Qui n’a jamais assisté à un match de football ne sait pas ce qu’est la beauté du jeu de la balle au pied, la beauté des cœurs et des corps communiants vers cet objectif : tracer une trajectoire éphémère mais absolue dans les airs avec une balle en cuir qui permette de marquer un but.
Pour cela, la règle est respectée : unité de temps, de lieu et d’action. Une heure et demie pour un combat homérique ; un stade qui ne manque pas d’élégance dans les formes mais le béton est sinistre – que diable ne demande-t-on pas à des peintres du land art de s’emparer de ces surfaces vertigineuses ; une action qui confine désormais à la tragédie – les enjeux sont trop importants, l’honneur et l’humeur des supporters ne pouvant admettre une défaite, l’horreur.
S’assoir dans le stade parisien par excellence pour assister à un match, c'est-à-dire ce Parc qui est encore au cœur de la ville, rive droite, c’est pénétrer dans une œuvre d’art, c’est assister à une performance. L’œuvre ce sont d’abord les 44 000 spectateurs qui la font, alignés comme les perles d’un collier tout le long de l’ovale du stade. Pas une place n’était inoccupée – sauf dans la partie réservée aux invités. Cette vision de la foule me renvoya à un célèbre tableau de l’école de Poto-Poto du Congo-Brazzaville qui représente une foule stylisée sous forme de centaine de ronds, la différence majeure étant que cette dernière est colorée, alors que celle du match n’offrait que du gris, du noir et du bleu (les écharpes du club parisien n’offrant pas d’alternative). Nulle banderole, pas de cotillons, peu de drapeaux en dehors de la tribune où je me trouvais réservée aux familles. En définitive une impression d’austérité ; seule la pelouse brillait, puissamment éclairée, découpée en lamelles vertes denses (le jardinier a un maître, il s’appelle Pierre Soulages), écrin sur lequel les artistes allaient jouer.
C’est cette vision qui vous anime quand les deux équipes rentrent sur le terrain. C’est le moment que choisissent alors les chœurs parisiens pour entonner leurs chants qui commencent par un hymne, celui de leur équipe - je dois dire qu’il ne peut pas rivaliser avec celui des Verts des années 70, mais cela n’a aucune importance ; puis suivra pendant toute la représentation des églogues entre les deux groupes de supporters les plus vivaces, Auteuil et Boulogne - la qualité de ces échanges n’est en rien remarquable, cela est dommage car il y a là entre 5000 et 10 000 voix qui pourraient faire chavirer le Parc si on leur offrait une partition qui soit à la hauteur des enjeux qui les amènent si souvent à affronter la pluie, le froid pour soutenir leur équipe ; je suis sûr que les résultats de celle-ci s’en ressentiraient de manière très positive, mais cela n’a pas beaucoup d’importance également – tout cela n’est qu’un jeu, bref, qui permet une catharsis populaire.
Les performeurs sont alors entrés en action ; leurs gestes sont le plus souvent rapides, c'est-à-dire qu’ils ne gardent jamais le ballon longtemps ; celui-ci circule rapidement ; ils font des passes, ils relancent. Nous sommes maintenant sur le velours d’un billard français. Puis changement. Modifications des critères de la représentation. De la tribune où j’étais, les 22 joueurs dansaient un ballet avec les mouvements d’une houle océanique ; souvent plusieurs joueurs sautaient pour faire une tête avec le ballon qui avait été projeté dans les airs. Mais c’est le regroupement des joueurs de l’équipe attaquante, se déversant comme les vagues sur les rochers composés des défenseurs de l’équipe adverse qui offre à la foule des haut-le-cœur, qui provoquent l’enchainement des espoirs. C’est aussi pendant ces actions qu’il y eut des instants de grâce ; étonnant, non ? quels sont-ils ? La défense a été transpercée, la balle est dans les pieds du buteur, le temps est suspendu, il frappe, la balle trace sa trajectoire parfaite, il marque. 44 000 spectateurs se lèvent.
Il y eut aussi deux buts, un pénalty et un coup franc, dont les gestes rappelaient ceux de la tombée de la guillotine.
Il y eut également un hommage rendu à un grand joueur brésilien mort le même jour, Socrates le bien nommé, médecin de son état, qui résista à la dictature en faisant de son club un modèle de démocratie.
Mais vous l’avez deviné c’est en hommage au baron Nicolaï Vladimirovitch Staël von Holstein, plus connu sous le nom de Nicolas de Staël à qui j’ai voulu rendre hommage et plus particulièrement à son tableau Le Parc des Princes. Vive la peinture !
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