Feue la comtesse Bismarck vous attend à Paris 34, avenue de New York. Vous aurez à pousser la porte en bois de son hôtel particulier ; vous pourrez alors regarder sous les lambris dans quatre salons aux parquets Versailles une exposition de peintures de la famille Wyeth, grand-père, fils et petit-fils.
Trois générations, c’est long, rare et émouvant surtout lorsqu’elles sont talentueuses. Que nous montrent les Wyeth, à quoi nous invitent-ils ? Vivre dans l’image, rejoindre le sujet, écouter les silences. N.C. le fondateur ou Newell Convers Wyeth (1882-1945) est un fils de fermier, élevé dans une ferme. Il devient illustrateur, peintre. Sa peinture est épique : chevaliers au combat, officiers de la Guerre d’indépendance, le capitaine Nemo – c’est du Walt Disney pour adultes. Après l’armée américaine le recruta pour soutenir l’effort de guerre, notamment dans le Pacifique – vous en verrez un tableau et comprendrez l’investissement qu’il fournissait pour chacun : « il m’est arrivé d’avoir des courbatures après avoir peint une scène d’action, tant je me suis mis à la place des personnages que j’ai peints » écrira-t-il. Cet engagement qui sonne comme une exigence donne une force étonnante à ses tableaux – comme à ceux de ses descendants ; ils vous happent.
Son fils Andrew Wyeth (1917-2009) resta à la campagne en Pennsylvanie ; c’est là qu’il trouva ses sujets, la terre, ses voisins mais également l’incertitude, l’angoisse, la solitude de l’homme dans cette nature rude où les saisons vous rappellent que ce sont elles qui donnent le la de la lumière qui éclaire les journées et les cœurs, et sans laquelle on ne peut vivre. Classé comme appartenant à l’école régionaliste et réaliste, il est beaucoup plus que cela. Ses peintures sont in fine abstraites ; une ode à l’introspection ; et la palette à l’unisson de l’école du Nord, une vision du monde, blanc, gris, marron – sauf lorsqu’il peint le nu d’une femme, comme une nouvelle Eve, lumineuse, joyeuse.
Jamie Wyeth (né en 1946), le deuxième fils d’Andrew, poursuit l’œuvre familiale. Il vit dans le Maine entre une ferme et un phare. Avant de peindre un sujet, il le dessine sans relâche ; il suivit ainsi Rudolph Noureev pendant une année ; pour John Kennedy mort, ce sont ses frères dans les pas desquels il se mit pour comprendre le défunt. Vous verrez leurs portraits : « Noureev à l’écharpe violette » est bouleversant sous un masque Nô, dans « Portrait de John F. Kennedy » le président est là, et plus encore, interrogatif, doutant, figure d’une autre Amérique, au point que la famille n’apprécia pas le tableau qui contestait le mythe du super président. Vivant volontairement loin de New York et Los Angeles, Jamie Wyeth saisit néanmoins avec ironie notre époque dans le tableau « Phare ». Il représente un homme de dos vêtu d’une veste d’officier rouge vif face à un phare et un ciel ombrageux et lumineux à la fois. Cet homme aux cheveux coiffé en pétard pourrait être le héros contemporain, un nouveau Barry Lindon, ou Mick Jaeger en scène découvrant l’effroi du culte dont il fait l’objet avec ses milliers de fan qui l’attendent comme un phare de l’humanité. Le dernier des Wyeth peintre (pour le moment) nous montre qu’il a tout compris à notre époque.
Nous remercions chaleureusement la comtesse Bismarck de nous recevoir ainsi aimablement chez elle dans son hôtel particulier, et du thé qu’elle sert à l’étage dans sa bibliothèque d’où l’on peut admirer la Seine, le musée des Arts premiers, la tour Eiffel. Charming !
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