samedi 8 septembre 2012

Turquie : l'effet boomerang ?

Il y a un an et demi le premier ministre turc Erdogan était encensé dans le monde arabe et le prestige de la Turquie était au plus haut. Le premier ministre Turc était en passe de devenir le nouveau leader du monde arabe et le défenseur de son indépendance. La politique « zero problems avec nos voisins » de son ministre des affaires étrangères Davutoglu avait jusque là plutôt bien fonctionné et permis à la Turquie d’engranger des relations cordiales avec la Syrie, l’Iran et l’Irak tout comme avec Israël.
Las. Aujourd’hui la Turquie est en passe d’être isolé. La politique de Davutoglu est passé de « zero problems » à « problems with everybody » ; nous parlons toujours des relations régionales de la Turquie. La popularité naissante d’Erdogan s’est évanouie au profit du nouveau Président égyptien Morsi et les Turcs eux-mêmes manifestent leur mécontentement vis à vis de la politique étrangère du duo de choc Erdogan-Davutoglu.

Que s’est-il passé ?

Il semblerait que les événements dits du Printemps arabe aient tourné la tête de nos deux dirigeants adeptes de la doctrine du « zero problems ». La Syrie en particulier a attiré leur attention en réveillant des ambitions jusque-là ignorées, où mises en veilleuse en attendant un heure propice pour se révéler au grand jour.
La crise syrienne a conduit Erdogan a se mêler activement des affaires internes de ce pays.

Au départ il y eut tout d’abord un mauvais calcul, où plutôt une appréciation erronée de la solidité du régime du Président Assad. A sa décharge il semblerait que tous les participants à cette opération de déstabilisation aient fait la même erreur de calcul en misant sur une opération rapide et peu couteuse, pariant sur un soulèvement général de la population contre le régime dés les premières escarmouches organisées. Comme on sait il n’y eut nulle manifestation de ce genre et la population syrienne ne s’est pas encore soulevée en masse contre le régime, un an et demi après le début de l’opération de déstabilisation. Au contraire, comme on l’a vu à Alep entre autre, plus les mercenaires étrangers, financés et armés par nos alliés saoudiens et qataris, entrainés, bichonnés et soignés par nos soins, plus ces bandes d’assassins commettent leurs méfaits plus la population semble se tourner vers l’armée pour s’en protéger. Ce qui ne signifie pas que toute la population soutient le régime mais que même ceux qui ne sont pas pro-régime finissent par se dire que ce dernier vaut mieux que les barbares étrangers.

De plus, il semblerait que tout ce petit monde de comploteurs se soit mis le doigt dans l’oeil en sous-estimant fortement le nombre de supporters du régime ; car il semblerait bel et bien que ce dernier puisse compter sur le soutien d’une majorité de la population, y compris sunnites, et non pas seulement celui des minorités, comme cela a souvent été conté dans les médias de désinformation occidentaux et leurs alliés.

A ce propos il est fort probable que nos conspirateurs du Golfe aient pris leurs fantasmes pour la réalité, tant il est vrai que les Saoudiens et leurs minions du GCC font tout ce qu’il est possible de faire pour inciter les communautés sunnites et chiites à s’entre-tuer afin de leur permettre non seulement d’affaiblir le prestige et l’influence de l’Iran sur les populations arabes, qui est grand, y compris chez les sunnites, tout en détournant l’attention de ce qui se passe chez eux ; cela leur permet ainsi de liquider l’opposition chiites à Bahrein et en Arabie Saoudite en toute tranquillité, avec notre complicité hypocrite.

Isolation externe de la Turquie.

Mais revenons aux Turcs.
Certes on a dû faire miroiter à Erdogan et son acolyte Davutoglu que le fruit syrien était prêt à tomber pour qui secouerait légèrement l’arbre syrien.
Erdogan et Davutoglu y ont vu une bonne occasion d’asseoir une domination néo-ottomane sur la région par l'intermédiaire de la mise sous protectorat de fait d’une Syrie dotée d’un nouveau régime faible et « démokratique », le tout sous les yeux bienveillants des USA. De plus la possibilité d’éradiquer une bonne fois pour toute le problème des kurdes résidents en Syrie soutenant leurs cousins Turcs dans leur espoir commun d’un Kurdistan indépendant tint une bonne part dans leurs calculs.
Mais cette politique n’a fait qu’isoler la Turquie de ses voisins.

Iran : sur cette question kurde les Iraniens tout comme les Turcs partageaient la même inquiétude et  restait un motif d’entente entre les deux pays qui coopéraient pour lutter contre la guérilla kurde. Les relations entre les deux pays s’étaient nettement améliorées depuis l’accession au pouvoir d’Erdogan. Leurs relations économiques s’étaient développées, les investissements turcs en Iran étant parmi les plus importants dans le pays et l’Iran fournissant 30% du pétrole dont la Turquie a besoin, sans parler du gaz. Aujourd’hui, l’agression turque contre la Syrie a détruit ces bonnes relations.

Irak : la Turquie a également mis à mal les relations qu’elle entretenait avec Baghdad notamment à cause des liens que les turcs se sont mis à développer directement avec les kurdes irakiens sans passer pas Baghdad, capitale fédérale, comme cela devrait être le cas. De plus les raids aériens opérés par l’aviation turque sur le territoire irakien contre les kurdes syriens où turcs qui y trouvent refuge provoquent la fureur des Irakiens, à juste titre, face à ces violations de leur souveraineté nationale. Mais l’agression turque contre la Syrie a encore rapproché l’Irak de l’Iran qui voient désormais Erdogan et compagnie comme des traitres à la cause musulmane. Ce ne sont pas les seuls car cette opinion est désormais largement répandue dans l’opinion publique arabe, rejoignant en cela l’opinion d’une bonne partie de la population turque elle-même.

Israël : les liens avec israël se sont nettement dégradés depuis l’affaire de la flottille de Gaza. Ironiquement, cette affaire avait fait monter à des sommets la côte de popularité d’Erdogan dans le monde arabe. Or, aujourd’hui, son attitude vis à vis de la Syrie lui vaut l’hostilité des populations du monde arabe qui lui reprochent sa trahison de la cause musulmane et son alliance avec Israël et les USA pour la destruction de la Syrie.

Russie : la encore les relations se sont détériorées depuis la crise syrienne et il est loin d’être certain que la Turquie trouve un avantage quelconque à s’être mis les Russes à dos.

Opposition interne grandissante au gouvernement Erdogan.

A propos des Kurdes, le gouvernement syrien a joué un tour pendable aux Turcs. En signant un accord avec les kurdes syriens en Juillet dernier qui permit à l’armée syrienne de se retirer du territoire kurde en laissant ces derniers s’administrer eux-mêmes à condition qu’ils ne s’allient pas à l’opposition, Assad a ouvert la boite de Pandore. Car cet accord donne aux Kurdes les mains libres pour aider leurs cousins de Turquie en levant à nouveau l'étendard de l’indépendance. Pendant ce temps là, n’oublions pas que du côté irakiens les Kurdes sont de facto quasiment indépendants (avec le soutien actif des USA) et ne perdent pas de vue la destinée de leurs parents sous administration syrienne et turque. Le résultat de l’accord entre le gouvernement syrien et les kurdes ne s’est pas fait attendre : un attentat contre l’armée turque a fait dix morts le we dernier et la guerilla kurde semble avoir repris ses activités en Turquie. Les infiltrations des kurdes syriens en territoire turc s’intensifient alors que l’armée turque est occupée ailleurs en raison de la crise syrienne précisément. Le gouvernement turc a envoyé d’urgence des renforts pour tenter de prévenir ces infiltrations des kurdes syriens sur son territoire et il menace d’établir une zone tampon entre la Syrie et la Turquie afin de les empêcher. Ce qui a déclenché un sévère avertissement de Téhéran indiquant que l’Iran ne tolèrerait pas une intervention étrangère sur le sol syrien et que cela pourrait provoquer l’entrée en lice de l’Iran aux côtés des Syriens.

La Turquie est un pays dans lequel coexistent de nombreuses communautés ethniques et religieuses. Outre les kurdes (25% de la population), les chiites représentent également un quart de la population sans compter les Arméniens, Azerbaidjanais et autres Bulgares. Si l’on ne prend en compte que les deux minorités les plus importantes du pays, les Kurdes et les chiites, elles représentent à elles seules près de la moitié de la population et la politique d’Erdogan les irritent au plus haut point toutes les deux. N’oublions pas que la majorité des chiites turcs vivent en bordure où non loin de la frontière syrienne ; ils sont donc tous liés à leurs cousins syriens vivant à quelques kilomètres de là et sont parfaitement au courant de ce qui se passe en Syrie. Ils savent également que le régime d’Assad était bienveillant pour leur coreligionnaires et que la chute du régime signifiera le début d’une persécution à leur encontre. 

Mais il y a plus. La population des camps installés par les Turcs à la frontière pour accueillir les soit disant « réfugiés » commence à créer des problèmes de plus en plus importants avec la population locale jusqu’à provoquer de sérieux incidents entre locaux et étrangers. Car ce sont souvent de bien étranges « réfugiés » que l’on  trouve  dans certains de ces camps qui sont en vérité des camps d’entrainement des djihadistes et affiliés d’Al Quaeda. Et ces « barbus » irakiens, afghans, tchetchènes où libyens ne sont pas du goût des autochtones ; ces derniers n’apprécient pas lorsque nos alliés barbus vont en ville et partent sans payer leurs consommations en menaçant les habitants qui protestent qu’ils reviendront chez eux (en Turquie) pour faire le même travail qu’en Syrie lorsque ce dernier sera achevé. C’est à dire les éliminer comme leur coreligionnaires Syriens.

A cela s’ajoute la forte hostilité parmi la population turque en général qui s’est développée contre l’alliance avec Israël, contre l’OTAN et contre la présence de bases étrangères en Turquie, tout cela étant interprété comme étant autant de menaces contre des pays musulmans. Les événements syriens ne peuvent que donner corps à ces craintes.

Une forte opposition s’est également développée au sein de la classe politique turque contre la politique du gouvernement envers la Syrie. Les partis d’opposition condamnent cette politique belliciste et nombreux sont ceux qui sonnent l’alarme contre cette aventurisme en prévenant des risques que cela fait courir à la Turquie elle-même. Une guerre civile pourrait ne pas être à exclure, annoncent-ils, dénonçant « l’accueil » des terroristes djihadistes dans les camps à la frontière, entrainés par nos soins et envoyés en Syrie... où ailleurs... Car le chaos qu’ils sèment et provoquent en Syrie pourrait à son tour se répandre en Turquie en cas de chute du régime syrien. Et il est fort probable que ces terroristes, une fois leur oeuvre de destruction accomplie en Syrie, se retournent contre ceux qui les ont nourris et armés pour accomplir la même tâche en Turquie. Car cette dernière, comme la Syrie, est un régime laïc reposant sur la multiconfessionalité, ce que les djihadistes ont pour objectif d’éradiquer puisque leur objectif est l’établissement d’un califat universel.

Quant à l’armée, une majorité d’entre elle est hostile à Erdogan et à son gouvernement, et plus encore à sa politique anti-syrienne. Quant à « l’accueil » et à l’entrainement de djihadistes sur territoires turc on peut imaginer facilement ce que des kémalistes laïcs peuvent en penser.

Tous ces mécontentements grandissants à l’intérieur du pays se font avec une situation économique qui se dégrade en toile de fond. Car les échanges commerciaux entre la Turquie et ses voisins (Syrie, Iran, Jordanie etc) se sont réduits au fur et à mesure que la crise syrienne s’est développée, puisque toutes les marchandises qui transitaient autrefois par la Syrie ne le peuvent plus.

Désormais la situation devient précaire pour la Turquie.
Avant de créer le chaos en semant la divisions et la haine entre des confessions et des sectes qui vivaient auparavant en paix les unes avec les autres, on s’assure que l’on est soi-même immunisé contre le poison que l’on va répandre chez le voisin. Or ce ne fût pas le cas.
La Turquie comme la Syrie est un état laïc, sujet de haine intense de la part des djihadistes aux yeux de qui, comme déjà dit, la Turquie est tout autant une cible à abattre que la Syrie. De plus la Turquie comme la Syrie ont des minorités kurdes importantes sur leurs territoires qui leur posent posent les mêmes problèmes puisque les kurdes veulent vivre ensemble dans le même état : le Kurdistan. Or ce rêve n’est possible que par le démembrement de la Turquie et de la Syrie, sans parler de l’Irak.
Par conséquent en provoquant le chaos et la destruction en Syrie, Erdogan pourrait bien être en train de préparer la libanisation de la Turquie elle-même.

Pour éviter cela, il faudrait que le gouvernement Erdogan cesse immédiatement son soutien aux terroristes afin d’aider Damas à reprendre la situation en main et à rétablir l’ordre, avant que la fièvre destructrice lâchée et attisée en Syrie ne revienne sur la Turquie comme un boomerang.

Pendant ce temps là tout le monde est content à Cochon sur Terre, le meilleur des mondes.

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