mercredi 1 juin 2011

Moyen-Orient : de l'érosion de l'influence des USA et de ses conséquences.

Il faut bien avouer que le discours du Caire d’il y a deux ans ne suscite plus chez les populations arabes que haussement d’épaules et mépris. Non, même pas de colère, de hargne où d’invectives : du mépris. C’est beaucoup plus grave car c’est probablement sans remède.
Il est vrai que depuis deux ans notre ex-futur sauveur de l’humanité, prix Nobel de la paix (excusez du ridicule), n’a pas lésiné sur les moyens pour aboutir à ce résultat que, certainement, même son prédécesseur n’avait pas obtenu : une déconsidération générale des USA et par extension du monde occidental et de leur illustre « modèle » (ahahah !) de non-civilisation. Aujourd’hui d’ailleurs les arabes, de quelque camp qu’ils soient, ne prêtent même plus attention aux péroraisons d’Obama, Clinton et Associés, car tout le monde sait parfaitement que plus personne ne peut compter sur les USA.
Y compris Israël.
A l’exception peut-être des Anglais et de notre président bien-aimé.

Ce matin Robert Fisk, le fameux reporter anglais du journal « The Independant », pose la question suivante :

Who cares in the Middle East what Obama says ?

Réponse : personne.

Il est vrai qu’aujourd’hui nous assistons à un spectacle pour le moins ironique : les USA se sont tellement discrédités au Moyen-Orient que non seulement leurs ennemis ne les prennent plus au sérieux, ce qui en soi est déjà grave, mais leurs soit-disants alliés arabes ne les écoutent plus non plus et agissent à leur guise selon leurs intérêts propres, sans plus se préoccuper des USA sauf pour les utiliser selon leurs besoins (nous verrons comment plus loin).

"While Barack Obama and Benjamin Netanyahu played out their farce in Washington – Obama grovelling as usual – the Arabs got on with the serious business of changing their world, demonstrating and fighting and dying for freedoms they have never possessed. Obama waffled on about change in the Middle East – and about America's new role in the region. It was pathetic. "What is this 'role' thing?" an Egyptian friend asked me at the weekend. "Do they still believe we care about what they think?"
(Sources : The Independant - Robert Fisk - 30.05.2011)

Le manque de soutien aux révoltes de ce que l’on nomme le « Printemps arabe » a définitivement scellé le sort de la crédibilité des USA. En effet c’est à cette occasion que la duplicité des USA éclata au grand jour, nue et sans défense, exposant crûment le vide des grands discours emphatiques, dont celui du Caire en 2009 qui avait fait naître malgré tout un certain espoir.

"And it is true. Obama's failure to support the Arab revolutions until they were all but over lost the US most of its surviving credit in the region. Obama was silent on the overthrow of Ben Ali, only joined in the chorus of contempt for Mubarak two days before his flight, condemned the Syrian regime – which has killed more of its people than any other dynasty in this Arab "spring", save for the frightful Gaddafi – but makes it clear that he would be happy to see Assad survive, waves his puny fist at puny Bahrain's cruelty and remains absolutely, stunningly silent over Saudi Arabia. And he goes on his knees before Israel. Is it any wonder, then, that Arabs are turning their backs on America, not out of fury or anger, nor with threats or violence, but with contempt? It is the Arabs and their fellow Muslims of the Middle East who are themselves now making the decisions."
(Sources : The Independant - Robert Fisk - 30.05.2011)

L’Egypte et le « Printemps Arabe ».

Ce furent essentiellement les événements d’Egypte qui servirent de révélateur. L’ironie de la situation voulut que le même événement provoqua une prise de conscience opposée chez les différents acteurs. En effet le manque de soutien des USA aux manifestants de Tahrir Square jusqu’au dernier moment démontra aux populations arabes que les USA ne les soutenaient pas et, de ce fait, révéla au grand jour l’absolue hypocrisie de toutes les belles paroles que l’on nous déverse sur la tête à qui mieux mieux à longueur de leçons de morale, toutes plus creuses les unes que les autres.
Chez leurs gouvernants bien-aimés ce fût l’inverse. Chez ces derniers, c’est ce qu’ils virent comme la trahison par les USA de Moubarak qui les décilla brutalement ; Moubarak, l’allié indéfectible des USA, celui en qui on avait tant confiance qu’on n’hésitait pas à lui confier le sort des prisonniers que l’on voulait torturer sans inconvénients, c’est -à-dire pour rester dans le cadre de la « légalité » US, celui qui pratiquait une politique étrangère qui prenait les intérêts des USA et d’Israël plus en compte parfois que ceux de son propre pays, celui qui « faisait presque partie de la famille » de Tata Hilary, comme elle le dit elle-même en 2009 après une visite du Rais à Washington etc... Bref ce sacrifice de Moubarak provoqua un choc chez les gouvernants bien-aimés du Moyen-Orient qui est probablement encore sous-estimé. A partir de ce moment la confiance fût certainement brisée pour longtemps et c’est de ce jour que les Saoudiens prirent en main la défense de l’ordre établi sans se préoccuper de savoir ce que pensaient les USA et tutti quanti de leurs agissements à Bahreïn, au Yemen et ailleurs.

Désormais les populations arabes et leurs gouvernants bien aimés savent les uns et les autres qu’ils ne peuvent plus rien attendre des USA. Les uns ont pris conscience qu’ils ne devront le succès de leurs ambitions politiques qu’à eux-mêmes ; les autres ont pris conscience qu’ils ne devront leur salut contre les premiers qu’à leur propre initiative sans attendre rien des USA.

Le soutien inconditionnel à Israël.

Bien entendu l’autre facteur qui continue de discréditer entièrement les USA au Moyen-Orient reste leur soutien inconditionnel à Israël. Les événements de la semaine dernière n’arrangèrent pas les choses.

"There was an interesting linguistic collapse in the president's language over those critical four days. On Thursday 19 May, he referred to the continuation of Israeli "settlements". A day later, Netanyahu was lecturing him on "certain demographic changes that have taken place on the ground". Then when Obama addressed the American Aipac lobby group (American Israel Public Affairs Committee) on the Sunday, he had cravenly adopted Netanyahu's own preposterous expression. Now he, too, spoke of "new demographic realities on the ground." Who would believe that he was talking about internationally illegal Jewish colonies built on land stolen from Arabs in one of the biggest property heists in the history of "Palestine"? Delay in peace-making will undermine Israeli security, Obama announced – apparently unaware that Netanyahu's project is to go on delaying and delaying and delaying until there is no land left for the "viable" Palestinian state which the United States and the European Union supposedly wish to see.
Then we had the endless waffle about the 1967 borders. Netanyahu called them "defenceless" (though they seemed to have been pretty defendable for the 18 years prior to the Six Day War) and Obama – oblivious to the fact that Israel must be the only country in the world to have an eastern land frontier but doesn't know where it is – then says he was misunderstood when he talked about 1967. It doesn't matter what he says. George W Bush caved in years ago when he gave Ariel Sharon a letter which stated America's acceptance of "already existing major Israeli population centres" beyond the 1967 lines. To those Arabs prepared to listen to Obama's spineless oration, this was a grovel too far. They simply could not understand the reaction of Netanyahu's address to Congress. How could American politicians rise and applaud Netanyahu 55 times – 55 times – with more enthusiasm than one of the rubber parliaments of Assad, Saleh and the rest?"
(Sources : The Independant - Robert Fisk - 30.05.2011)

Effectivement il est incompréhensible pour les populations arabes, et les autres, de comprendre comment les membres du Congrès US ont pu faire 55 « standing ovations » (certains disent qu’il n’y en eu que 20) durant le discours de Netanyahou.
L’article du journaliste israélien Gideon Levy dans "Haaretz" le 25 Mai dernier est un bon exemple de la stupéfaction et de la fureur de ceux qui sont encore capables d’ouvrir les yeux et qui conservent encore un minimum de sens critique, qu’ils soient arabe, israélien, occidental où autre.

"It was an address with no destination, filled with lies on top of lies and illusions heaped on illusions. Only rarely is a foreign head of state invited to speak before Congress. It's unlikely that any other has attempted to sell them such a pile of propaganda and prevarication, such hypocrisy and sanctimony as Benjamin Netanyahu did yesterday.

How can an Israeli prime minister dare to say his country "fully supports the desire of Arab peoples in our region to live freely" without spitting out the entire bitter truth - as long as they aren't Palestinian.
(...)
And how could he rain praise on Israeli democracy when his government has done more than its predecessors to deal the mortal blow to that democracy, to pass completely anti-democratic laws?
(...)
And how dare he speak about freedom of worship in Jerusalem at a time when hundreds of thousands of Palestinians have been denied that freedom for years.
How can Netanyahu praise the peace with Egypt, when it's easy to guess he would have voted against it? The man who explicitly said he would do his level best to destroy the Oslo Accords suddenly says he's in favor of peace with the Palestinians.

Last night we saw that the Americans will buy anything, or at least their applauding legislators will."
(Sources : Haaretz - 25.05.2011 - Gideon Levy)

Comment et pourquoi ces politiciens américains sont-ils capables d’applaudir au moins vingt fois un discours d’un dirigeant étranger dans lequel se trouvent empilés les mensonges les plus éhontés comme la propagande la plus grossière ?

Corruption du système.

Deux réponses viennent à l’esprit spontanément pour qui connaît le fonctionnement du système politique US : corruption des esprits dont la cause première est l’ignorance crasse de ce qui se passe à l'extérieur des USA, et sa conséquence qui est la manipulation des esprits par les lobbys ; d’autre part la corruption sonnante et trébuchante.

"Most of Congress is ignorant about the real nature of the Israeli-Palestinian conflict and about the real consequences of American foreign policy relative to it.
That ignorance is sustained by the fact that the U.S. information environment relating to the conflict is still largely controlled by the Zionists.
For instance, much of the briefing material on the issue going to congressional members is produced by AIPAC and allied Zionist organizations; the State Department has been purged of anyone sympathetic to the Palestinians or the Arabs in general; the media remains almost uniformly biased in favor of Israel; and finally, for the politicians, ignorance is underwritten by that 24 percent of their campaign contributions.
It also helps enormously that this ignorance is shared by the American public at large.
(...)
When it comes to the Israeli-Palestinian conflict, the U.S. Congress’s accepted version of reality is maintained by Zionist misinformation fortified by donor dollars to the campaigns of both parties.
Without the one-sided story line and its attendant financial pillars (and the stealthy way the money is handed out or withheld), the incentive to dance the dance and see the conflict through Zionist-tinted glasses would be considerably less.
Yet that is not the way the U.S. system works. Within the realm of American politics, it is the money that conditions the mind to an uncritical acceptance of a perverted reality."
(Sources : 29 Mai 2011 - Lawrence Davidson is a history professor at West Chester University in Pennsylvania. He is the author of Foreign Policy Inc.: Privatizing America’s National Interest; America’s Palestine: Popular and Offical Perceptions from Balfour to Israeli Statehood; and Islamic Fundamentalism.)

Pour confirmer cette perversion du système politique par l’argent des lobbys, et pas uniquement par l’AIPAC naturellement, voici ce que révéla le WSJ après le discours d’Obama dans lequel il évoqua le sujet tabou entre tous : le retour aux frontières de 1967.

“Jewish donors and fund raisers are warning the Obama re-election campaign that the president is at risk of losing financial support because of concerns about his handling of Israel,”
( Sources : Wall Street Journal - 19 Mai 2011)

D’où le rétropédalage du même Obama le lendemain, proclamant que ses paroles avaient été mal interprétées...

Obama will “court Jewish donors at a June fund-raiser.”
There is every indication that the Obama campaign plans to be “extremely proactive” in letting the “Jewish community” know that the President does not want to be “too critical of Israel.”
(Sources : Wall Street Journal - 19 Mai 2011)

Ces deux facteurs, l’attitude des USA face aux événements d’Egypte et le soutien inconditionnel d’Israël dans les circonstances que l’on sait, ont détruit l’influence US au Moyen-Orient non seulement dans le chef des populations arabes mais également dans le chef des Israéliens et des juifs non israéliens, qu’ils soient sionistes où non, comme c’est le cas pour une large partie des juifs américains.

Le syndrome de la marionnette.

Or cette chute de l’influence des USA au Moyen-Orient fait désormais place à du mépris pur et simple, comme on l’a vu avec Robert Fisk. Ce mépris transparaît très bien, selon nous, dans l’attitude que les arabes comme les Israéliens ont adopté face aux USA, dont les uns et les autres cherchent à tirer avantage au maximum de leurs possibilités sans se préoccuper de ce que prêchent les USA autrement que pour obtenir encore plus. Cela se fait par la manipulation pure et simple, sans vergogne, comme c’est le cas lorsque l’on n’a plus aucune considération pour quelqu’un mais dont on a encore besoin ; on triture désormais cette marionnette dont on connaît parfaitement bien le fonctionnement et les ficelles qui la font aller où on veut, selon ce que nous voulons.

Comment font-ils ?

Très simple : ils payent, où plutôt ils achètent.

Les Arabes, et les Saoudiens en premier lieu, se contentent de payer pour obtenir ce qu’ils veulent des USA. Les sommes d’argent déversées, parfois colossales comme ce contrat d’armement de $60 milliards signés il y a quelques semaines, leur permettent de manipuler la politique étrangère US selon leurs besoins en tirant avantage (consciemment où non) de l’affaiblissement croissant de l’économie US dont l’industrie, et le complexe militaro-industriel en particulier, a un besoin désespéré de remplir ses carnets par des commandes indépendantes du Pentagone et du gouvernement US en faillite. Personne ne doute que ce contrat, entre autres raisons, n’ait influencé le silence extraordinaire des USA vis-à-vis de la répression exercée par les Saoudiens à Bahreïn, leurs agissements au Yemen où encore le manque de « démocratie » en Arabie même.
La situation des Israéliens est beaucoup plus délicate car ils ont un besoin absolu du soutien des USA et des $3 milliards qui leur sont versés chaque année par les USA. Mais là encore ils payent. Ils payent, comme on l’a vu, par l’intermédiaire de leur lobby l’AIPAC ; crûment ils achètent les parlementaires US en finançant une partie de leurs campagnes électorales (24 % des frais de campagne pour les parlementaires démocrates. Rassurez-vous les républicains eux aussi ont droit à des subsides).

Cette façon de faire, cette corruption généralisée entreprise par les Arabes et les Israéliens (même si ce ne sont pas les seuls à la pratiquer, loin de là, puisque c’est la manière de fonctionner du système entier, légalisé par la loi), même si elle n’est pas nouvelle, se double désormais d’un mépris et d’un cynisme où seul l'intérêt national prime sans prendre aucun compte de l’intérêt des USA. C’est d’ailleurs à mettre en parallèle avec la manière dont se font les lois à l'intérieur même du pays où celui qui a le plus d’influence sur les parlementaires est celui qui paye le plus ; en conséquence on y retrouve une multitude d'intérêts particuliers qui s’entrechoquent dans une bataille sans fin pour les prébendes, tandis que l'intérêt général est une vague notion dont on comprend de moins en moins la signification.

Et maintenant que se passe t’il ?

Les conséquences immédiates de cette érosion de l’influence US au Moyen-Orient sont relativement aisées à percevoir. En revanche nous ne pourrions pas nous hasarder à prévoir l’issue future des bouleversements que cela impliquera. Nous n’en savons rien car cela relève plus du tour de carte que d’autre chose.
On peut néanmoins observer plusieurs tendances « lourdes » qui se sont mis en place, où qui se mettent en place, comme on voudra.

- Le printemps arabe n’est pas terminé.

La première, bien entendu, est cette série de révoltes populaires qui ont déjà eu lieu au Moyen-Orient et que l’on a baptisé le « Printemps arabe ». Comme on sait ces révoltes se déclenchèrent pour des raisons économiques, c’est-à-dire à cause de l’inflation des prix des matières premières et de l’énergie déclenchée par la politique suicidaire de la FED (voir post du 2.02.2011 « Nous sommes tous des Egyptiens, ce n’est qu’une question de temps »). Bien sûr les questions politiques propres à chaque pays se sont ajoutées aux causes directes du déclenchement des révoltes (à l’exception de la Libye où les causes de la révolte ne sont pas dues à des raisons économiques). Cela dit, malgré les changements de régime, où plutôt malgré le départ des chefs d’Etat concernés (Moubarak, Ben Ali pour le moment), les problèmes qui ont jetés les populations dans la rue non seulement ne sont pas résolus, loin de là, mais ils ont encore empiré depuis lors. Il est donc à craindre de voir reprendre l’agitation qui pourrait très bien déboucher sur l’anarchie où la répression féroce, pour éviter le chaos précisément.

- L’Arabie-Saoudite mène la contre-révolution.

La seconde tendance, déclenchée par la première, est la contre-révolution prise en main et prise en charge financièrement et militairement par l’Arabie Saoudite. Cette contre-offensive s’est faite à partir d’une stratégie qui se développe tous azimuts mais qui est basée essentiellement sur deux points :

1) l’impossibilité de compter sur les USA en cas de problème.
2) la peur panique de l’Iran.

a) Chronologiquement il fallut d’abord parer au plus pressé, c’est-à-dire enrayer coûte que coûte la contagion de la révolte déclenchée en Egypte ; en Arabie Saoudite elle-même (voir l’octroi par le Roi de toute sorte d’avantages financiers à la population), puis dans les pays du GCC, en tout premier lieu à Barhein. Enfin, la question très délicate du Yemen, pendante depuis des années ; Yemen où les Saoudiens tentent actuellement de négocier le départ de Saleh au profit d’un chef de tribu qui leur serait acquis tout en continuant à combattre vigoureusement par les armes ceux qu’ils voient comme des suppôts d’Al Quaeda (vision qui n’est pas fausse et qui est à l’origine de la mort de Ben Laden), et de l’Iran en sous-main.

b)Ensuite les Saoudiens ont décidé de secourir tous les pays qui seraient menacés par une révolte du type égyptien en octroyant des aides financières afin d’aider les gouvernements à maintenir l’ordre par l’octroi de subventions qui pourraient aider les populations à survivre à l'inflation.

c) D’autre part, ne pouvant compter sur l’aide politique et militaire US les Saoudiens ont renforcé l’alliance qui les liait depuis si longtemps avec le Pakistan. C’est ainsi que ce dernier met désormais à la disposition de l’Arabie deux divisions en cas de besoin pour maintenir l’ordre dans la Péninsule. De même c’est à la suite de cet accord que des centaines de mercenaires pakistanais furent envoyés à Bahreïn pour réprimer la révolte. L’avantage des mercenaires pakistanais est double :
*Ils risquent beaucoup moins de sympathiser avec les populations et de passer de leur côté que les autochtones de l’armée nationale (encore un souvenir traumatisant de l'expérience égyptienne).
*Ils sont musulmans et peuvent fouler le sol saoudien sans problème pour réprimer un mouvement de révolte en Arabie même, ce que ne peuvent faire des non-musulmans.
Il se dit beaucoup dans les couloirs que les saoudiens et les pakistanais auraient également passés un accord à propos de la question nucléaire, transaction qui consisterait pour le Pakistan à fournir des ogives nucléaires contre payements conséquents. Pour les Saoudiens cela équivaudrait en une assurance tout-risque contre une agression iranienne (à leurs yeux en tout cas en dépit du fait que cela relève de l’utopie complète) ; pour les Pakistanais cela compenserait la manne US de $2 milliards par an, désormais menacée par le Congrès après la découverte que Bin Laden vivait tranquillement au Pakistan depuis... si longtemps... avec la complicité de l’ISI... et des Saoudiens (mais c’est une longue histoire).

- La carte de l’antagonisme shiite-sunnite.

L’autre carte que tente de jouer l’Arabie-Saoudite est celle de l’antagonisme shiite-sunnite afin de souder le bloc sunnite autour d’elle et évacuer de cette manière les problèmes internes aux pays sunnites en proie au printemps arabe. C’est ainsi que les Saoudiens tirent de tous les côtés afin de faire renaître le conflit entre les deux branches de l’Islam, y compris en tentant d’entraîner les USA dans un conflit avec l’Iran, en parfaite identité de vue sur ce plan avec les Israéliens.
La peur panique des Saoudiens vis-à-vis de l’Iran est réelle, confinant à la paranoïa, de la même manière qu’elle est une obsession pour les USA comme pour Israël.
Cette peur des saoudiens est alimentée par plusieurs facteurs :

1) d’abord ce qu’ils perçoivent comme un encerclement de la péninsule arabique par les Shiites (des hérétiques pour les wahhabites), à travers leurs minorités au Yemen et dans certains pays du Golfe, à Barhein où ils sont majoritaires, et surtout en Irak où ils sont non seulement majoritaires mais dont le pays risque de devenir le premier pays shiite en dehors de l’Iran à jouer un rôle dans la région.
2) Les Saoudiens voient tous ces shiites les encerclant comme autant d’acteurs d’un complot général contre eux, mené en sous-main par l’Iran, ce qui est vraiment loin de la vérité. Ce d’autant plus que les shiites de Barhein, par exemple, sont beaucoup plus proches spirituellement de Najaf en Irak que de Qom en Iran. La majorité des shiites de Barhein où d’Irak ne cherchent nullement à établir une théocratie à l’iranienne et l’ayatollah Ali Sistani est non seulement modéré mais ne s’est jamais impliqué en politique.

Cette tentative de la part des Saoudiens de constituer un front sunnite contre ce qu’ils voient comme une offensive shiite menée par l’Iran ne semble pas porter de fruits très prometteurs pour le moment.
Apparemment, et sauf catastrophe, l’Egypte est plutôt tentée par un neutralisme politique dans lequel le fanatisme religieux n’a aucune part ; la normalisation de ses relations diplomatiques en cours avec Téhéran, la signature de l’accord de réconciliation entre le Hamas et le Fatah (qui mènera probablement à une demande de reconnaissance de l’état Palestinien en Septembre à l’ONU), la réouverture du poste frontière à la circulation entre l’Egypte et Gaza, tout cela sous la pression de la rue ne milite pas beaucoup pour un retour à une guerre générale entre sunnites et shiite.
A Bahreïn les shiites ne réclament pas une théocratie de type iranien mais une monarchie constitutionnelle et des droits équivalents pour les deux communautés. Il n’est pas question d’une théocratie à l’iranienne. Les violences qui ont eu lieu dans cet état furent le fait de la police où des mercenaires employés par l’état contre les manifestants shiites mais aucunement un clash communautaire.
De plus les révoltes arabes jusqu'à aujourd'hui étaient nettement laïques et non de type théocratique, loin de là. En revanche si ces révoltes se radicalisent on ne peut plus répondre de rien. Mais nous n'en sommes pas encore là et il n'est pas obligatoire non plus d'en arriver là.
Quant à la théorie saoudienne du complot shiite (iranien par conséquent) elle rencontre un très fort scepticisme chez les arabes, et les USA eux-mêmes ne semblent pas y adhérer non plus.

- Iran : la complicité israelo-saoudienne.

L‘Iran est un pays très utile à la fois à Israël et à l’Arabie Saoudite. En effet l’existence même de ce régime iranien si décrié, à tord où à raison, les écarts de langage inventés où réels de son Président, bref l’image qu’on en fait d’un régime terrifiant et terroriste menaçant l’ensemble de la région, voire du monde par sa quête de la bombe atomique, tout cela sert grandement les intérêts de l’état hébreu et de l’Arabie Saoudite.

Pourquoi ?

Car cela leur permet à tous deux de détourner autant que faire se peut l’attention du reste du monde de leur propre affaires qui ne sont guère reluisantes. C’est pourquoi plus il y a de bruits autour de l’Iran, plus l’Iran apparaît comme une menace, moins on remettra en cause les régimes israéliens et saoudiens car ces deux-là jouent la même carte : ils sont les alliés indispensables des puissances occidentales contre une hypothétique attaque iranienne sur la région, affirmation complètement farfelue si l’on se réfère à l’état de l’armée iranienne qui ne possède même pas d’aviation et dont le budget est quasiment inexistant par rapport à ceux de l’Arabie où d’Israël précisément.
Dans le cas de l‘Arabie Saoudite plus particulièrement, il y a également la terreur entretenue d’un changement de régime qui pourrait créer une rupture des approvisionnements de pétrole du monde entier, un cataclysme à côté duquel la bombe iranienne paraîtrait un pet de lapin. Les Saoudiens jouent très bien de cette peur auprès des Occidentaux et savent parfaitement extorquer ce qu’ils veulent par ce biais.

- Bahreïn : le royaume de tous les dangers.

D’où l’importance de Bahreïn pour les Saoudiens qui pourraient se retrouver en opposition avec les Américains dans cette question ; ces derniers poussent à des réformes et soutiennent le Prince Héritier contre le PM qui ne veut rien céder, soutenu par les Saoudiens.
Admettons que le PM de Bahreïn soit enfin expulsé par le roi et que des réformes soient mises en chantier selon les demandes des manifestants, shiites notamment. Admettons que l'expérience à Bahreïn fonctionne correctement, qu’une monarchie constitutionnelle soit installée conformément aux voeux des manifestants et que la présence de la flotte US ne soit pas remise en cause.
Bahreïn serait alors un bon témoin de ce que pourrait donner un état shiite laïque, posant un problème existentiel non seulement à l’Iran mais aussi à l’Arabie Saoudite. L’existence d’un régime shiite laïque constituerait une contre-publicité pour le régime iranien et pourrait donner des idées et du courage à sa population pour en changer. De même pour l’Arabie Saoudite dont le régime serait très fragilisé par un tel exemple puisqu’elle devrait faire face à la prise de conscience générale qu’un régime shiite n’est pas forcément un régime de fanatiques islamistes émules de Torquemada où de Khomeini ; l’existence de son propre régime théocratique, encore plus terrifiant que celui de l’Iran, pourrait alors être remis en question, ce d’autant plus si on s’apercevait qu’il pourrait très bien être remplacé comme à Bahreïn, sans rupture d’approvisionnement de pétrole et sans le chaos annoncé (c’est une hypothèse nullement certaine mais néanmoins envisageable).

Alors que va t’il se produire maintenant ?
Nous n’en savons rien du tout à part le fait qu’il nous semble fort probable que nous assistions à de nouveaux soubresauts, à de nouvelles révoltes issues de ce printemps arabe qui n’est probablement pas encore terminé.
Réussiront-elles ?
Seront-elles réprimées dans le sang comme en Syrie ?
Toucheront-elles de nouveaux pays ?
Se radicaliseront-elles ?
Mystère.

Tous ces événements aboutiront-ils à une guerre entre sunnites et shiites comme on le crie depuis des années ?
Nous n’en savons rien mais si nous pouvons être sûrs d’une chose c’est que cette dernière ne sera pas déclenchée par l’Iran ; et il très improbable que ce soit l’Arabie Saoudite qui la provoque car ce serait beaucoup trop dangereux pour elle. Par conséquent il reste Israël car nous ne pensons pas les USA en état de déclencher encore une guerre. En revanche il reste l’hypothèse qu’ils y soient entraînés à leur corps défendant par Israël où les Saoudiens (ce n'est pas contradictoire avec le fait que les Saoudiens ne prendront pas le risque de déclencher seuls un conflit avec l'Iran). Mais un conflit provoquerait certainement une explosion de la région et une crise mondiale étant donné l’interruption de la production de pétrole que cela engendrerait, où en tout cas celui de sa livraison.
Pour vous dire la vérité nous ne croyons pas beaucoup à ce scénario qui nous parait, pour une fois, très tiré par les cheveux, même si nous ne devons pas l’exclure. On ne sait jamais étant donné la nature de l’homme.

En revanche les jeux dans la région ne sont pas faits le moins du monde. Tout est ouvert. Et non seulement tout est ouvert mais nous sommes désormais entrés dans une zone inconnue au milieu de laquelle nous évoluons sans repères et sans assurances. Tout peut arriver, le pire surtout (vous voilà rassurés sur notre santé mentale n’est-ce pas chers lecteurs, allez avouez-le !), mais nous ne savons pas du tout de quel « pire » il s’agira tant il est vrai que notre espèce divine regorge d’inventivité en la matière. Nous ne voyons pas davantage de quel « meilleur » il pourrait s’agir...

Alors certes les USA sont discrédités, certes plus personne ne les écoute, certes on les méprise, mais ils sont encore là et soyez sûrs, chers lecteurs, que tout le monde tentera encore de les ménager afin de les utiliser en fonction de ses besoins ; jusqu’à ce qu’ils deviennent vraiment « useless ».
En revanche s’ils sont encore présents dans la région ils sont devenus relativement impotents et les autochtones le savent bien. Cet effacement et ce discrédit des USA remet en avant les puissance traditionnelles, et bien entendu leurs rivalités ancestrales. Ces dernieres ont donc commencé à jouer chacune leur partie pour leur survie sans trop s’occuper des USA sur lesquels ils ne comptent plus à part pour leur soutirer ce qu'ils peuvent encore fournir, et soyez sûrs chers lecteurs de voir de plus en plus souvent l’Egypte, l’Iran et la Turquie, ces grandes puissances régionales plusieurs fois millénaires, retrouver le rôle ancestral qui est le leur, accompagné des conflits (froids où chauds) qui vont de pair.

Mais pour le moment la grande interrogation reste de savoir qui va l’emporter des révoltés du printemps arabe où bien de ceux qui s’y opposent...

Affaire à suivre.

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