vendredi 26 juin 2009

Elections en Iran: on prend un prozac et on la ferme...

Ah çà on peut dire qu’on s’en est donné à coeur joie; qu’est ce qu’on n’a pas entendu! Oh rage, oh espoirs, oh désespoirs, oh joie, cela fait deux semaines maintenant que les cochons se roulent dans la boue jusqu’au groin, à tel point qu’ils seraient presque méconnaissables s’ils ne nous étaient pas si familiers (pour notre consternation). Leurs grognements égalent leur totale ignorance de la situation et le binarisme primaire qui reste leur marque de fabrication a fait le reste. Quel concert!


Mais de quoi s’agit-il?

Eh bien il s’agit encore de notre inaltérable volonté d’exporter notre amour de ce que nous nommons la «démocratie», la «liberté», les «droits de l’hommisme», qui ne peuvent bien sûr pas se passer de la marchandisation généralisée de toute forme de vie et d’échange connues et inconnues. Chacun est suffisamment conscient de notre désintéressement et de notre compassion légendaires pour l’humanité souffrante et opprimée, c’est à dire tous ceux qui ne vivent pas encore sous un régime politique et économique aussi immaculé que celui dans lequel nous survivons tant bien que mal. Et il est bien inutile de rappeler ici (faisons le tout de même, on ne sait jamais) à quel point tous ces êtres qui n’ont pas notre chance de survivre dans ce paradis terrestre que nous avons su bâtir, combien tous ces pauvres gens y aspirent de toutes leurs forces, même lorsqu’ils ne le savent pas. C’est inconscient tout simplement.


C’est bien pour cette raison que tous nos cochons si emplis de compassion se sont tellement agités ces derniers temps à propos des élections qui se sont déroulés en Iran le 12 Juin dernier. Car ils étaient assurés que tous les iraniens sans aucune exception voulaient importer chez eux nos coutumes politiques et économiques, sans même parler de nos moeurs que l’univers tout entier nous envie, c’est bien connu. Malgré tout, certains de nos commentateurs médiatisés, nos brillants intellectuels et experts en tout genre sans parler de nos gouvernants bien-aimés, certains d’entre eux donc apprirent avec stupeur à cette occasion que non seulement il y avait bien plusieurs candidats aux élections iraniennes mais que ce pays avait connu un total d’une trentaine d’élections depuis la révolution dont dix présidentielles. Qu’il y ait un candidat passe encore, deux on pourrait faire avec pourvu qu’on soit assuré que ce soit le « gentil » qui gagne et pas le « méchant »; trois cela devient vraiment trop compliqué pour leurs cervelas. Par chance il n’y avait que deux candidats importants lors de ces élections, c’est à dire le « gentil » et le « méchant ». Bien sûr le « gentil » était élu d’avance, comme par définition, puisque le bon peuple iranien n’en pouvait plus de ne pas survivre comme nous. Qui d’ailleurs ne tiendrait pas à tout prix à survivre comme nous, on se demande? C’était pour cette raison précisément que le « gentil » candidat était le « gentil »: son unique préoccupation, selon nos experts illuminés, était de rendre son pays en tout point semblable à ce qui reste des nôtres. Quant au « méchant » bien sûr c’était un monstre, une horreur totale, peut-être même pas un être humain tant il était détestable. C’était donc couru d’avance, le « gentil » serait le gagnant, c’était inscrit dans le cours de l’histoire en éternel progrès comme on sait et comme on voit.


Pourtant quelques semaines avant les élections, les résultats de celles-ci en avaient été correctement anticipé par une organisation indépendante basée à Washington («Terror-Free for tomorrow») qui a l’habitude de pratiquer des sondages dans la région et dont le travail pour la BBC et ABC News a déjà été récompensé par le Emmy award. Ce sondage a été mené par téléphone en farsi du 11 au 20 Mai pour le Washington Post.

Que nous apprenait-il?


1) Il révéla que le Président sortant menait déjà par 2 voix contre 1 contre Mousavi,

2) Contrairement aux voyances de nos pythies professionnelles qui hululèrent à l’envie combien toute la jeunesse iranienne aspirait au changement et que celui-ci se ferai grâce à Internet, le rapport révéla que les jeunes entre 18 et 24 ans constituaient le plus fort soutien du Président sortant, ainsi que les populations rurales et les plus démunis, notamment dans les quartiers pauvres de Téhéran. D’autre part il établit également que seuls 1/3 des Iraniens avaient accès à Internet.

3) Il montra également que les étudiants des universités, les diplômés et les iraniens disposant de revenus les plus élevés soutenaient Mousavi, ce qui signifie que son principal soutien était cantonné à la classe moyenne des centres urbains.


Aujourd’hui tous les cochons hurlent à la fraude sur tous les tons et dans tous les médias possibles et imaginables. Pourtant on trouve à boire et à manger entre ceux qui proclament qu'il n'y a pas eu fraude et leurs contradicteurs, tel le rapport sorti tout à fait à propos par «Chatham House» insistant sur le fait que les élections avaient certainement été truquées en raison de "faits hautement improbables". Beaucoup se sont basés sur ce rapport pour verser de l’huile sur le feu bien que ce dernier ait été lui-même fortement contesté. La vérité est qu'on ne saura peut-être jamais jusqu'à quel degré il y eût fraude.

Mais on peut constater ce qui suit:

Le Président sortant ( élu tout à fait légitimement en 2005 avec 61,9% des voix contre son rival Rafsanjani: 35,9% ) a recueilli 62,6% des voix contre 33,8% pour Mousavi. On peut constater que cela correspond à peu près à ce qui se passa il y a quatre ans, nous retrouvons les mêmes proportions et les mêmes écarts. A ces dernières élections (2009) il y avait 46,2 millions d’électeurs inscrits; 39,2 millions allèrent aux urnes dont 38,8 millions furent validés (400.000 invalidés); 24,5 millions votèrent pour le Président sortant, Ahmadinejad, contre 13,2 millions à Mousavi. S’il y avait eu fraude, il aurait fallu que la fraude se porta sur plus de 5,5 millions de votes pour que les élections soient gagnées par Mousavi. C’est plus que douteux, c’est le moins qu’on puisse dire. De plus Mousavi avait 40.676 observateurs sur les lieux de vote et aucun n’a relevé officiellement de fraude ou n’a émis de doutes sur le déroulement des élections. Qu’il y ait eu des irrégularités comme s’en sont plaint les perdants, certes, il n’y a pas de raisons qu’il y en ait moins que chez nous, mais probablement pas au point de modifier le résultat de ces élections au détriment du vainqueur.

Un autre témoignage intéressant au sujet de cette élection iranienne est celui du chef du Mossad, Meir Dagan, dont on peut soupçonner que la qualité de ses informations devrait être de premier ordre. Voici ce qu’il déclara Jeudi dernier à la commission pour les Affaires Etrangères et la Défense de la Knesset:


The violence in the wake of the elections in Iran and allegations of vote rigging are not different from "any other democracy… the discussion within the Iranian elite… is an internal affair." (Source: Jerusalem Post)

D’autre part l’argument selon lequel les « ultra-conservateurs » ont commis une fraude pour tenter d’empêcher un réformateur de prendre le pouvoir ne tient pas la route. Tout d’abord il faudrait savoir si oui ou non Mousavi est bien le réformateur que tous nos cochons font de lui. Cela parait difficile à soutenir lorsqu’on se souvient que le même Mousavi fût Premier Ministre entre 1981 et 1989, c’est à dire pendant la guerre avec l’Irak. Le Président de l’époque était... Khamenei, c’est à dire l’actuel Guide Suprême. De plus est-il concevable qu’il y ait eut un réformateur au pouvoir deux ans après la révolution et qu’on lui ait laissé la conduite de la guerre? En réalité rien dans le passé de Mousavi ne peut nous permettre de faire de lui un réformateur: ni sa politique économique pendant la guerre, ni celle qu’il s’attacha à maintenir après cette même guerre contre Rafsanjani qui poursuivait ses intérêts et ceux du bazar, comme aujourd’hui. Sans compter que c’est le réformateur préféré de l’Occident sans mémoire qui mit en chantier le programme nucléaire iranien et que c’est sous son autorité que l’Iran finança l’attaque des casernes des marines US à Beyrouth (qui provoqua la mort de plus de 300 soldats américains) et celle des militaires français (qui provoqua également de nombreux morts). Le cher réformateur que l’Occident se plaît à célébrer comme un martyr de la dictature fût surnommé à l’époque «le boucher de Beyrouth»...

Voici ce que pense Meir Dagan, de notre soit-disant réformateur tel qu’il le déclara au Comité de Défense et des Affaires Etrangères de la Knesset Jeudi dernier.


"The reality in Iran is not going to change because of the elections. The world and we already know [Iranian President Mahmoud] Ahmadinejad. If the reformist candidate [Mir Hossein] Mousavi had won, Israel would have had a more serious problem because it would need to explain to the world the danger of the Iranian threat, since Mousavi is perceived internationally arena as a moderate element ... It is important to remember that he is the one who began Iran's nuclear program when he was prime minister." (Source: Haaretz)


Dans ce contexte on ne peut plus incertain nos pathétiques dirigeants européens se précipitèrent vent debout pour se mêler lourdement des affaires internes iraniennes, contrairement à ce que tente de faire Obama avec habileté, et ce malgré les pressions qui s’exercent sur lui de la part non seulement des néo-cons mais aussi de certains membres de son administration, comme le Vice-Président et la Secrétaire d’Etat. Jusque-là il avait tenu bon mais il semblerait que cette attitude raisonnée et digne d’un homme d’Etat ne soit en train d’être mise au rebut en raison de problèmes de politique intérieure, ce qui risque de miner toute sa stratégie vis à vis de l’Iran. L’Europe, donc, sans aucune stratégie sur rien du tout ni aucune pensée faisant appel à une demi once de raisonnement à l'exception de ce qu'on appelle "l'émotion", c'est à dire rien de plus que de la sensiblerie à forte tendance électoraliste, l'Union Européenne, par la voix de la France, de l’Allemagne et de la GB notamment, s’est donc dépêchée de se mêler de ce qui ne la regardait pas en donnant des leçons totalement déplacées aux iraniens et, pire que tout, hors de propos. Imaginons deux secondes la crédibilité de nos braves bouffons européens en matière de «démocratie» lorsque le monde entier peut assister mi effaré mi rigolard à ce qui se passe quand les peuples européens votent d’une manière qui ne plaît pas à leurs estimables dirigeants: par exemple sur le Traité de Lisbonne que l’Irlande, la France ou la Hollande n’ont pas ratifié. Eh bien on les fait revoter jusqu’à ce qu’ils votent comme ils doivent voter. C’est ainsi que nos dirigeants conçoivent ce qu’ils nomment la «démocratie». On ne voit donc pas très bien de quel droit ils se permettent ensuite de donner des leçons de «démocratie» à n’importe qui d’autre... et ce d’autant plus que toute intervention de la part de l’Occident en faveur ou en défaveur de l’un ou l’autre des parties ne fait que donner des armes ou des prétextes à ceux qui, en Iran, répètent à l’envie que leurs adversaires sont payés par l’Occident pour détruire la nation.


De plus il ne s’agit nullement de révolution mais de querelles intestines au régime. Il s’agit d’une lutte entre deux courants issus de la Révolution. Il ne s’agit donc pas du tout du peuple contre un régime dictatorial car chacun des candidats s’appuie sur une large fraction de ce même peuple. Que l’Occident l’admette ou non, Ahmadinejad bénéficie d’un support au moins aussi important que son rival, si ce n’est plus si on se base sur les résultats de l’élection. Quant à Mousavi, même si on se tient à l’élection il bénéficie malgré tout de plus de 13 millions de voix, ce qui n’est pas à négliger. Donc l’un et l’autre représente chacun une partie importante de la population iranienne, quels que soient les résultats des élections. Aucun d’eux au pouvoir ne se jettera dans les bras de l’Occident car non seulement aucun iranien ne l’accepterait mais en plus il leur faudrait l’aval du Guide Suprême.


"what matters is the position of the [supreme] leader and this has not changed. The riots take place only in Teheran and one more region, they won't last for long." (Source: Jerusalem Post - Meir Dagan au Comité pour les affaires étrangères et la Défense de la Knesset)

Le Guide Suprême, c’est à dire Khamenei, a au contraire vu son pouvoir confirmé en plusieurs étapes depuis Jeudi dernier. Ce jour là le plus important organe du régime, l’Assemblée des Experts (86 membres), doté du pouvoir d’élire le Guide Suprême mais aussi de le destituer, s’est rallié ouvertement à lui. A la suite de son discours de Vendredi cette même Assemblée a réaffirmé Samedi son soutien au Guide Suprême et a appelé la nation à suivre les directives de Khamenei. Ce même jour l’Etat Major de l’Armée et plusieurs voix influente du régime apportèrent leur soutien à leur tour au Guide Suprême. Même si les agitations persistent on peut voir aujourd’hui que le mouvement s'essouffle nettement et qu’il est désormais probable que sans leader ni programme il s’éteigne comme un feu sans combustible ainsi que l’a dit Meir Dagan.


En réalité l'Occident se condamne à ne rien comprendre nulle part, y compris en Iran, à force de projeter ses propres névroses politiques et économiques sur tout ce qui n’est pas lui, c’est à dire sur tout ce qui n’a pas été formaté selon notre modèle bien-aimé de société. Il est en effet particulièrement difficile pour nos gouvernants aussi bien que pour nos subtils médias et nos non moins brillants intellectuels d’envisager une seconde qu’il soit possible, voire même envisageable, que l’on puisse refuser notre paradis terrestre. Il ne peut pas entrer dans leurs cervelas respectifs, et encore moins collectifs, qu’il puisse y avoir des êtres humains désirant vivre selon leurs voeux, c’est à dire selon d’autres lois et d’autres coutumes que les nôtres, ou plutôt que celles de nos dirigeants et autres « piple », si tant est que l’on puisse encore décemment affirmer que ces gens survivent encore selon certaines coutumes alors qu’ils font tout ce qui est en leur pouvoir pour éradiquer le plus vite possible ce genre de reliques, inutiles vestiges archaïques dans une société utilitariste et moderne comme la nôtre. Tout cela montre mieux que tous leurs pauvres discours combien ils sont inaptes et réfractaires à toute véritable différence; en d’autre terme combien secrètement ils peuvent être allergique à toute altérité puisqu’ils n’en supportent qu’une seule: la leur.


Alors qu’il y ait eu fraude, oui, il semblerait que cela soit le cas puisque les Gardiens de la Révolution eux-mêmes ont déclaré qu’ils avaient relevé des irrégularités dans 50 villes portant sur 3 millions de votes. Mais cela, apparemment, ne remet pas en cause la réélection du Président sortant. De plus, même si cela survenait selon toute improbabilité, aucuns des deux candidats n'a l'intention de renverser le régime: y introduire des réformes, certes, notamment économiques car il s'agit pour chaque camp de mettre la main sur les revenus disponibles, mais certainement rien d’autre, y compris en ce qui concerne le programme nucléaire, enfant légitime de Mousavi lui-même. Mais le cadre de la république islamique, ainsi d’ailleurs que l’a déclaré Mousavi, n'a jamais été remis en cause par personne.

Nous sommes bien conscient du choc terrible que cela provoquera chez tous les cochons qui avaient tant espéré l’occidentalisation des iraniens, c’est à dire leur décrépitude à notre niveau. C’est pourquoi il serait charitable de préconiser à tous ces cochons là, ceux qui se sont si indignés depuis leurs fauteuils avec tant de générosité en faveur des iraniens, n'hésitant pas à mettre leur précieuse santé en grand danger, il faudrait leur donner d'urgence à tous de fortes doses de prozac pour calmer leurs nerfs soumis à si rude épreuve et qu’il puissent de cette façon dormir sur leurs deux oreilles afin de récupérer une santé altérée par leur souci de l'autre si développé.

Et puis cela nous fera des vacances jusqu’à la prochaine indignation.

En attendant tout le monde est content à Cochon sur Terre, le meilleur des mondes.


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