jeudi 12 mars 2009

Californie: la crise modele.

Le plus riche Etat de l’Union, le plus dynamique, la vitrine de l’Amérique, Hollywood avec strass et paillettes, la porte sur le Pacifique, avenir de l’humanité libérée et décomplexée, solidaire et tolérante ; d’ailleurs « l’Atlantique c’était fini », « has been », ringard et j’en passe, nous serinaient à longueur de journée les journaux et autres médias de mésinformation professionnelle. Bref la Californie c’était le progrès incarné, l’exemple à suivre, le paradis descendu sur terre mais conquis de haute lutte par une humanité nouvelle et fière, paradant dans des décapotables sous un soleil radieux dont il fallait se protéger malgré tout grâce à de l’air conditionné à gogo. En clair c’était la nouvelle terre d’élection des dieux, vous voyez desquels nous parlons ; après tout nous avons les dieux que nous méritons…
Mais çà c’était hier.
Aujourd’hui la fête à neu-neu est terminée, il n’est plus question que de crise : crise financière, crise économique, crise immobilière, crise énergétique, crise écologique et crise sociale bien entendu. Le paradis est soudain devenu un enfer de plus en plus chaud, comme il se doit en pareil lieu, ou l’argent hier encore débordant de tous côté s’est volatilisé comme par un maléfice inexplicable. Si l’on se réfère au conformisme écrasant et lâche qui nous assène de plus en plus fort que tout est de la faute des banques, que tout ce désastre a pour cause les subprimes, les mortgages et autres Wall Street en perdition, ce qui pourrait bien finir par quelques scènes de lynchages médiatiques, judiciaires voire physiques, nous n’aurions qu’à entériner ces aboiements, d’autant plus féroces qu’ils sont hypocrites, sans chercher plus loin. Mais cela nous interdirait de comprendre la situation générale dans laquelle nous nous trouvons. Or il nous semble que l’exemple de la Californie constitue une bien meilleure explication de ce qui nous arrive à tous que n’importe lequel des discours et refrains dont on nous rebat les oreilles jusqu’à la nausée.
Alors la crise soit, mais de quoi parle t’on exactement ?

Crise économique d’une part, cela va sans dire, car la Californie, avec un déficit budgétaire de $31.7 milliards (www.mondialisation.ca) et une situation intérieure se dégradant à une vitesse aussi stupéfiante que celle du pays dans son ensemble, fait face à un défi difficile à relever. Car pour rehausser ses finances oblitérées l’Etat fédéré n’a pas cinquante possibilités ; en effet, de par la Constitution fédérale, les Etats de l’Union n’ont pas le droit de faire courir des déficits. Il ne leur reste donc que deux solutions :
- soit augmenter les impôts, directs ou indirects
- soit couper les dépenses de l’Etat
Or augmenter les impôts directs n’est pas populaire, c’est le moins qu’on puisse dire, surtout en temps de crise et surtout si on veut se faire réélire. Ne reste qu’une augmentation des impôts indirects et la réduction des dépenses budgétaires. Le problème est que ces deux mesures ne touchent concrètement que ceux qui sont déjà dans les situations les plus précaires, comme le prouvent les coupes budgétaires votées le mois dernier en Californie imposant $14.8 milliards de réductions dans les services sociaux et l’éducation, $13 milliards en taxes supplémentaires (TVA, taxes sur l’alcool, les cigarettes ou l’essence), $11 milliards en nouveaux emprunts (www.wsws.org). Le taux de chômage quant à lui est déjà passé de 6,1% l’année dernière à 10,1% au mois de Mars 2009 laissant mal augurer de la situation d’ici à la fin de l’année ; tout cela ne fera qu’augmenter les dépenses sociales, pourtant maigres, que l’Etat de Californie comme les 40 autres Etats de l’Union en situation financière plus que précaire ne pourront certainement pas satisfaire. Et l’on voit mal comment ils pourraient compter sur une aide de l’Etat Fédéral étant donné ce que l’on sait de sa situation financière catastrophique, tandis qu’en début d’année on prévoyait déjà un déficit cumulé de ces mêmes Etats de $200 milliards (www.mondialisation.ca)… Qu’en sera-t-il dans six mois lorsque le chômage aura encore augmenté de 500.000 à 650.000 personnes par mois (651.000 en Février – Business Week) faisant fondre encore plus les recettes fiscales qui auraient permis de soutenir les organismes sociaux ? Quant à la « reprise » que certains gourous de pacotille voient pour la fin de l’année il faudrait peut-être leur dire qu’on ne peut pas être à la fois chômeur et consommateur. Or dans un pays qui dépend à 70% de sa consommation intérieure pour sa « croissance », un taux de chômage en constante augmentation (8.1% en Février 2009, chiffre officiel ne prenant pas en compte les personnes n'ayant plus doit aux indemnitées ni les gens sous-payés à temps partiel; en prenant ces deux dernières catégories en compte comme cela devrait être le cas on arrive à un taux de 13.7% - sources: Gérald Celente) n’est pas un facteur propice à un retour rapide d’une hypothétique prospérité. Il n’est par conséquent que trop prévisible que la situation va empirer pour des millions de californiens, sans parler des autres, et que l’insolvabilité des Etats fédérés et de l’Etat fédéral ne fera que précipiter de plus en plus de monde « off the cliff », chacun entraînant l’autre dans une spirale infernale que personne ne sait plus comment arrêter.

Crise énergétique doublée d’une crise écologique d’envergure d’autre part. En effet les deux sont intrinsèquement liées. Ainsi les trois quarts des averses tombent dans le Nord de l’Etat tandis que la très grande majorité de la population habite dans le Sud qui constitue en conséquence la partie non seulement la plus énergétivore mais aussi la plus consommatrice d’eau, cela notamment en raison de l’agriculture qui fournit en fruits et légumes la plus grande partie de l’Union. Cette eau provient donc à 75% du Nord de l’Etat (www.reuters.com ) et est acheminée jusqu’au Sud par le Delta dont les infrastructures ne sont pas en état optimales. Or tout cela semble sérieusement remis en cause par le réchauffement planétaire qui aura deux conséquences risquant de compromettre gravement l’alimentation de l’Etat non seulement en eau mais aussi en électricité :
- Premièrement « the snowpack » devrait se réduire de 10% à 40% en 2050 et de 70% à 90% en 2100 ce qui appauvrira d’autant la distribution d’eau et d’électricité de la Californie qui dépend pour 1/5 de ses besoins de cette énergie hydroélectrique fournie par la fonte des neiges accumulées pendant l’hiver (www.mindfully.org).
Cela entraînera également une augmentation des pluies torrentielles et des ouragans dont on craint qu’ils ne causent encore plus de dégâts au Delta déjà très fragilisé.
- Deuxièmement le réchauffement climatique va induire une montée du niveau de la mer que l’on estime entre 22 inches et 55 inches, entre 0,50cm et 1m (www.mindfully.org) ; cela aura probablement pour conséquence de compromettre l’utilisation de l’eau acheminée par le Delta en raison de sa salinisation.
Cela nous amène bien entendu à parler de la conséquence écologique la plus connue de ce dont on vient d’énoncer, événement naturel que la Californie connaît depuis toujours mais qui empire depuis quelques années, non seulement en fréquence mais aussi en intensité. Nous voulons parler de la sécheresse. Or celle-ci frappe le Golden State depuis maintenant trois ans ; la situation est si grave que le Gouverneur envisage un rationnement de l’eau de 20% de leur utilisation habituelle pour les particuliers dés la fin du mois de Mars 2009, sans parler des agriculteurs, notamment les maraîchers à qui l’Etat Fédéral envisage de n’attribuer aucune allocation d’eau en provenance du « Central Valley Project » pour arroser leurs champs, ce qui provoquera la mise en jachère forcée de 344.000 hectares sur un total d’environ 2 millions ( International Herald Tribune ); on estime que cela les privera d’un manque à gagner de $ 2 milliard pour l’année 2009 et la mise à pied de 40.000 personnes du secteur dans la vallée de San Joaquin uniquement ( The Associated Press ), 80.000 pour l’ensemble de l’Etat ( International Herald Tribune ). Ne parlons pas de la compromission très sérieuse que cela entraînera pour l’approvisionnement de l’Union tout entière en fruits et légumes dont la Californie est le principal pourvoyeur, provoquant de la sorte une montée des prix de ces denrées dans toute la Fédération, déjà soumise à une inflation larvée dont on attend l’explosion dans les mois qui viennent.

La conjonction de tous ces facteurs va entraîner une crise sociale majeure qui ne manquera pas d’avoir des répercussions politiques très graves, voire insoupçonnées pour la majorité des gens.
Comme indiqué plus haut le taux de chômage atteint déjà 10,1% en Californie, le taux le plus élevé de la Fédération américaine. En Janvier 79.300 personnes ont été licenciés ( LA Times ) sans compter les 20.000 fonctionnaires licenciés par l’Etat pour contrainte budgétaires et les 200.000 autres qui ont vus leurs salaires amputés ( LA Times ) depuis l’adoption du budget de crise en Février. Ces licenciements de fonctionnaires de l’Etat sont graves car nombre d’entre eux s’occupaient d’organismes sociaux ou d’éducation, même si le gouverneur a tenté de limiter la casse à ce niveau là. Mais étant donné que le secteur se trouvait en difficulté avant même cette réduction d’effectifs, il est certain que la situation ne pourra qu’aller de mal en pis. Les services sociaux gouvernementaux et les organismes de charité sont désormais complètement dépassés par les milliers de demandes d’aide qui leur arrive chaque mois avec une intensité croissante. Par exemple dans le seul Comté de Contra Costa on compte plus de 16.000 personnes demandant de l’aide médicale, des bons de nourriture ou une aide financière, et cela uniquement dans quatre bureaux du Comté ( www.Bloomberg.com ). Les responsables de ces organismes sociaux craignent désormais de ne plus être capables de suivre financièrement non seulement en raison de l’augmentation énorme de leurs dépenses mais aussi en raison des diminutions drastiques des budgets qui leur sont alloués par des villes en quasi faillite, sans parler de l’Etat. Une nouveauté qui ne laisse pas d’être inquiétante : désormais les demandeurs d’aide médicale ou de bons de nourriture sont des gens qui faisaient partie de la « middle-class » un an auparavant et qui jamais n’auraient imaginés qu’ils auraient un jour l’obligation de dépendre de bons de nourriture pour survivre. A cela nous pouvons ajouter le sort des 2.9 millions immigrés illégaux résidant en Californie dans des conditions hasardeuses, dont 74% d’entre eux sont Mexicains (Washington Times) et qui sont certainement parmi les premiers à être touchés par les pertes d’emplois.
Nous voyons que c’est le même processus qui ne cesse de s’accélérer partout dans le pays par un effet de dominos démoniaque comme si plus aucunes barrières n’existaient plus pour enrayer cette spirale effrayante: la crise financière provoque la crise économique qui soutient l’augmentation dramatique du chômage entraînant une demande accrue de protection sociale sous toutes ses formes alors que la chute du marché immobilier, les difficultés des entreprises et le chômage en augmentation provoquent nécessairement une chute des revenus fiscaux ce qui entraîne automatiquement une baisse des allocations sociales, le tout à la charge d’Etats fédérés déjà surendettés, sans parler de l’Etat Fédéral. Ajoutons à cela les effets concomitants du changement climatique, qui a et aura des répercussions économiques et sociales de plus en plus graves, ainsi que de la raréfaction de l’énergie disponible. Que se passera t’il alors lorsque les organismes sociaux ne seront plus en mesure de fournir l’aide nécessaire aux milliers de gens jetés à la rue sans nourriture et sans soins ?

La situation de la Californie est un condensé de celle dans laquelle se trouve l’humanité dans son ensemble. Après quelques courtes décennies d’euphorie hystérique au cours desquelles nous nous sommes crus les « maîtres parvenus de la terre fantasmée », nous voilà obligés, sous peine de disparition ignominieuse, de prendre en compte certaines réalités que nous avions cru pouvoir mettre de coté. La première d’entre elles étant que nous sommes mortels, la seconde étant que nous sommes dépendants de la planète sur laquelle nous survivons et la troisième étant une conséquence de la seconde ; c'est-à-dire que nous avons vécus depuis trop longtemps sur une autre planète, dans un monde qui n’existait que dans notre délire collectif, et qu’il est plus qu’urgent de revenir sur terre. On peut nommer ce qui se passe aujourd’hui crise, crise économique, sociale ou tout ce que l’on voudra, et cela n’en sera pas moins vrai bien que partiel ; car ce qui s’effondre aujourd’hui n’est rien d’autre que le résultat pathétique de nos délires arrogants accumulés au cours de l’époque antérieure à celle qui se lève sous nos yeux. Si cet écroulement se fera quoi que nous fassions il nous est encore possible d’en atténuer certains effets en entreprenant dés maintenant l’édification d’un monde plus viable et moins dégradant pour l’homme que celui qui s’abat sur nous aujourd’hui en menaçant de nous engloutir avec lui.

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