jeudi 14 mars 2013

Iran - Pakistan, le pipeline et le dragon.

L’inauguration tant retardée et tant attendue a bel et bien eu lieu. Cette fois çà y est ! 
Cela faisait des années que ce projet de pipeline trainait dans les tiroirs des ministères, cela faisait des décennies que ce projet faisait l’objet de déclarations aussi vite dites qu’oubliées.
Mais cette fois-ci, il semble bien qu’un pas décisif ait été franchi.
Le début de la construction du tronçon pakistanais (781 km) du fameux pipeline a été inaugurée en grande pompe il y a quelques jours par les présidents pakistanais et iraniens au cours d’une cérémonie où il fut bien rappelé l’importance fondamentale pour la sécurité énergétique du Pakistan de l’existence d’un tel pipeline.

Au départ, ce pipeline devait être construit par l’Iran, le Pakistan et l’Inde afin d’approvisionner en gaz à la fois le Pakistan et l’Inde, deux pays ayant de gros besoins énergétiques. La proximité géographique de l’Iran est évidemment un atout indéniable, tout comme le fait de transporter ce gaz par voie de terre au lieu de mer puisque cela baisse les coûts de transport considérablement. Sans parler de la sécurité de l'approvisionnement.

Mais, sous la pression US, l’Inde s’est finalement retirée du projet en 2009 en dépit de son intérêt national. En effet, au lieu d’importer du gaz du pays voisin, l’Iran, elle ira désormais aux USA pour en acheter !
Le Pakistan, lui, tergiversait sous la pression US : oui, non, oui, non, tandis que l’Iran construisait tranquillement la partie du pipeline traversant son territoire, comme si les iraniens savaient que ce ne serait pas en pure perte.
Ils avaient raison.

Car le Pakistan est désormais aux abois énergétiquement parlant et la présence à sa porte des gigantesques champs de gaz et de pétrole iraniens ne pouvait plus être ignorée. Comme nous l’avions déjà évoqué fin Janvier (ici), le Pakistan a finalement jeté sa gourme et a entériné la construction du fameux pipeline. Car ce pipeline relève désormais de l’intérêt national, comme l’a récemment affirmé le ministre des affaires étrangères du Pakistan Hina Rabbani.

Mais le Pakistan a fait plus.
Il a signé un accord avec les iraniens pour la construction d’une raffinerie de pétrole d'une capacité de 400.000 barils dans la ville portuaire de Gwadar, au Balouchistan. Son coût sera de USD 4 milliards payés par les iraniens. La construction de cette raffinerie sera accompagnée par la construction d’un autre pipeline, mais de pétrole cette fois, afin d’alimenter la raffinerie. Ce projet de raffinerie est déjà vieux de plusieurs années mais il devait être réalisé par d’autres acteurs, les UAE ; les chinois eux aussi ont eu un projet de raffinerie mais qui n’aboutit pas non plus.

Gwadar est une ville qui pourrait devenir d’une importance stratégique énorme pour toute l’Asie, y compris celle du Sud-Est, et donc la Chine. Nous pourrions dire surtout la Chine. Car ce dernier pays a déjà pris le contrôle du port afin de le développer et l’agrandir. Couplé à la nouvelle raffinerie iranienne et aux projets pétrochimiques chinois (nécessitant un investissement de plus de USD 12 milliards), Gwadar pourrait donc devenir un centre pétrochimique pour toute la région et au-delà. Ce port, et cette industrie pétrochimique en gestation à Gwadar, pourrait très bien, à terme, devenir le principal terminal pour une grande partie des importations de pétrole en provenance d’Afrique et du Moyen-Orient à destination de la Chine et de l’Asie. Le projet de pipeline sino-pakistanais à travers l'Himalaya est là pour concrétiser ce dessein. De ce fait, le Pakistan non seulement serait en mesure de subvenir à ses besoins énergétiques mais en plus il deviendrait le corridor énergétique de toute la région ; l’importance du Pakistan pour la Chine n’en deviendrait que plus grande encore puisqu’une partie de l’énergie de cette dernière passerait par le Pakistan.

Pour les USA, cette nouvelle est mauvaise pour plusieurs raisons :

1) cette construction du pipeline est un affront qui risque bien d’être suivi d’effets dans le sens où d’autres pays majeurs comme la Chine et même l’Inde vont s’y retrouver impliqués : a terme ils se connecteront à leur tour à ce pipeline. Cela enclenchera un mouvement d’autres pays asiatiques qui voudront profiter eux aussi de cette manne énergétique. Et les USA sont impuissants.
2) Ils sont impuissants car ils ne pourront pas faire grand chose contre le Pakistan étant donné qu’ils ont besoin de lui beaucoup plus que le Pakistan a besoin des USA. Et ce d’autant plus que, désormais, nous pouvons être sûr que la Chine s’emploiera à aider le Pakistan, son allié de toujours, en cas de problème. Financier notamment.
3) Désormais, comment les USA vont-ils s’y prendre pour empêcher l’Inde de se joindre au projet, surtout si le projet de Gwadar prend de l’ampleur avec la raffinerie iranienne et les industries pétrochimique chinoises prévues ? Réponse : ils ne le pourront pas car ils n’ont rien à lui offrir en échange.
4) Tout cela mettra à terre définitivement la politique US d’isolement de l’Iran.

Cette inauguration du pipeline Iran - Pakistan confirme encore que les USA n’ont plus assez de levier, et donc de puissance, sur la région pour empêcher les pays d’Asie d’agir à leur guise en fonction de leurs intérêts nationaux et non en fonction de ceux des USA.
En conséquence les pays de la région s’organisent désormais entre eux sans plus se préoccuper de l’avis des USA où autres Occidentaux. Il sera intéressant de voir la réaction de l’Inde à ces projets sino-irano-pakistanais. Finira t’elle par s’y joindre ?
C’est une nouvelle preuve que les gesticulations occidentales de plus en plus creuses, car de moins en moins suivies d’effets, ne changeront plus rien à ce mouvement du balancier mondial vers l'Asie moins que les Occidentaux, et particulièrement les européens, ne s’y associent au lieu de s’épuiser à s’opposer à un déplacement inéluctable du centre de gravité de l’économie planétaire vers l’Asie.
La stratégie hubristique des USA pour contrôler les sources d'énergie d'Asie centrale est en train d'échouer.

Mais pour le moment tout le monde est content à Cochon sur Terre, le meilleur des mondes.


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