vendredi 6 janvier 2012

Quelques livres... à ne pas jeter aux cochons, par Coriolan.

Rien ne m’amuse tant que les listes. Liste de films préférés à sauver d’un improbable désastre, de musiques à emporter sur une ile déserte, de restaurants favoris, de villes, de filles, chacun les siennes au gré de son imagination où de sa mémoire.

Faire le tri dans ses souvenirs et réveiller des sensations endormies, de vieux rêves, que des livres aimés ont imprimé en nous, voilà une « distraction » que Pascal aurait qualifiée de « vrai » et de « bien ». Nous allons donc joindre l’utile à l’agréable et vous proposer une demi douzaine de livres à lire où à relire, un choix totalement anarchique, guidé par le seul plaisir que votre serviteur a éprouvé au cours de sa vie de lecteur.

- Ecrits de combat de Bernanos.

Héritier des grands pamphlétaires du début du siècle, fils spirituel de Léon Bloy, Bernanos promène son regard d’une lucidité absolue sur les ruines de son temps... et il y en eut beaucoup. Nous retiendrons en particulier deux essais écrits au Brésil : « La lettre aux Anglais » et la France contre les robots ». Deux textes où l’intuition fulgurante du grand écrivain dessine les contours de notre époque défaite. Salutaire.

- « Les fruits du Congo » d’Alexandre Vialatte.

Un roman à la poésie étrange et débridée où le traducteur de Kafka prouve qu’il est bien l’un des grands écrivains oublié du XX ème siècle. Roman initiatique, « les fruits du Congo » nous décrit une adolescence en Auvergne, mais une Auvergne inconnue, inquiétante, baignée par la brume Rhénane où rôde la mort. A lire aussi « Le fidèle Berger », plus noir que le précédent où l’on suit la lente marche vers la folie d’un soldat. « Et le brigadier Berger entra dans son destin comme dans le château d’un enchanteur ».

- « Moravagine », Blaise Cendrars.

Un tout autre style ici avec un roman inclassable, convulsif, surréalisant parfois où Cendrars pulvérise les cadres du roman classique pour nous envoyer dans les étoiles, à l’instar de son personnage, un prince déchu, échappé d’un asile psychiatrique, nourri à la morphine, et dont l’ambition est de dynamiter l’univers.

- « Le voyage au bout de la nuit », Louis-Ferdinand Céline.

Un tour de force : comment transformer l’argot, c’est à dire un langage éphémère, périssable entre tous, en une langue universelle. Un style unique et une vision du monde d’une noirceur absolue traversée parfois d’éclairs de compassion. Voir à ce sujet le passage à propos de la prostituée « Molly » qui devrait être appris par coeur par nos féministes les plus endurcies.

- « Le hussard Bleu », Roger Nimier.

Chef d’oeuvre d’un écrivain mort à 37 ans au volant de sa « Gaston-Martin » (merci Gaston Gallimard), « Le Hussard Bleu » est un roman générationnel, une manière de manifeste pour des écrivains que l’on rangea sous la bannière de « hussard » (merci Bernard Franck). C’est avant tout une langue superbe, à la fois classique dans la forme (Nimier adorait le 17 eme siècle), mais aux accents ironiques et désabusés (merci Roger).

- « Amère Victoire », René Hardy.

Ecrit par René Hardy que l’on accusa en son temps d’avoir dénoncé Jean Moulin, ce petit roman (par le nombre de pages) raconte la fin dans le désert d’un commando britannique parti faire sauter un centre de commandement de l’Afrika Korps. Il s’agit surtout pour René Hardy de faire sauter les masques de la comédie humaine. Un roman par delà le bien et le mal où tout brûle et où l’âme humaine est disséquée au scalpel. Injustement oublié. Signalons que Nicolas Ray en a tiré un scénario assez réussi pour un film où Richard Burton et Curd Jürgens tinrent les premiers rôles.

- « La nuit, le jour et toutes les autres nuits », Michel Audiard.

On est très loin ici du « cinéma andouillette » de Michel Audiard (je précise que j’aime beaucoup les andouillettes) ; ce livre est en effet un témoignage extraordinairement poignant avec une économie de mots et hors de tout sentimentalisme, sur les années d’occupation et sur la mort de son fils. On peut voir dans le titre même de ce récit un hommage à Louis-Ferdinand Celine, mais c’est bien plus que cela : ce roman nous offre une voie singulière et ressucite des fantômes que l’on n’oubliera pas. Un grand écrivain.

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