Encore aujourd’hui il m’arrive fréquemment d’entendre de la part de personnages pourvus de responsabilités politiques ou économiques réputés intelligents et capables, selon leurs critères en tous cas, des commentaires sur la crise s’apparentant à des incantations de type Pavlovien plutôt qu’à des raisonnements tenant la route, issus d’une réflexion elle-même nourrie d’observations sur le terrain.
Expliquons-nous. Lorsque le sujet de la conversation devient celui de la crise, ce qui se produit dans la majeure partie des cas de nos jours, il semblerait que cela engendre chez nos interlocuteurs une sorte d’obturation de toutes leurs capacités de perception quasiment instantanée, de manière automatique qui plus est. Cela relèverait d’une forme de conjuration du mauvais sort ou de culte du vaudou ( Paul Krugman - NY Times – 18.02.09 ) version désespérée. C’est ainsi qu’à chaque fois que cela se produit, c'est-à-dire lorsque je donne une opinion qui pourrait être la mienne après mûre réflexion, ces banquiers, hommes d’affaire ou autres n’ont de cesse de me convaincre que cette crise durera longtemps. Ce qui me fait penser aussitôt qu’ils ont enfin compris la gravité de la situation. Mais c’est pour les entendre ajouter, sans me laisser le temps de dire quoi que ce soit, que cela devrait durer deux ans et que les USA s’en sortiront les premiers, « comme toujours ». Le tout avec un sourire assuré se voulant rassurant, pour moi peut-être mais surtout pour eux me semble-t-il… Et lorsque, les premières fois que j’étais confronté à ce genre de réaction, j’émettais quelques doutes sur une assurance qui me paraissait, et me parait d’autant plus aujourd’hui, tout à fait hors des faits et des perspectives les plus optimistes, on me lançait un dernier argument au visage pour me faire taire : « la réactivité des américains »…
Le problème est que je ne mets pas en cause la réactivité des Américains qui peut être réelle et parfois très efficace à titre individuel, un peu moins collectivement ou alors à un prix généralement extraordinaire ; le problème est que je ne doute nullement de la capacité des Américains à remettre en cause de manière radicale ce qu’ils avaient soutenu tout aussi radicalement quelques jours avant pendant des années. Car l’inquiétant, me semble t’il, chez mes interlocuteurs réside plutôt dans le fait que leur réponse sous-entende que tout redeviendra comme « avant Lehman Brothers », lorsque la crise sera passée. Ce qui signifie que chez nos dirigeants bien aimés la crise est toujours vue comme une crise d’adolescence de la globalisation et qu’une fois cette crise de puberté traversée tout ira bien dans le plus beau des marchés illimités possible. Ce ne serait qu’une crise de crédit qui se résoudra par une injonction massive de capitaux dans le système qui ne demande qu’à fonctionner le mieux possible… Oui, des centaines de milliards de dollars sont envoyés dans un puit sans fond connu, des centaines de milliards dont on n’a pas la moindre idée de leur origine, ce qui ne laisse pas d’être alarmant pour quiconque y réfléchit moins de trente secondes. D’où vient cet argent ? Pas d’inquiétude, nous dit-on, nos Etats bien aimés y pourvoiront. Ah bon, vraiment, mais comment l’obtiendront t’ils ? Qui, par les temps qui courent, qui donc va prêter ces sommes astronomiques à tous nos vaillants Etats déjà surendettés et quasiment en faillite ? Qui possède autant de capitaux à prêter pour financer tous ces plans planétaires trompetés en fanfare comme autant de bulletins de victoire ? Qui a les moyens de prêter aux USA les milliers de milliards de dollars dont ils vont avoir besoin cette année pour renflouer et le système bancaire, et les assurances, et les sociétés en faillite, et les fonds de pension, sans parler des Etats fédérés comme la Californie qui ne paye plus ses fonctionnaires depuis le début du mois (LA Times) ? La Chine avec des réserves de mille milliards mais des problèmes sociaux qui s’annoncent catastrophiques ? Certainement pas. Le Japon ? Très drôle. Les Monarchies du golfe ? Avec le baril à 35 dollars, ben voyons ! La Russie, l’Europe ? Pourquoi pas la Laponie tant qu’on y est. Alors qui va payer tous ces jolis petits plans concoctés avec l’idée ou plutôt la foi que la « croissance » va revenir ; pour nos beaux yeux sans doute… Il vaudrait mieux. Mais cela ne se passera pas de cette manière.
S’il n’y a personne pour souscrire aux bonds du Trésor US que va-t-il se passer dans quelques mois ? Il n’y a pas trente six solutions, il n’y en a que trois est-il communément admis:
- L’Etat Fédéral Américain se met en cessation de payement comme l’Argentine.
- Le dollar est dévalué entre 50% et 80%
- La planche à billet tourne à plein rendement (ce qui est déjà le cas) ce qui provoquera une inflation monstrueuse dont nous avons un exemple pas si éloigné dans le temps : Weimar au début des années vingt (- Je vais chercher une baguette tu n’aurais pas mille milliards ? – Si, ils sont dans la brouette qui est dans l’entrée !).
« C’est la crise la plus grave depuis 1929 » commence t’on quand même à nous seriner, c’est une dépression nous disent en chuchotant les mêmes qui criaient sur tous les toits il y a encore quelques mois que ce n’était pas du tout, mais alors pas du tout une…DEPRESSION… Le problème est que même cela relève d’une opération d’auto réassurance puisque l’on se réfère toujours à des événements déjà connus et qu’en conséquence nos petits génies de la finance et de l’économie sont censés les maîtriser à merveille. Un peu comme les subprimes entre autre…
L’ironie est que ce n’est ni « la crise la plus grave depuis 1929 », ni une dépression, encore moins une récession ou quoi que ce soit de cette eau là. C’est tout cela à la fois, mais il ne faudrait pas que ce « tout cela à la fois » ne masque qu’un événement de ce genre n’est encore jamais arrivé. Et pour cause. C’est peut-être à ce niveau, c'est-à-dire face à l’inconnu, que les Américains pourront faire preuve de cette« réactivité » supposée qui rassure tant nos dirigeants bien-aimés, dépassés et désespérés, même si cette dernière risque de se produire dans un sens tout autre que celui imploré avec tant de foi. Puisqu’il est plus que probable que ce sont les USA et ceux qui sont les plus dépendants du système économique et financier institué par eux (UK par exemple) qui vont le plus souffrir de cette crise, étant donné que c’est le système sur lequel la puissance US est bâtie qui est en train de s’effondrer sous les yeux ahuris du monde entier, ils devront réagir les premiers à ce qui leur arrive. De quelle manière le feront-ils ?
Toute la question est là et il sera intéressant de voir à la fin de l’année quelle direction cette « réactivité » aura prise. Il n’est d’ailleurs pas exclu qu’elle puisse nous étonner, nous surprendre, voire scandaliser ceux là même qui espéraient cette « réactivité », et peut-être même nous montrer un chemin possible lorsque notre heure viendra de faire des choix radicaux. Car elle viendra elle aussi, de cela il n’y a aucun doute à avoir, si on suppose encore qu’elle n’est pas déjà dans notre antichambre. Et dans tous les cas il faudra savoir alors non pas quelle est la réactivité des Américains, mais bien si nous nous en avons…
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