jeudi 4 juin 2009

NY le 4 Juin 2009



GM:la fin d'un mythe, certes, mais certainement pas celui qu'on imagine.



On en parlait, on s’en effrayait, on jouait avec l’idée pour se faire peur… C’est un fait acquis désormais : GM est en faillite avec un nouvel actionnaire qui se nomme le contribuable américain, ainsi qu’on le dit par ici. Cela coutera au bien heureux et involontaire nouveau propriétaire (67% des américains sont contre l’opération) la modique somme de $50 billions, ce qui parait presque misérable en comparaison de ce que lui ont coûté les bailouts, tout aussi involontaires, des banques.
Et maintenant ?

General Motors était un mythe, c’est entendu, le mythe de l’ascension de l’Amérique où, pour être plus précis, celui de l’industrialisation tout azimut du pays. Car sans trop exagérer on peut dire que l’ascension de Général Motors a accompagné la montée en puissance des USA, un peu à la manière d’un témoin. Au début des années cinquante, une époque qui sera probablement vue comme le point culminant de la puissance américaine par les historiens futurs, on pouvait dire que les intérêts de GM étaient confondus avec ceux des USA : en effet à cette période GM était le plus grand constructeur de voitures du monde (4 millions unités contre 23.000 pour Toyota en 1955), générant 3% du PNB des USA ; il était également le plus gros employeur de la planète (850.000), dont 450.000 aux USA. En 1979 GM employait encore 400.000 personnes sur plus de 150 sites répartis dans le pays. Aujourd’hui il reste 230.000 employés à travers le monde dont 62.000 seulement aux USA. Après le plan de restructuration envisagé par l’Administration Obama, c'est-à-dire après le licenciement de 47.000 personnes à travers le monde (dont 23.000 pour les USA) et la fermeture de 15 à 20 sites de production, il ne restera que 38.000 employés à GM aux USA répartis sur une trentaine de sites. Cela ne tient pas compte des millions de personnes qui seront touchés indirectement par ces restructurations. C’est ce que l’on appelle les « dommages collatéraux » dus aux fermetures de centaines (on parle d’un millier) de concessionnaires, sans parler des dépôts de bilan quasiment assurés de nombreux fournisseurs et sous-traitants qu’entraineront les faillites simultanées de GM et Chrysler.
Au delà de ces chiffres effrayants, par delà l’histoire de cette chute aussi spectaculaire que l’ascension qui la précéda, sans tenir compte de l’échec programmé de tout plan de restructuration tant de GM que de Chrysler, que peut-on conclure de toute cette triste histoire ? Pouvons-nous nous contenter des explications que l’on nous sert habituellement sur le manque de compétitivité, sur les salaires trop élevés où les sommes astronomiques dues pour les retraites des employés, sur le manque d’adaptation de ces compagnies aux évolutions technologiques et environnementales, sur les erreurs de stratégie et j’en passe… Même si tout cela est en partie exact, quoi que ce soit à vérifier soigneusement, est-ce bien tout ? Est-ce réellement le fond du problème ? Tous ces plans de restructuration confectionnés à la hâte sont-ils vraiment les bonnes réponses à la crise actuelle ? Tout cela ne mènerait-il pas à recommencer les mêmes erreurs sous un autre nom ? Les mêmes erreurs, mais lesquelles puisque nous serons plus compétitifs, plus performants et blablabla… Non, non, pas celles-ci, nous parlons de l’erreur qui consiste à penser que nous pouvons nous en sortir en épurant le système qui servit de cadre aux soixante dernières années ; l’erreur qui consiste à croire, où à faire semblant, que l’on peut continuer à vivre de la même manière que nous l’avons fait depuis la seconde guerre mondiale ; l’erreur, où l’aveuglement volontaire, qui consiste à nier que rien désormais ne sera plus jamais comme ce que nous avons connu au cours du demi siècle écoulé.
La faillite de GM ou de Chrysler, et peut-être aussi de certains constructeurs européens voire japonais dans les années à venir, toutes ces faillites ne sont pas simplement l’échec d’un système économique, ou même d’un modèle quelconque. Car ceux qui nous répètent ce genre de propos à longueur de journée, en Europe et en France par exemple, en réfrénant à grand peine leur satisfaction, sont les mêmes qui nous présentent leur propre modèle comme le seul viable, le seul possible, mais qui ne diffère pourtant pas fondamentalement de celui qu’ils vouent aux gémonies… Le problème de ce genre d’affirmations est qu’elles ne se basent que sur les apparences, sur un constat superficiel de la situation, sur une vision conventionnelle de l’état de notre monde voire, et c’est bien pire, consensuelle. Ce qui signifie en clair une idée du monde préfabriquée par d’autre et ânonnée de manière routinière et moutonnière comme un mantra. Notre monde socialiste européen, car c’est de cette manière qu’il est perçu ici aux USA, notre société socialiste donc serait la réponse aux désastres qui frappent la société capitaliste anglo-saxonne. Ce qui implique que le problème réside dans la façon de gérer le système et non pas dans le système lui-même. Ce qui signifie que si on régule le système économique à l’aide de l’Etat et de nos gouvernements bien-aimés, si on nationalise ce qui ne va pas quand cela ne va pas et qu’on augmente la présence de l’Etat partout et toujours, le développement économique et notre chère croissance illimitée reviendront comme par miracle et tout repartira comme au bon vieux temps. C’est d’ailleurs sur cette espérance, ou plutôt sur cette croyance, puisqu’il faut avoir la foi chevillée au corps et au cervelas pour y croire encore, que tous les Etats à travers le monde ont misé en élaborant leurs plans d’apprentis sorciers et en déversant dans le système des tombereaux de monnaie, toujours plus dévaluée au fur et à mesure que ce bel argent tout neuf est crée à partir de rien du tout. Mais c’est, selon eux, la seule manière de faire repartir le bon vieux système désormais régulé, surveillé et fagocité. Ainsi tout ira pour le mieux, c’est promis…
Ce système que nous avons connu, ce système qui s’est mis en place à partir du milieu du XIXeme siècle, ce système qui est monté en puissance tout au long du XXeme siècle en détruisant impitoyablement tout ce qui lui résistait, c'est-à-dire tous les modes de vie traditionnels, toutes les sociétés qui n’étaient pas focalisées sur la marchandisation généralisée de la vie de tous, ce système a produit ce que nous appelons l’individualisme dont l’automobile fût non seulement un des symboles les plus éclatants mais aussi une des conditions nécessaires. Ou en tout cas c’est de cette manière que cela fût présenté pendant des années avec le succès que l’on sait. Et ce symbole, c'est-à-dire l’automobile pour tous, fût également la possibilité du développement de ce que l’on a appelé la société de consommation. Sans automobile pas de société de consommation, ou à tout le moins pas aussi envahissante que ce que nous avons connu. C’est vrai, la voiture a transformé la vie de l’homme comme aucune autre invention ne l’a probablement faite, sans nous être suffisamment rendu compte que cela a bouleversé de manière radicale la perception que l’homme pouvait avoir de l’existence. Ce qui ne veut pas dire que ce dernier ne subira pas d’autres changements tout aussi radicaux que ceux qui précédèrent.

C’est ici, en Amérique, plus que partout ailleurs, que l’automobile a refaçonné le paysage et les habitudes de vie. Sans voitures, sans moyen de transport individuel et indépendant, la vie américaine telle qu’elle a été vécue depuis plus de trente ans ne serait plus viable. En effet c’est uniquement grâce à l’automobile que le développement des « suburbs » fût possible. Et qui dit « suburb » dit automatiquement « malls » et autres centres commerciaux géants. Ce qui signifie l’abandon quasiment complet de tout ce que l’on appelle en France les « commerces de proximité », ce qui implique la destruction de tout centre ville, c'est-à-dire de toute vie locale. Cela a entrainé à sa suite un manque tragique de transports urbains, peut-être moins à cause d’un désintérêt de la part des autorités qu’en raison d’une impossibilité de les développer puisqu’il n’existait plus de point de convergence, c'est-à-dire un centre ville, où les habitants se retrouvent pour acheter ce dont ils ont besoin et par la même discuter des affaires de la cité. Comment faire lorsque plus personne ne se connaît, lorsque tout le monde est éparpillé dans son pavillon sans contact ou presque avec le voisin ? Quel besoin y aurait-il alors d’un réseau de bus ? Pour aller où ? Quant aux trains régionaux, eux aussi ont disparus corps et biens au profit de la voiture ; les trains qui couvraient jadis de grandes distances, eux, furent abandonnés au profit de l’avion. Ce qui fait que la voiture reste le seul moyen pour circuler sur de courtes ou moyennes distances dans ce pays, à l’exception des lignes de chemin de fer modernisées qui subsistent entre New-York et Boston, New-York et Washington via Philadelphie. C’est à peu près tout ce qui reste de l’immense réseau de chemin de fer américain qui faisait la fierté du pays à juste titre, et qui reliait toutes les parties du pays entre elles.
Les faillites de GM et Chrysler ne représentent peut-être pas la fin d’un mythe pour la bonne raison que ce dernier s’était déjà sérieusement érodé dans l’esprit de nombreux américains si l’on se fie aux parts de marché déclinantes des trois « big three » depuis plusieurs décennies au profit des constructeurs européens et japonais. L’industrie automobile américaine avait perdu son aura dans l’esprit du public et s’était en conséquence détachée au fil du temps de « l’American dream », mythe celui-là beaucoup plus profond et significatif dans la conscience du pays et de ceux qui y viennent encore pour y vivre. Or c’est pourtant bien de ce dernier dont il devrait s’agir lorsque l’on parle de l’effondrement d’un mythe dont les faillites de GM et Chrysler ne sont pourtant qu’un des symptômes parmi de nombreux autres. La réalisation de ce que l’on a appelé au XXeme siècle « l’American dream » ne fût possible qu’à une seule condition qui est en train de disparaître sous nos yeux et qui ne sera plus qu’un souvenir dans quelques années, voire avant selon certains. Cette condition c’était l’énergie à très bas prix. Car c’est bel et bien l’énergie à très bas prix, c'est-à-dire l’énergie pétrolière, qui a permis le développement économique que le monde a connu, et particulièrement ce qui est dénommé conventionnellement l’Occident, au cours du siècle dernier. Or c’est précisément cela dont les faillites de GM et Chrysler sont les symptômes : la fin de l’énergie illimitée et bon marché. Il n’est pas nécessaire de s’étendre à nouveau sur la question de l’épuisement des gisements de pétrole, et encore moins sur le « peak oil » qui, semble t’il, serait déjà atteint, ce qui aura pour conséquence inéluctable une flambée des prix du pétrole à laquelle, en comparaison, celle que le monde a connu au cours de l’été dernier (2008) sera un souvenir bon marché. Et nous n’aborderons pas non plus la question des énergies susceptibles de remplacer au pied levé un approvisionnement pétrolier défaillant car cela relève de la mythomanie avancée.

Le seul véritable mythe qui fut la condition indispensable de la croissance économique et de ses conséquences depuis cent ans fut celui de l’énergie bon marché illimitée. Or c’est ce mythe là que l’on ne veut pas remettre en cause. C’est pourtant celui-ci auquel il est le plus urgent de s’attaquer car c’est sa disparition sans y être préparé qui entrainera la crise la plus profonde et la plus grave pour l’Amérique, certes, mais aussi pour le monde industrialisé dans son ensemble. Malheureusement il semble que personne ne veuille prendre les mesures nécessaires pour préparer cette transition d’une époque d’énergie bon marché à celle d’une énergie chère et rare, sans parler des matières premières qui suivront la même hausse que le pétrole. Ce qui signifie que ces hausses de prix entraineront un changement de notre manière de vivre aussi important et radical que le pétrole bon marché ne le fit en son temps pour nos prédécesseurs. Il se pourrait pourtant bien que la période de transition ne se révèle singulièrement courte pour nous permettre de nous réveiller paisiblement d’un rêve qui dure depuis cent ans.
C’est ce que les faillites de GM et Chrysler devrait nous enseigner : à l’avenir ce sera bien pire si on ne fait rien dés aujourd’hui.

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