos nous pouvons citer l’article du Wall Street Journal sur le taux de suicide de l’armée américaine qui ne cesse d’augmenter depuis 2006, ayant dépassé pour la première fois le taux de suicide de la population civile:


The October suicide figures mean that at least 134 active-duty soldiers have taken their own lives so far this year, putting the Army on pace to break last year's record of 140 active-duty suicides. The number of Army suicides has risen 37% since 2006, and last year, the suicide rate surpassed that of the U.S. population for the first time.


The Army hit a grim milestone last year when the suicide rate exceeded that of the general population for the first time: 20.2 per 100,000 people in the military, compared with the civilian rate of 19.5 per 100,000. The Army's suicide rate was 12.7 per 100,000 in 2005, 15.3 in 2006 and 16.8 in 2007.

(Sources: Wall Street Journal - 3 Novembre 2009)


Il faut ajouter à cela le fait que le temps de déploiement des unités de l’armée US envoyées en Irak n’a jamais été aussi long depuis la seconde guerre mondiale et que cela expliquerait pourquoi les taux de désordres psychologiques dus au stress sur le terrain atteignent le taux aussi impressionnant de 35% parmi les soldats revenus d’Irak. Entre parenthèse cela montre également combien la demande d’envoi d’au moins 40.000 troupes supplémentaires en Afghanistan peut-être irréaliste et dangereuse pour l’intégrité de l’armée et pour le pays lui-même en augmentant une pression déjà à la limite du supportable.


Le site de nos «camarades» trotskystes, qui est généralement bien informé et dont les analyses sont de bonnes qualités en dépit des relents qu’on imagine et qu’il faut mettre de côté, a conclu son article à propos de cette affaire de cette manière, conclusion à laquelle nous souscrivons sans retenue:


«Endless war is wreaking havoc on American society. The Fort Hood shootings emerge almost inevitably out of this horror and confusion» (www.wsws.org).


Ce qu’il faut s’empresser de préciser néanmoins c’est que ces guerres sont nécessaires pour permettre au complexe militaro-industriel de survivre, plutôt très bien d’ailleurs, par les commandes gigantesques que cela leur amène. Il s’agit de ne pas oublier la part énorme du budget des USA consacrées aux dépenses en armement: pratiquement $1 trillion par an si on compte les dépenses camouflées dans d’autres budgets que celui du Pentagone (officiellement $ 700 milliards environ par an). Cela représente à peu près 20 - 25% des dépenses de l’Etat américain. Le problème quasiment cornélien de toute cette histoire insensée est que l’arrêt des commandes militaires, où au moins d’une partie d’entre elles, provoquerait la mise au chômage immédiat d’un grand nombre de gens et la faillite d’une partie des dernières industries existant encore aux USA, l’aéronautique notamment. C’est à dire celles qui n’ont pas été «délocalisées» pour raisons de Sécurité Nationale.


Pour en revenir au Major Hasan il est donc loin d’être le seul à perdre la tête. Certes une tuerie de ce genre n’est pas fréquente mais elle n’est pas unique. Et il ne s’agit pas de dire que cela n’arrive qu’aux USA, bien qu’effectivement ce soit beaucoup plus fréquent là-bas qu’ailleurs. Pourquoi ? Parce-que la dichotomie, où plutôt l’état de schizophrénie permanente dans laquelle nous oblige de vivre le système est beaucoup plus forte aux USA où les ravages provoqués par l’extension toujours plus large du système sur le pays doivent impérativement être compensés par une propagande toujours plus délirante car de moins en moins crédible. Faire croire aux gens qu’ils vivent dans un monde idyllique lorsque leurs proches n’ont pas de travail, lorsque d’autre dorment dans leurs voitures où sous des tentes, lorsque les sans-abris sont envoyés hors des villes, comme à NY, où encore lorsque la compétition est tellement acharnée entre les individus pour garder leur travail que ceux-ci sont prêts à se faire exploiter pour ne pas perdre leur gagne-pain, il devient de plus en plus difficile de garder la tête froide. De même lorsque l’existence finit par se résumer à gagner le plus d’argent possible (dans le meilleur des cas...) au détriment de tout ce qui pouvait constituer une existence à peu près décente, c’est à dire lorsque l’homme a finit par voir le travail comme une fin en soi et non plus comme un moyen, lorsque le marché est devenu le critère absolu pour tous les recoins de l’existence humaine, lorsque le matérialisme le plus bas et le plus vil est devenu le seul critère de référence, alors, parfois, certains «pètent un cable» comme on dit. Ils «pètent un cable» car ils ne supportent plus cette dichotomie insupportable entre la réalité et le mirage que l’on nous sert à chaque instant en nous faisant passer notre monde détruit et misérable pour le paradis; et s’ils ne supportent plus cette dichotomie c’est qu’ils ont pris conscience de cette dernière, lentement, insidieusement, jusqu’à ce que la tension ne soit plus supportable et que le système étant ainsi fait, avec son conformisme étouffant entre autre, il ne leur soit plus possible de ne pas exploser.

Le Major Hasan, lui, s’est retourné contre ce qu’il avait embrassé avec ferveur, n’en doutons pas; l’horreur de ce retournement n’est que le reflet de sa déception. D’autres choisissent de se retourner contre eux-mêmes, qu’ils soient militaires où civils (pensons à ce qui se passe chez EDF par exemple), d’autres encore, les plus nombreux, sombrent dans le désespoir où dans une dépression chronique, sans parler de tous ceux qui fuient à tire d’aile toute approche de ce qui pourrait mener à une prise de conscience de la réalité... La liste serait infinie puisque c’est notre monde tout entier qui a été détruit, infesté par ce système inhumain; inhumain puisque c’est un système qui a une image de l’homme entièrement fausse qu’il partage avec le marxisme.


A ce propos voici le commentaire d’un lecteur d’un article de Pat Buchanan sur cette affaire:


«Capitalism, individual rights! You see, there is a limit to capitalism, and that limit is being reached rihgt now. Reducing man to his economic dimension was Marx’s stupidity, and it ended up with a catastrophe. The neo-liberals and neo-cons profess the same kind of political anthropology, working hand in hand with the multicultural left. As the Lord says, you shall know them according to their fruits. These are the fruits» (Sources: www.americanconservatives.com)


D’après le sondage effectué par Globscan auprès de 29.000 personnes à travers le monde qui portait sur le capitalisme et la chute de l’Union Soviétique, sondage réalisé pour le compte de la BBC (Sources: BBC - 9 Novembre 2009), une forte proportion de gens à travers le monde (23%) considère que le capitalisme est mortellement vicié. En France 43% des sondés sont de cette opinion. Ce qui est encore plus intéressant c’est que 74% des même sondés français pensent que la fin du marxisme à travers la désintégration de l’Union Soviétique était une bonne chose. Le problème semble être que personne ne voit d’alternative au système que nous connaissons aujourd’hui, sans retomber dans un communisme dont personne ne veut plus non plus, avec les meilleures raisons du monde. C’est par conséquent le capitalisme par défaut, non par amour, ce qui explique très bien pourquoi la majorité des sondés est pour un capitalisme régulé.


Le Major Hasan, lui aussi, ne voyait plus de solution possible à part la destruction symbolique de ce en quoi il avait cru, de ce à quoi il avait adhéré, c'est à dire du système dont la prise de conscience de son caractère intrinsèquement destructeur de toute humanité lui est progressivement devenue insupportable. Son acte, c'est à dire la tuerie, quoique pathologique, révèle néanmoins une réaction de base saine même si, encore une fois, la manière dont cette réaction s'est traduite est condamnable.

Dans ce sens là nous sommes tous des Major Hasan car nous sommes tous confrontés à la même problématique: c'est à dire le nihilisme d'un système qui nous a mené à l'impasse. Mais nous ne savons pas comment en sortir car nous ne voyons aucune alternative à ce système lui-même. La question à poser est peut-être de savoir s'il faut attendre une alternative pour nous élever contre ce qui nous détruit.

Mais sommes-nous encore capable d'agir ?

Et puis le voulons-nous vraiment ?

En d’autres termes la révolte de l’humanité contre sa condition arrive à son terme; il s'agit maintenant de savoir si cette fin coïncidera avec celle de l'espèce où si cette dernière réagira en reprenant la place qu'elle avait abandonné dédaigneusement il y trois siècles.

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