vendredi 23 novembre 2012

Gaza, où est ta victoire ?

Voilà, c’est fini.
Selon toute apparence en tout cas. Et le temps que chacun fourbisse ses armes à nouveau.

En tout cas tout le monde crie victoire : les Palestiniens, les Israéliens, les Occidentaux, bref tout le monde sauf les morts, 150 palestiniens (2/3 femmes et enfants) et 5 Israéliens.
Quoi que...

Donc un cessez le feu a été signé hier sous les auspices de l’Egypte et de son Président, Mohammed Morsi, l’allié du Hamas, et de Tata Killary, « dérangée » au Caire spécialement pour l’occasion. Nous connaitrons les détails de cette « paix » dans les jours qui viennent. Cependant nous craignons fort que le mot « paix » soit très exagéré et que celui de « cessez le feu » soit plus approprié en cette circonstance qui dure depuis 1948.

Oddly, the self-delusional policies which Israel has often fed upon – in its second Lebanon war in 1982, for example – returned this month. In Washington, the Israeli ambassador, Michael Oren, has been arguing that the Gaza war began in 1948, “the day Arab forces moved to destroy the newly declared state of Israel.” But this is untrue.

The Gaza war began when Israel drove 750,000 Palestinians from their homes in that same year, many tens of thousands of them herded into the refugee camps of – yes, Gaza. It is their children and grandchildren who have been firing rockets into Israel – in some cases on to the very lands which their families once owned.
(The Independant - Robert Fisk - 22.11.2012)

Comme nous vous l’indiquions les deux camps clament la victoire et se réjouissent de la tournure des événements.

Israel Defense Minister Ehud Barak said that all his government's military goals in Gaza were "achieved" as the ceasefire agreement came into effect. The IDF issued a statement saying that it accomplished its “pre-determined objectives” for the eight-days-long Operation Pillar of Defense, inflicting severe damage to Hamas and its military capabilities.
(Sources : Russia Today - 21.11.2012)

En vérité aucuns des objectifs de Bibi et de son acolyte Barak (nous parlons d’Ehud) n’ont été atteints, sauf un, le principal, bien que même cela soit contestable.

- L’opération « pillar of defense » aurait dû au moins permettre au trio infernal Bibi/Bark/Lieberman de remporter les élections de Janvier, ce pour quoi de nombreux observateurs les soupçonnent fortement d’avoir déclenché l’opération contre Gaza.

But surely Benjamin Netanyahu’s campaign for the January elections began the moment he ordered the assassination of Ahmed al-Jabari, the Hamas leader, just over a week ago. Indeed, the bombing of Gaza moved seamlessly into the Netanyahu election project: if Israelis want security, they know who to vote for.

Or do they? It was evident after the ceasefire began on Wednesday night that Mr Netanyahu was worried.

“I know that there are citizens who expect an even harsher military action…” he began, but “Israel’s challenges” had become more complicated down the years. “Under these conditions, we need to steer the ship of state responsibly and with wisdom.” An interesting choice of words, but Churchillian it was not.
(Sources : The Independant - Robert Fisk - 22.11.2012)

- L’affirmation selon laquelle l’IDF a détruit les armements du Hamas est une vantardise puérile qui tente de masquer une réalité qui est moins réconfortante :

Comment les armes du Hamas auraient-elle pu être détruites puisque l’IDF s’est bien gardé d’intervenir au sol. Que certaines d’entre elles aient été éliminées, certes, mais toutes, certainement pas.
De plus, même si cela avait été vrai, le Hamas a la possibilité de recréer son arsenal très rapidement, comme il l’a déjà fait par le passé ; tout comme le fait le Hezbollah ;
Ces nouvelles roquettes ne sont plus bricolées artisanalement comme par le passé    puisqu’elles sont de fabrications iranienne, assemblées à Gaza, et qu’elle peuvent désormais atteindre Tel Aviv.
Ce qui nous amène au fameux « iron dome » qui est apparu beaucoup moins efficace que prévu : en effet, 1/3 seulement des roquettes tirées depuis Gaza furent interceptées. Ce n’est pas très rassurant pour les habitants d’Israël mais qui, d’autre part, nous permet d’envisager avec encore plus de scepticisme qu’auparavant une attaque de l’Iran par Bibi. Car cette dernière aura des missiles autrement plus efficaces que ceux du Hamas à lui renvoyer à la figure comme un boomerang. Et nous doutons qu’avec l’efficacité du «iron dome» d’à peine 30% démontrée au cours de cette attaque sur Gaza, Bibi prenne un risque aussi grand. Comme nous l’avons déjà dit souvent ici, nous ne croyons pas à cette attaque de la part d’Israël car ils n‘ont pas les moyens militaires ni logistiques pour l'exécuter avec une chance de succès raisonnable.

- En revanche, bien que Bibi ait forcé l’ex futur sauveur de l’humanité, Barack Obama, à soutenir l’attaque Israélienne contre Gaza, puisque ce dernier s’est empressé d’affirmer le soutien inébranlable des USA à Israël, il n’est pas certain que cela ne soit pas une victoire à la Pyrhus pour Bibi. En effet c’est bel et bien Obama qui a forcé Bibi a accepter le cessez le feu à des conditions qui ne sont pas forcément du goût des Israëliens.

"Opening the crossings and facilitating the movements of people and transfer of goods and refraining from restricting residents’ free movements and targeting residents in border areas and procedures of implementation shall be dealt with after 24 hours from the start of the ceasefire."

De plus, et c’est beaucoup plus important pour l’avenir de la région comme pour celui des relations Israélo-US, il semblerait désormais que le Président US ait pris conscience de l’importance nouvelle des FM et que sa réorientation stratégique au MO soit en train de se mettre en place et que cela ne se fasse en partie au détriment d’Israël. De ce fait, il devra mettre tout son poids en faveur d’un règlement définitif de la question palestinienne, ce qui ne plaira pas du tout aux Israéliens. Mais l’objectif de ce changement de stratégie est de ne pas s’aliéner plus encore le monde arabe en se mettant dans le camp de ce qui semble être désormais les vainqueurs de ce qu’on nomme le «Printemps arabe» : nous avons nommé les FM. Car ces derniers constituent l’ultime carte des USA au MO, et il ne s’agit pas de mal jouer son jeu sous peine de perdre la région tout entière ; cela peut se faire soit en se faisant des FM des ennemis, soit en laissant les FM de faire renverser par leurs rivaux salafistes. La tâche indispensable pour éviter cela est de régler la question palestinienne.

- Comme nous en avions déjà parlé la semaine dernière (ici) cette attaque de Gaza par Bibi a obligé chacun à clarifier ses positions par rapport à cette question palestinienne qui est absolument centrale au Moyen-Orient. C’est peut-être là que réside, selon nous, ce qui pourrait se révéler à moyen terme la plus grande erreur stratégique de Bibi. Car rien ne sera plus comme « avant », c’est à dire ce qui est nommé « Arab Spring ». Aujourd’hui les FM sont en train de devenir la force politique incontournable dans presque tous les états du MO : Turquie, Egypte, Gaza, Qatar dans une certaine mesure, et dans un futur proche en Jordanie, et probablement à terme dans la péninsule arabique, à commencer par l’Arabie Saoudite. En Syrie la question reste ouverte, pour le moment. Or les FM ont pour objectif affiché de rendre aux Palestiniens leurs territoires, c’est à dire au minimum revenir aux frontières de 1967, comme les résolutions de l’ONU le prescrivent.
Les FM seront obligés de faire quelque chose de plus que les régimes précédents, inféodés aux Occidentaux. Car, désormais, il y a la pression de la rue arabe, d’une part, et de l’autre les Salafistes qui rodent dans l’ombre, prêts à se saisir du pouvoir au moindre signe de faiblesse de la part des FM.

The top leader of Egypt's Muslim Brotherhood denounced peace efforts with Israel and urged holy war to liberate Palestinian territories on Thursday – one day after the country's president, who hails from the movement, mediated a cease-fire between Israelis and Palestinians to end eight days of fierce fighting.
"The enemy knows nothing but the language of force," said Mohammed Badei. "Be aware of the game of grand deception with which they depict peace accords," he said in a statement carried on the group's website and emailed to reporters.
(Sources : Huff Post - 22.11.2012).

Voilà pourquoi les leaders politiques des FM, c’est à dire ceux qui sont en charge du pouvoir, devront constamment démontrer à la fois leur engagement en faveur de la cause palestinienne et leur fidélité à la doctrine des FM mais aussi leur indépendance  par rapport à l’Occident. Et cela devra se faire à la fois pour contrer les salafistes et les plus radicaux au sein même des FM. 

Badei declared that "jihad is obligatory" for Muslims. But he also said that taking up arms would be the "last stage," only after Muslims achieved unity. "The use of force and arms while the group is fragmented and disconnected, unorganized, weak in conviction, with faint faith – this will be destined for death."
In the meantime, he called on Muslims to "back your brothers in Palestine. Supply them with what they need, seek victory for them in all international arenas." Badei's title -- General Guide of the Muslim Brotherhood -- also implies a leadership role in the Islamist group's sister movements across the world.
(Sources : Huff World - 22.11.2012)

La réouverture du passage de Rafah entre l’Egypte et Gaza est un des tests essentiels à venir, attendu par les Palestiniens depuis des années. C’est d’ailleurs une des principales revendications immédiates du Hamas. Si cela se produisait rapidement, cela serait considéré comme une immense victoire contre Israël car cela signifierait la fin du blocus d’Israël contre gaza, acte illégal au regard des lois internationale. Cela consacrerait également Morsi comme un des nouveaux leaders les plus importants du monde arabe et consoliderait son pouvoir en Egypte même.

- Ce « cessez le feu », établi sous les auspices de l’Egypte, consacre l’influence retrouvée de ce pays sur la région. Mais cette influence ne s’est rétablie qu’en raison de l’apparente indépendance vis à vis des USA du nouveau Président Morsi. Nous écrivons « apparente » à dessein car selon nous il faudra encore en attendre quelques preuves bien concrètes tout en soulignant qu’indépendance ne signifie pas rupture. Si Bibi s’imagine par là que l’Egypte se retrouve liée par la signature de ce cessez le feu et dépendante des USA et d’Israël par la signature de ce cessez le feu comme l’était Moubarak au bon vieux temps, il se trompe encore une fois : d’abord à cause du changement de stratégie en cours par les USA et d’autre part à cause de la pression de la rue sur les FM. Les événements dans la région convergent tous dans la même direction : indépendance des états arabes vis à vis de l’Occident et donc règlement de la question palestinienne. A terme, c’est inéluctable.

- Autre échec : l’affaiblissement des liens entre l’Iran et le Hamas que les Occidentaux ont pensé réduire en achetant le leader politique du Hamas Khaled Meshaal. En effet ce dernier a déménagé de Damas pour s’établir à Doha l’année dernière et il aurait soit disant « approuvé » l’opposition syrienne pour sa lutte contre le régime syrien. Nous avons quelques doutes sur la réalité de cette soudaine « conversion » du leader politique du Hamas en faveur du Qatar et des Occidentaux contre la Syrie et l’Iran. Voir ci-dessous.

Pendant ce temps, le Hamas, célèbre lui aussi sa victoire sur Israël.

Meanwhile, Hamas leader Khaled Meshaal declared the ceasefire agreement to be a major victory for Palestine, adding that while Israel claims to have reached its goals, it “failed to destroy Gaza’s infrastructure.”

“After eight days, God stayed their hand from the people of Gaza, and they were compelled to submit to the conditions of the resistance,” Meshaal said. ”Israel has failed in all its goals.”

Meshaal also thanked ceasefire mediator Egypt for its efforts in reaching the truce agreement, as well as Iran, which he said played a significant role in arming Hamas during the conflict. He added that Israel initiated the conflict and that Hamas was forced to respond. He urged Arab countries to provide armed assistance to the "Palestinian resistance."
(Sources : Russis Today - 21.11.2012)

Il y a dans cette déclaration une phrase très importante, selon nous, qui amplifie les doutes dont nous parlions plus haut à propos de la sincérité de la conversion des leaders du Hamas en faveur du Qatar et des USA, ce qui implique automatiquement de se retrouver dans le même camp qu’Israël:

Meshaal also thanked ceasefire mediator Egypt for its efforts in reaching the truce agreement, as well as Iran, which he said played a significant role in arming Hamas during the conflict.

Hummm...

N’est ce pas étrange de remercier l’Iran officiellement pour son aide et son rôle important dans le combat du Hamas contre Israël si on s’est « converti » aux bonnes paroles qataries et occidentales ?
D’ailleurs qui fournit les armes aux Hamas ?
D’où proviennent les fameuses roquettes qui leur permettent d’atteindre Tel Aviv et qui furent certainement une des raisons majeure de la demande précipitée de cessez le feu de la part des israéliens trois jours seulement après le début de leur attaque contre Gaza ? En effet l’échec du « iron dome » et les roquettes sur Tel Aviv ont choqués les Israéliens qui ne s’y attendaient pas. Il est à noter que c’est la première fois que les Israéliens demandent un cessez le feu.
Que peuvent apporter les Qataris à part de l’argent ?
Et ce d’autant moins que les Qataris prennent bien soin de garder eux-mêmes de bonnes relations avec l’Iran.

Le MO n’a jamais été simple.

- Les liens du Hamas avec Téhéran sont donc loin d’être coupés. Non seulement ils ne sont pas brisés mais ils pourraient même se renforcer encore à l’avenir, notamment par la fourniture d’armement, entre autre. C’est pourquoi l’espoir d’Israël de voir un Hamas affaibli à sa frontière Sud ne se matérialisera pas et il risque fort de se retrouver avec un Hamas versus Hezbollah au Sud, et le Hezbollah lui-même au Nord.

- Il est d’ailleurs utile de rappeler que le Hezbollah est supposé avoir remporter une victoire contre l’IDF en 2006 et que la non intervention au sol à Gaza de cette même IDF, en dépit des rodomontades de Bibi et compagnie du style « arrêtez-moi où je fais un malheur », a montré une crainte, justifiée, de s’engager dans des combats de rues contre le Hamas qui se serait soldé de la même manière qu’en 2006 face au Hezbollah. Sans aucun doute, le Hamas sort psychologiquement vainqueur de ces six jours de bombardements, y compris vis à vis du monde extérieur, comme le Hezbollah en 2006.

- Politiquement le Hamas sort renforcé de cette épreuve de force : il n’est plus isolé. Il est même reconnu désormais comme un interlocuteur politique valable, voir même le seul crédible. Les FM au pouvoir en Egypte, en Turquie et la visite de l‘émir du Qatar comme du Premier Ministre Egyptien n’ont fait que renforcer considérablement cet aspect de l’affaire. Le Hamas est passé du statut d’organisation terroriste à celui d’interlocuteur politique, le tout aux dépends de Mahmoud Abbas et du Fatah. Il est certain que le prestige du Hamas parmi les habitants de Gaza risque de se transférer sur ceux de la West Bank et que cette attaque israélienne aura eu pour effet d’assurer une réélection des membres du Hamas à Gaza et peut-être aussi dans la West Bank.

- Le temps, désormais, joue en faveur du Hamas et des Palestiniens. Et nous verrons si notre supposition à propos d’Obama et de son changement de stratégie au MO se confirme. C’est à dire jouer la carte des FM pour maintenir autant que faire se peut ce qui reste de l’influence US dans cette région du monde. Mais pour ce faire, il faudra régler la question Palestinienne selon les conditions du Hamas, en tordant sérieusement le bras d’Israël. Les conditions du Hamas sont celles-ci :

In December 2010, Haniyeh stated at a news conference in Gaza that "We accept a Palestinian state on the borders of 1967, with Jerusalem as its capital, the release of Palestinian prisoners, and the resolution of the issue of refugees," and stated that if the Palestinian electorate approves such a peace agreement with Israel his government will abide by it notwithstanding previous Hamas positions on the issue.[

En revanche, dans cette affaire, les USA n’auront retiré aucun crédit ni aucun bénéfice, en dépit de la présence de Tata Killary au Caire pour célébrer le cessez le feu. Pourtant il ne fait pas de doute que les USA ont forcé la main du gouvernement Israélien pour accepter le cessez le feu tel qu’il était rédigé, c’est à dire avec la spécification de la fin du blocus Israélien sur Gaza. Les Palestiniens, eux, font retomber tout le crédit sur Morsi tandis que les Israéliens blâment Washington pour l’échec de l’opération.

While the United States took a leading role in brokering this ceasefire, it is the Egyptians who are getting the credit for it – and the Americans who are getting flack from both sides. They’re getting it from the Israelis – with Netanyahu’s tacit complicity – who blame Washington for toppling "Pillar of Defense," and from the Palestinians, who are all too aware that the bombs falling on their heads had "Made in America" stamped all over them.
(Sources : Antiwar - Justin Raimondo - 21.11.2012)

En conclusion, il est fort possible que nous assistions à l’avenir à une radicalisation encore plus prononcée de la société Israëlienne, et surtout à une vague d’anti-américanisme assez violente. Il est plus que probable que les élections de janvier profite largement aux plus radicaux des partis Israéliens, comme le parti Beiteinu Yisrael party, du fou furieux Avigdor Lieberman, celui que l’on appelle le fasciste Israélien.

Witness the rise of Avigdor Lieberman and his Beiteinu Yisrael party, which advocates the expulsion of the Arabs and the creation of a "Greater Israel." The merger of Likud with the Lieberman gang is an ominous portent of a rising political trend that has the potential to destroy the democratic character of the Jewish state and give a green light to what can only be diagnosed as Israeli fascism.

As for the Israelis, the state of permanent warfare in which they have been living for decades has eroded the structural integrity of what used to be a liberal democratic state and is now more than halfway down the road to a very dark destination. A few more years of this, and such characters as Avigdor Lieberman will one day be considered "moderates.
(Sources : Antiwar - Justin Raimondo - 21.11.2012)

Plus la société Israélienne se radicalisera, où plutôt plus elle sera aux mains d’individus comme Lieberman, plus l’alliance avec les USA se distendra, plus elle deviendra compliquée tout en devenant de plus en plus coûteuse aux USA en terme d’influence au MO, plus la distance entre les deux pays s’accroitra.
La nouvelle politique du MO de Obama et la résolution de la question palestinienne n’améliorera pas les relations entre les deux pays.
Mais comme nous l’avions dit, la décision de Bibi d’attaquer Gaza a remis les pendules à l’heure et à forcer chacun à prendre position plus clairement.
Le problème est que les USA ne l’ont peut-être pas fait dans le sens où l’attendait Bibi.
Nous verrons si l’avenir confirme cette hypothèse où non.

Mais pour le moment tout le monde est content à Cochon sur Terre, le meilleur des mondes.

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