samedi 2 mai 2009

Cent jours d'Obama: et après c'est Waterloo?

M. Barack Obama a fait ses premiers cent jours, comme d’autres leurs premiers pas. Il est d’ailleurs fort probable qu’il ait également fait ses premiers pas dans la foulée, si l’on peut dire.
Ces premiers pas, ou cent jours comme l’on voudra, ont suscité un enthousiasme peu commun, une joie quasi générale, le tout fruit d’une adulation qui serait passée pour grotesque partout ailleurs qu’à Cochon-sur-Terre. Néanmoins pour ridicule qu’ils puissent être ces attentes et ces espoirs projetés sur le Président américain sont proportionnels à l’angoisse qui tenaille Cochon-sur-Terre.

Certes nous conviendrons que l’homme semble sympathique, que son style décontracté et sa bonne mine sont agréables à voir, et que par comparaison avec ce qui lui précéda il est certain que nous sommes prêts à prendre des vessies pour des lanternes. Ceci expliquerait au moins en partie pourquoi les commentaires sont généralement positifs à propos des premiers pas de M. Obama. Ce serait d’abord de la reconnaissance de notre part qu’il soit à ce poste à la place de son prédécesseur.
Cela serait aussi l’explication du décalage que nous pouvons observer entre le sentiment très positif que le Président des USA génère à titre personnel dans le public et ceux plutôt sceptiques quant aux résultats de son gouvernement même si l’on a une certaine tendance à incriminer « la crise » et « l’héritage » plutôt que sa façon propre de gérer la situation. Car s’il est certain qu’il n’était pour rien dans la situation qui était la nôtre lors de son accession à la présidence, il n’en reste pas moins que ce qui s’est fait depuis pour affronter la crise reste de sa responsabilité, même si l’on ne peut pas demander que tout soit résolu en trois mois ; ni même en quatre ans d’ailleurs ; si tant est que l’on puisse demander la résolution de quoi que ce soit. En revanche ces trois premiers mois permettraient de distinguer les orientations principales de ce que devrait être la politique du gouvernement pour la durée de la présidence à venir, en théorie en tout cas. En cela nous pouvons faire plusieurs observations.
Il s’agit d’abord d’en bien distinguer les deux parties : le front extérieur et le front intérieur. A partir de là nous pouvons partir avant toute autre chose de la constatation que la politique du gouvernement US, tant intérieure qu’extérieure, est contrainte plus qu’elle n’est libre de ses choix, qu’elle est réactive, ou défensive si l’on préfère, plutôt qu’active. En d’autres termes le Président des USA et son gouvernement sont pressés par ce que l’on nomme « la crise », ou par « les événements », si l’on veut. Car c’est bien là le facteur sous-jacent à toute la politique américaine du moment, et ce sera le cas de plus en plus intensément dans les mois qui viendront au fur et à mesure que le sol se dérobera sous les pieds des acteurs politiques US. L’observation des faits nous permet de dire que les politiques US n’ont pas encore pris la mesure de l’ampleur réelle de cette crise ni ce qu’elle impliquait pour eux et leur pays. Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls. C’est pourquoi nous avons le sentiment qu’ils courent après la crise, qu’ils arrivent toujours immanquablement après elle et qu’ils en sont tenus à improviser dans l’urgence après qu’elle soit passée là ou ils ne l’attendaient pas. Même les dégâts provoqués et constatés sont encore appréhendés en sous estimant la gravité de la situation ce qui a pour résultat que les mesures prises se révèlent rapidement insuffisantes et donc inappropriées, ce qui implique une succession de mesures d’urgence qui, chacune, ne fait que révéler l’échec de la précédente. Car la crise n’est pas ici ou là : non, la crise est partout à la fois puisque c’est une crise systémique ; elle s’approfondit en disloquant tout le système sans que rien ne puisse la stopper.

Sur le front extérieur nous pouvons voir cela très lisiblement. D’une part il y a la volonté réelle du Président de donner un autre tour aux relations des USA avec le reste du monde, une volonté d’apaisement en opposition complète avec la politique menée par l’administration précédente. Il n’y a aucune raison de ne pas voir dans cette inflexion un choix et une conviction du Président actuel avec pour objectif de maintenir les intérêts américains fondamentaux et non pas par pure charité, comme voudraient nous le faire croire nombre d’illuminés. D’autre part il n’en n’est pas moins vrai que ce désir d’apaisement soit doublé d’une nécessité absolue de réduire les engagements militaires du pays, à la fois pour des raisons financières mais aussi stratégiques ; par exemple l’armée US, exsangue, ne pouvant plus faire face matériellement aux tensions auxquelles la précédente administration l’avait soumise en la faisant intervenir sur plusieurs fronts à la fois. L’Irak, l’Afghanistan et maintenant la question mexicaine : il a fallu choisir et l’extrême gravité de la situation mexicaine et de ses conséquences directes pour les USA l’a emporté sur tout autre considération ; d’où le retrait planifié d’Irak et l’apaisement avec l’Iran dont on a grand besoin pour la question afghane, comme avec la Russie et la Chine. Mais cette stratégie même trahit l’incompréhension de l’ampleur de la crise qui touche le pays ; crise temporaire qui forcerait à sacrifier le moins essentiel pour conserver ce qui parait le plus important. Alors que dans quelques mois, dans une année peut-être, ce qui parait essentiel aujourd’hui sera vu comme secondaire et probablement abandonné sous pression alors qu’une vision claire de la crise aujourd’hui aurait permis de faire des choix cohérents à plus long terme, certes plus spectaculaires et radicaux mais permettant de minimiser les dégâts en préparant l’avenir. C’est toujours l’illusion que rien de vital n’est touché et qu’il suffit de préserver le plus important en attendant que cela passe et que le bon vieux temps revienne. Mais il ne reviendra pas.
Il est donc certain que sur le front extérieur le Président a imprimé une nouvelle orientation à la politique des USA par rapport à celle de la précédente administration, dans la forme tout au moins, mais en maintenant la doctrine de fond qui est de préserver au mieux la prééminence de son pays sur tous les autres. On cède donc en apparence tout en prenant garde de ne rien laisser filer derrière le paravent. Le G20 en fût une bonne illustration :
- L’appel de la Russie, de la Chine et d’autres à étudier la possibilité de créer une nouvelle monnaie de référence autre que le dollar a été combattu farouchement par les USA et à été reporté sine die. En apparence en tout cas puisque l’idée a été lancée et qu’elle aura très certainement de beaux jours devant elle. Plus la crise s’approfondit plus le dollar a de chance de s’effondrer et en conséquence de cesser d’être la monnaie de référence, ce à quoi la Chine notamment se prépare activement en diversifiant ses avoirs en dollar et en se constituant des réserves d’or (75% de hausse depuis deux ans correspondant à mille tonnes avec le désir affiché de porter ces réserves à 5000 tonnes). La Russie et la Chine n’ont-ils pas émis toutes deux l’idée d’une monnaie de réserve indexée sur l’or ?
- Au G20 toujours, les USA ne se sont ils pas opposés à un organisme de régulation international, imposant des régulations nationales en lieu et place, tentant ainsi de préserver cette place dans la finance mondiale qui leur a si bien réussi ?
Ces exemples sont intéressants en ce qu’ils montrent à nouveau que la politique soit disant nouvelle du Président des USA revient à suivre la ligne traditionnelle de la politique de ce pays depuis la dernière guerre, débarrassée des folies et de la paranoïa de la dernière administration, ce qui veut dire maintenir leur prééminence sans provocations inutiles. Si les USA avaient accédé à ces deux demandes de leurs collègues du G20, cela aurait eu pour condition le renoncement à leur prééminence au profit d’un partage des rôles avec d’autres partenaires, c’est à dire la reconnaissance de leur affaiblissement général. Ils auraient pu alors aisément montrer la direction des réformes et les mener à bout avec la bonne volonté soulagée de tous les autres. Cela leur aurait également permis de conserver une place de choix dans la nouvelle organisation et probablement d’éviter la catastrophe à venir qui pourrait bien leur faire perdre ce qu’ils auraient pu conserver en se plaçant en tête des réformateurs. Une occasion perdue par aveuglement sur la situation réelle encore une fois.

Sur le plan intérieur le Président ne s’est pas démarqué de la politique économique de son prédécesseur. Comment l’aurait-il pu puisqu’il a pris ceux qui ont crée les conditions du désastre actuel, c'est-à-dire ceux qui ont abrogé le « Glass-Seagall Act » et le « Shad-Johnson Juridictional Act » signés par Clinton sur proposition républicaine. Il faut bien comprendre que ces dérégulations furent prises avec l’aval des républicains comme des démocrates, sur les pressions intéressées des banquiers de Wall Street, ceux qui en profitèrent le plus avant de s’effondrer et de se faire renflouer avec l’argent du contribuable. Par conséquent il ne faut pas s’étonner que la politique économique d’Obama ne diffère en rien de celle de Busch ; c’est parfaitement normal puisqu’elle est conçue par les mêmes quelle que soit l’administration en place. De plus comment ne pas garder en mémoire que les plus gros contributeurs de la campagne électorale d’Obama sont ces mêmes banques d’affaires dont sont issues les promoteurs des plans et autres bail-out destinés à sauver… Qui veut un dessin ?
En revanche nous ne pouvons pas préjuger de l’avenir. En effet nous pouvons supposer que la politique de sauvetage des banques qui est actuellement suivie depuis le mois de Septembre, puisqu’il n’y a pas de changement, est plus ou moins imposée au Président par ses conseillers, Larry Summers en tête. Mais quelle sera l’attitude d’Obama lorsqu’il sera avéré que cette politique est un échec complet ? Se tournera t’il alors vers des gens qu’il a ostensiblement ignoré jusqu’alors, tels Krugman et Stiglitz, contraint et forcé par les circonstances, encore une fois ? Cela reviendrait à entériner une rupture brutale avec les banques d’affaire qui passeraient par leur mise sous « receivership », sur les conseils d’économistes indépendants du sérail car n’appartenant pas à Wall Street. Ce serait aussi l’occasion pour le Président de montrer son indépendance et de bénéficier d’un soutien populaire renouvelé à travers tout le pays tant le mécontentement à l’égard de Wall Street atteint des sommets au fur et à mesure que la situation se dégrade. Cela dit même si cette évolution se confirmait, ce que nous croyons probable pour notre part, cela n’implique pas le moins du monde que M. Obama soit un réformateur, et encore moins le révolutionnaire que certains voient en lui. Ceux-là font passer leurs fantasmes pour des réalités qui ne viendront certainement jamais. FDR a déjà ouvert la voie d’un interventionnisme d’Etat avec le New Deal et le passage du Glass-Steagall Act par exemple. Et puis si cela avait été le cas Obama aurait saisi l’occasion dés le 20 Janvier au lieu de quoi il s’est entouré des conseillers habituels des administrations démocrates, dont beaucoup viennent de l’administration Clinton. Et même lorsque le Président parle de Paul Volcker c’est encore d’un membre du sérail qu’il s’agit. Rien de nouveau sous le soleil.
Certains se pâment devant les mesures annoncées par le Président en faveur des énergies renouvelables comme si c’était la preuve d’une originalité révolutionnaire et débordante. Mais là encore rien n’est neuf dans ces propositions puisqu’elles ne font que reprendre plus ou moins les programmes que le parti Démocrate propose depuis des années. Il suffit de se souvenir de Al Gore et de son engagement en faveur de l’écologie. D’autres encore défaillent d’admiration face à la volonté présidentielle de s’attaquer au serpent de mer de la Sécurité Sociale ainsi qu’à la reforme de Medicare et Medicaid, comme si c’était la première fois que de telles initiatives se produisaient. Là encore rien d’original pour un Démocrate, il suffit de se rappeler les tentatives de la présidence Clinton à ce sujet, même si cela resta dans les cartons face au tollé soulevé à l’époque par ces tentatives.

Si les cent premiers jours de M. Obama à la présidence des USA sont une rupture ils ne le sont que par rapport à la politique de la précédente administration mais certainement pas par rapport à la politique traditionnelle des USA depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, et encore moins par rapport aux programmes du parti Démocrate traditionnel. En politique extérieure le désir de maintenir la prédominance de son pays dans les affaires du monde reste bien ancré et le Président Obama travaille à le maintenir autant qu’il le peut et que la situation le permet, tout en retrouvant des formes plus propres à la faire accepter par les autres pays. En politique intérieure le Président a repris les programmes écologiques et du « Welfare State » que le parti Démocrate a déjà proposé depuis des années par l’intermédiaire de ses candidats aux présidentielles. Sur le plan économique la politique d’Obama ne diffère pour le moment en rien de la politique économique de n’importe quelle administration depuis Reagan, et s’il lui arrivait de placer les banques sous « receivership » il ne ferait rien de plus que FDR n’avait fait avant lui.
Nous ne voyons donc pour le moment aucune trace d’une amorce de changement radical ou que ce soit, ni sur le plan extérieure ni sur le plan interieure, et nous ne pensons pas qu’il y en aura car cela impliquerait une mutation complète de la perception de la situation des USA non seulement de la part du Président lui-même mais aussi de ses conseillers et du parti Démocrate. Car seul M. Obama ne pourrait rien faire. De plus jusqu’à aujourd’hui rien dans l’attitude du Président n’a pu laisser transparaitre une velléité quelconque ni même une capacité de changement radicale allant à l’encontre du système actuellement en place.
C’est pourquoi les cent jours de M. Obama à la Maison Blanche laissent craindre que le Président des USA persévère dans sa politique actuelle jusqu’à ce que la crise ne ramène tout le monde sur terre. A ce moment là, dans la morne plaine de Waterloo nous attendrons Grouchy vainement.
Mais pour le moment tout le monde est content à Cochon sur Terre, le meilleur des mondes.

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