lundi 20 septembre 2010

14 Septembre 2010: O'Donnell où le "Yes we can" du Tea Party.

Comme on sait il arrive souvent que les plus grands bouleversements historiques, et il y en a peu, ont des débuts non seulement des plus modestes mais aussi des progressions lentes et imperceptibles ; de plus nombre d’entre eux ne devinrent « fondamentaux » que postérieurement, et leur acte de naissance fût si insignifiant que personne sur le moment ne se rendit compte qu’il se passait quoi que ce soit qui mérita un article dans un journal, à commencer par ceux que ces événements futurs menaçaient.
De nos jours, est-il besoin de le souligner, nous avons au contraire une multitude d'événements qualifiés « d’historiques » par les journaleux en tout genre qui nous servent de journalistes ; et bien entendu plus il ne se passe rien plus on nous fait remarquer à grand renfort d’hyperboles combien il se passe quelque chose, qualifié « d’historique » naturellement... A noter d’ailleurs que le tout est passé par pertes et profits, avec jeu de mot, dés le lendemain matin.

En revanche il est rare de trouver des individus suffisamment lucides, intéressés par ce qui se produit autour d’eux, des personnalités ouvertes sur le monde et capables d’assez de recul par rapport aux événements qui leur sont contemporains pour réaliser que tel où tel pourrait signer l’acte de naissance d’un mouvement historique d’envergure. Si l’on utilise le conditionnel c’est parce-qu’il ne faut pas oublier que tout reste toujours ouvert, et par conséquent ne relève jamais que de l’ordre du possible; en effet si l’histoire a bel et bien un cours il reste encore à en découvrir le sens si tant est qu’il y en ait un, ce que nous ne croyons pas ici à la Chronique de Cochon sur Terre. Nous affirmons cela au risque de déplaire à tous les groupies de ces intellos en sorcellerie qui se s’acharnèrent à nous prouver qu’ils avaient bel et bien découvert ce fameux sens, particulièrement ces deux derniers siècles si riches en désastres provoqués par les tentatives d’application de tous ces programmes mirifiques destinés non seulement à accélérer le cours de l’histoire mais également à transformer l’être humain lui-même, à seules fins de faire correspondre ce dernier à leurs extrapolations fantasmagoriques. Comme on sait toutes ces folies n’aboutirent qu’à provoquer les plus grandes hécatombes que l’humanité ait connu et à couvrir les plus grands crimes des noms les plus scientifiques avec l’apparence de la plus grande rationalité.

Peu importe.

La journée du 14 Septembre a déjà fait couler beaucoup d’encre aux USA. Tout le monde s’y est mis, qui Démocrate, qui Républicain, qui n’importe qui... Chacun avait une idée sur les événements et surtout leurs significations pour le futur. Car dans ces moments-là tout le monde devient pythie, le plus sérieusement du monde bien entendu.
Pour ne pas répéter tout ce qui a été dit sur cette journée du 14 Septembre et des résultats des élections des primaires du GOP dans le Delaware et dans l’état de NY, nous nous contenterons de dire que les candidats officiels, soutenus par l’establishment, furent battus par de complets outsiders qui n’avaient aucun soutien de la part du Parti, bien au contraire.

Bien sûr on s’est empressé de clamer, soit pour s’en lamenter soit pour s’en plaidre, que l’élection de Mme O’Donnell allait certainement faire rater au Parti Républicain le siège nécessaire pour reprendre la majorité au Sénat. Il est vrai que l’adversaire républicain de O’Donnell, Michaël Castle était un ténor de la politique et du parti, un homme de l’establishment qui avait des fonctions politiques électives depuis quarante ans. Il était férocement soutenu par le Parti pour toutes ces raisons, mais aussi et surtout parce-qu’il était donné favori dans les sondages contre le candidat démocrate pour le fameux siège au Sénat nécessaire aux républicain s pour reprendre la majorité. Ce qui semble très loin d’être le cas du vainqueur de la primaire républicaine, c’est-à-dire O’Donnnell. Selon les théories en tout cas des grands stratèges républicains où démocrates, ceux pour qui il était absolument impossible il y a un mois d’envisager même la plus petite possibilité pour que O’Donnell batte Castle aux primaires... Ah AH AH...
D’où grincements de dents et sourires grimaçants.
Mais l'essentiel n’est pas là. Car ces élections ne furent pas les seules à permettre à des candidats du Tea Party sortis de nulle part de remporter des primaires contre les candidats des caciques du parti républicain. C’est ainsi que des candidats du Tea Party furent élus dans 7 primaires pour le Sénat, dans plusieurs primaires pour élire les gouverneurs et une douzaine de primaires pour la Chambre des Représentants.

C’est peu pourrez-vous penser à tort. Ce n’est pas rien, bien au contraire ! Ce n’est certainement pas à négliger si l’on se souvient que la mouvance du Tea Party n’existait pratiquement pas il y a deux ans. Elle fut d’abord ignorée, puis méprisée, et enfin décriée par l’establishment de Washington, républicains autant que démocrates.

But the Tea Party movement has been one of the most derided and minimized and, frankly, most disrespected movements in American history. Yet, despite being systematically ignored, belittled, marginalized, and ostracized by political, academic, and media elites, the Tea Party movement has grown stronger and stronger (Scott Rasmussen and Douglas Schoen - Mad as Hell)

Ils tentèrent de discréditer ce mouvement avec leur habituelle rhétorique moralisante bien que de plus en plus inefficace : populisme, extrême droite, racisme et j’en passe, bref le bla bla lénifiant, et fort tolérant comme on sait, dont nous avons été soûlés pendant des décennies mais qui aujourd’hui finit par faire bailler tout le monde à l’exception des robots en forme de pantins qui peuplent nos brillants establishments occidentaux... Entre parenthèse cette rhétorique à consonance nettement pavlovienne les empêche de comprendre quoi que ce soit à ce qui se produit sous leur nez et dont ils risquent fort d’être les victimes prochaines.

Cependant tout au long de de l’année 2009, et ce malgré l’opinion de l’establishment, le Tea Party Movement grandit sans bruit, probablement afin de ne pas réveiller nos leaders bien aimés, tous sourds comme des pots (de chambre) ; des milliers de rassemblements spontanés se produisirent néanmoins dans tout le pays, regroupant des milliers d’Américains en colère contre Washington. Puis arriva l’été au cours duquel éclata la polémique du Health Care Reform qui rencontra une immense opposition qui, elle aussi, se développa à travers tout le pays sans coordination, sans leaders, sans parti, ce qui contribua probablement à faire croire à l’establishment que ce n’était pas un véritable mouvement dont ils devaient avoir peur mais simplement des opposants d’un jour (Health Care Reform), fascistes bien sûr, racistes naturellement, extrémistes cela va sans dire, fanatiques où illuminés etc...

Le rassemblement à Washington en Septembre 2009 de dizaine voire de centaine de milliers de personnes, fût en revanche un spectacle qui provoqua bien quelques réactions, critiques bien entendu, de la part de l’establishment washingtonien donneur de leçons, c’est-à-dire les quelques oh ! et ah ! moralisateurs coutumiers. Pourtant, et ce malgré l’ampleur de cette manifestation qui ne bénéficia d’aucun support d’Etat ni de la machinerie et des finances d’aucun parti, et qui pour cette raison pourrait être qualifiée de spontanée, pourtant donc on oublia assez rapidement ce mouvement de populisme de mauvais aloi dont on se moqua afin peut-être de masquer le malaise inconscient que la vue de ces milliers de gens en colère pouvait provoquer dans les cervelas reptiliens si pleinement démocratiques de nos politiciens fort peu habitués à ce genre de contacts... populaaaaaires...

Puis il y eut les mouvements de protestation (environ 750) du Tax Day qui eurent lieu le 15 Avril dernier à travers tout le pays. D’après Scott Rasmussen, le Président du célèbre institut de sondage du même nom, ces rassemblements révélèrent « a level of activism and enthusiasm that is both unprecedented and arguably unique in recent American political history.»
Là encore la réaction de l’establishment fût la même que précédemment : mépris voire insultes, réactions téléguidées par les idéologies racornies puant la naphtaline qui leur servent de pensée.

"This initiative is funded by the high end -- we call it Astroturf, it's not really a grass-roots movement. It's Astroturf by some of the wealthiest people in America to keep the focus on tax cuts for the rich instead of for the great middle class." (Nancy Pelosi, Speaker of the House)

On voit l’idéologie progressiste-caviar poindre le bout de ses nasaux gluants en démontrant du même coup le tragique de la situation : « the great middle class ». Manque de chance pour Mme Pelosi, démocrate de son état, donc au plus près du bon peuple naturellement, nous pourrions même dire à son chevet pour lui tenir son pot de chambre, « the great middle class » était précisément celle qui était dans les rues ce jour-là ; cette « middle class so great » que les démocrates ont laissé s’appauvrir depuis les années 80 jusqu’à ce qu’elle retombe dans la lower class d’où elle était sortie à grand-peine.

"[They are] evil-mongers" spreading "lies, innuendo, and rumor." (Senate Majority Leader Harry Reid).

Le sénateur Reid, lui, préfère les insultes, ce doit-être plus simple que de se demander si les bailouts d’Obama à Wall Street ne sont véritablement que des rumeurs propagées par des menteurs où si la colère de cette ex « great middle class » n’est pas fondée sur quelque-chose de plus concret. Se pourrait-t’il que tous ces gens dans la rue se rendent compte de quelque-chose que leurs politiciens ignorent totalement, à savoir que l’ex « great middle class » s’est ruinée à cause des emprunts immobiliers (encouragés frénétiquement par Washington) réalisés dans l’espoir qu’une plu-value compenserait la baisse constante de son pouvoir d’achat depuis trente ans ?

A ces diverses occasions la réaction des politiciens de Washington illustra parfaitement les raisons pour lesquelles ils ont complètement perdu la confiance de la population : ils sont si coupés des réalités de leur propre pays, ils sont si éloignés de leurs propres électeurs qu’ils ne sont même plus capables de reconnaître pour ce qu’il est le plus important mouvement politique et populaire de l’histoire des USA depuis la guerre de Sécession. Il ne fût naturellement pas question de se demander pourquoi il y avait tant de gens mécontents, ni qui ils étaient et encore moins ce qui pouvait les pousser à manifester leur fureur puisque c’étaient tous des graines de terroristes nazis à la psychologie dévoyée par la « réaction » la plus effrénée. Il ne fût donc question que des antiennes habituelles répétées à satiété par les médias et l’establishment, comme une bande de perroquets ivres morts enfermés dans leur cage. Cette impression d’isolement et d’autisme est encore confirmée lorsque l’on sait qu’un sondage du Rasmussen Institute effectué à la mi-Avril 2010 (c’est-à-dire à la même époque que le Tax Day) montra que 24% des Américains se considéraient membre du Tea Party Movement.

Enfin arriva le temps des primaires pour les mid-term élections de Novembre 2010.
Chaque parti prépara soigneusement ses pions et ses candidats afin de limiter au mieux la casse pour les démocrates, pour ramasser le maximum de sièges au Sénat et à la Chambre des Représentants pour les républicains, crédités d’un soutien de plus en plus important dans les sondages.
Bref « business as usual ».
Et puis patatra ! Le Tea Party Movement, cette bande de racistes, red necks et autres illuminés à peine descendus de leurs tracteurs, ces gens infâmes que l’on avait complètement oublié se sont tout à coup rappelés au bon souvenir de Washington en entrant sur la scène des primaires républicaines avec trompettes et fanfares, proposant leurs propres candidats sans se préoccuper le moins du monde des avis de la direction du parti républicain ni de son soutien, y compris financier.
Et cela a si bien marché que les caciques du régime commencent à paniquer.

Les « rino » républicains finissent probablement par prendre conscience qu’ils pourraient bien être en train de perdre le contrôle de leur propre parti. Ils commencent peut-être à comprendre que leur parti pourrait finir par se dissoudre dans l’acide du Tea Party afin de donner naissance à un autre parti, voire à plusieurs. A cet effet ils feraient bien de se souvenir de la manière dont le parti républicain est né, juste avant la guerre de Sécession, de la destruction du parti wighs par la rupture de ban d’une partie de ses troupes pour fonder un nouveau parti les représentants mieux que l’ancien...
Ils courent aujourd’hui le même danger.

“There’s a schism between the GOP establishment and GOP voters, just like throughout the country the big gap is between the political elite and mainstream voters.
A hefty 75 percent of Republicans say their leaders are out of touch with the party base, he notes. “The establishment is just waking up to the fact that they’re not in charge, and they’re not that well liked by some in their party.”” (Scott Rasmussen - Newsmax - 18 Sept 2010)

Quant aux « rino » démocrates il ne faudrait pas qu’ils se réjouissent trop vite des ennuis de leurs collègues républicains car ce serait un aveuglement qui leur serait tout aussi fatal. Contrairement à ce que peut bien raconter la propagande, le Tea Party Movement n’est pas exclusivement républicain, loin de là. Il a pour principale caractéristique de transcender les partis institutionnels que sont les partis républicains et démocrates que les Américains ont une fâcheuse tendance à voir de plus en plus comme les deux branches du même parti : le parti de Washington. Les démocrates sont donc aussi menacés par le Tea Party Movement que les républicains, même si pour le moment cela ne semble pas aussi évident uniquement parce-que les activistes de gauche ne se sont pas encore réveillés, toujours anesthésiés par leur obamania, bien que certains d’entre eux se mettent à parler de soutenir le Tea Party.

(The Tea Party movement is broad-based with wide support. Over half of the electorate now say they favor the Tea Party movement, around 35 percent say they support the movement, 20 to 25 percent self-identify as members of the movement, and 2 to 7 percent say they are activists. ‘ (The Examiner - «The evolution of the tea party movement»)

Un sondage Gallup très récent (17 Septembre 2010) conforte encore cette thèse en montrant combien le discrédit dans lequel sont tombés les deux partis traditionnels US est impressionnant.
Gallup nous apprend ainsi que 58% des américains aimerait voir la création d’un troisième parti ; 62% des supporters du Tea Party Movement y sont favorables, 59% parmi ceux qui sont neutres à l’égard du Tea Party et 51% parmi ceux qui sont opposés au Tea Party Movement.

Ce qui est remarquable dans cette perspective c’est que le Tea Party Movement est le seul à offrir soudain aux Américains, pour la première fois depuis la guerre de Sécession, la possibilité de manifester leur colère en cessant de voter pour les démocrates où les républicains; c’est-à-dire, dans la situation présente, en votant pour des outsiders du Tea Party puisque ce sont les seuls actuellement à se dresser contre l’establishment. Ceci dit cela explique aussi pourquoi on retrouve tant de contradictions parmi les idées professées à l'intérieur même du Tea Party; c’est qu’il regroupe tous les mécontents quel que soient leurs opinions et leurs origines politiques. Nous y retrouvons aussi bien des sécessionnistes, des partisans d’un accroissement du rôle de l’état comme de ceux qui prônent sa limitation maximale etc... C’est un pêle-mêle tout à fait hétéroclite avec lequel il sera très difficile de faire un programme commun.
Voire impossible.

Mais ce n’est probablement pas la destination du Tea Party Movement qui est plus certainement de donner la possibilité à tous ceux qui sont contre le système actuel de se faire entendre et ensuite... advienne que pourra. Pour le moment le plus petit dénominateur commun qui unit tant bien que mal tous les membres du Tea Party Movement se résume à une haine de Washington qui a deux causes principales :

1) ils ont le sentiment qu’ils ne sont pas pris en compte par Washington.
2) une fureur de plus en plus grande face aux bailouts, aux déficits budgétaires et aux dépenses fédérales incontrôlées qui génèrent des impôts de plus en plus élevés non approuvés par la population.

Après on verra... Qu’est-ce qu’on verra ? A vrai dire si personne ne le sait rien n’est à exclure néanmoins car on sait bien que lorsqu’un mouvement de ce genre est lancé il devient incontrôlable; alimenté par une colère contenue depuis trop longtemps, plus rien ne peut stopper sa course qui, généralement, se résume à une succession de surenchères de plus en plus radicales jusqu’à épuisement de cette fureur qui fournissait le combustible nécessaire à la course.

That being said, the most notable thing about American politics is its unpredictability. We simply do not know what is going to happen next week, much less next year. We live in a time of uncertainty and instability and it is impossible to make firm judgments about the future.
(Scott Rasmussen and Douglas Schoen - Mad as Hell).

Pour en revenir au 14 Septembre 2010 il se pourrait bien que la victoire de O'Donnell, comme celle de Paladino, pourrait tout à coup redonner un immense espoir à des électeurs dégoûtés. En effet peut-être que le choix de Mme O’Donnell (pour être membre de la Chambre des Représentants pour le Delaware) comme de M. Paladino (pour le siège de gouverneur de l’état de NY) par les membres du parti républicain, en dépit de l’opposition acharnée de l’establishment qui a tout fait pour empêcher leur élection, il est bien possible que cela puisse soudain convaincre de nombreux sceptiques et désabusés que désormais tout est possible et par conséquent de les lancer dans la bataille. Car si O’Donnell, sans aucun soutien et contre tout le monde, a réussi là où personne ne croyait qu’elle y parviendrait, alors oui peut-être qu’il y a de l’espoir en dépit de tout, c’est-à-dire en dépit de l’establishment et du système verrouillé par ce dernier; verrouillé jusqu’à ce fameux 14 Septembre précisément. Alors oui peut-être qu’à travers les élus du Tea Party Movement qui seront élus au Congrès en Novembre on pourra réellement changer les choses de l’intérieur, voire renverser le système pour les plus radicaux, par la création d’une situation inédite : l’apparition d’une troisième force politique, voire de plus que cela d’ailleurs, qui déstabiliserait si complètement la machinerie complexe de Washington qu’il n’y aura plus d’autres solutions que de la réformer profondément où d’en changer.

But what the Tea Party movement does suggest, and suggest compellingly, is the possibility for anti-systemic third parties to emerge (Scott Rasmussen and Douglas Schoen - Mad as Hell).

Le 14 Septembre sera peut-être le jour dont on se souviendra comme étant celui qui vit l'ouverture d'une brèche dans les défenses du système par laquelle s'engouffra soudain de manière foudroyante, et en l'élargissant toujours plus, le flot tumultueux de la contestation trop longtemps muselée. Ce sera peut-être le jour où tous ceux qui doutaient encore de la possibilité de se faire entendre et qui, de ce fait, restaient spectateurs des événements, se sont tout à coup sentis galvanisés par cette victoire à l'arraché. Si cette victoire du Tea Party les transformaient en acteurs aux élections de Novembre alors décidément :
We, the people, « yes we can » !

Aucun commentaire: