D’après les dernières annonces s’étalant à la une des gazettes de Cochon sur Terre il parait que l’Emirat de Dubaï a demandé un moratoire d’au moins six mois sur la dette de sa société «Dubaï World», société holding à qui appartient la société «Nakheel». La dette s’élève à $ 59 milliards pour cette seule société sans compter quelques $ 30 milliards supplémentaires détenus par l’Etat directement.
La nouvelle, connue pourtant depuis Mercredi matin, ne fût officiellement prise en considération que Jeudi permettant ainsi aux marchés de chuter lourdement par crainte d’une exposition des banques européennes, anglaises principalement, et asiatiques, notamment japonaises. Mais dés le lendemain les indices reprenaient leur ascension avec l’espoir que Abu-Dhabi reprendrait à son compte les dettes de Dubaï. Ce qui fut démenti le lendemain par les intéressés: Abu-Dhabi ne garantira pas l’intégralité de la dette de son voisin mais se penchera au cas par cas sur la question.
Les deux années à venir vont être extrêmement périlleuses pour l’Emirat. En effet même si son voisin Abu Dhabi vient à son secours ponctuellement dans les semaines à venir, d’une part cela ne se fera certainement pas de manière désintéressée, et d’autre part, en admettant que Dubaï parvienne à régler ses problèmes les plus pressants, comment parviendra t’il à refinancer les $ 30 milliards de dettes qui arriveront à maturité d’ici un an et demi ? Sera t’il absorbé de facto par son riche voisin ?
C’est en réalité une tout autre question qui se pose officiellement avec cette affaire de Dubaï. Une question que de nombreux analystes se posent depuis des mois mais qui est resté consciencieusement ignorée par la presse-pravda et les officiels de Cochon sur Terre, bien trop occupés à tenter de nous faire prendre les vessies de la crise pour les lanternes de la reprise. La question est celle de la solvabilité des Etats eux-mêmes, c’est à dire de leur impossibilité de rembourser les montagnes de dettes accumulées non seulement depuis trente ans mais aussi et surtout depuis un an pour tenter de remettre à flot un secteur bancaire dévasté par une crise provoquée par sa propre rapacité. Remise à flot inutile puisqu’il semblerait que la situation serait pire qu’elle ne l’était il y a un an en raison de la dégradation du secteur immobilier et de la venue à maturité des remboursements des prêts «Prime», Alt A et autre «jumbo», sans parler des défauts en augmentation affolante sur les «credit cards» ni le problème de l’immobilier commercial. Le tout aux USA et en Angleterre principalement.
La question que le défaut de payement de Dubaï pose est donc celle de la validité d’un système économique basé sur la dette et l’accroissement toujours plus grand de celle-ci, notamment afin de pouvoir en payer les intérêts. Exactement ce qu’a tenté de faire Dubaï depuis six mois en empruntant afin de payer sa dette actuelle. Aujourd’hui ce petit jeu suicidaire est apparemment terminé. Et soudain, alors que la situation est connue depuis longtemps déjà, on entend des voix qui s’élèvent pour s’inquiéter de l’état des dettes d’autres Etats. Des regards inquiets se tournent tout à coup vers la Grèce, la Turquie, la Hongrie, la Lettonie... Mais ces mêmes yeux se détournent toujours obstinément de l’Angleterre et des USA... Pour combien de temps pourront-ils jouer aux autruches en plongeant leurs cous pelés dans les montagnes de dollars et de Livres sterling imprimés à la hâte par la Fed et la Banque d’Angleterre afin d’éviter que la situation que subit Dubaï aujourd’hui ne devienne la leur ?
Bien entendu, et tout à fait dans la ligne de ce que l’on connaît d’elles, c’est à dire de leur compétence et de leur probité, les agences de notation se sont précipitées pour abaisser les notes des compagnies de Dubaï en difficulté, en faillite en réalité, mais bien entendu uniquement après que l’annonce du report de payement ait été effectuée... Le faire avant eût été trop leur demander, un peu comme le scandale rapidement étouffé de leurs compromissions inadmissibles dans la crise des subprimes dont elles ont largement favorisée l’expansion par leurs notations enthousiastes des produits financiers les plus douteux et les plus nauséabonds. En bref ces agences de notation ont une fois de plus montré à quel point on ne pouvait se fier à elles. Et l’avenir, c’est à craindre, montrera encore d’ici peu combien elles sont irrémédiablement partie prenante avec ce sur quoi elles sont censées avoir une opinion objective afin de guider le choix des investisseurs. Il est même utile de se demander si leur existence ne finirait pas devenir contre productive, voire dangereuse.
Dubaï. L’Emirat de rêve, la huitième merveille du monde, le nouvel eldorado etc... Bref l’archetype du mirage contemporain.
Mais qu’est-ce qu’un mirage ?
Le mot « mirage » vient du latin « mirari » qui signifie admirer, contempler; « mirari » a donné le verbe « mirer, se mirer » qui signifie, d’après le Littré: « se regarder dans un miroir ou dans quelque autre chose qui renvoie l’image des objets qu’on lui présente ». Nous pouvons donc en conclure que le mirage est une illusion fabriquée par nos désirs et nos rêves.
Voici la description du mirage en question proposée par le gouvernement de Dubaï sur son site:
«Visitors will be delighted beyond their expectations. Dubai is a holiday paradise - white beaches on which to relax and enjoy the sun, the best hotels in the world and an absolute shopper’s delight offering a unique and richly exotic experience that is both modern and traditional. As one of the safest and most relaxed environments on earth - Dubai is truly distinctive.
From snow-skiing in the morning to a desert safari in the afternoon, a myriad of activities cater to the adventurer’s dream. The finest of the world’s hotels, gourmet cuisine and outstanding standards of service combined with traditional Arabian hospitality make Dubai a novel and satisfying experience for today’s demanding holidaymaker.» (Sources: www.dubaitourism.ae)
Ce soit-disant paradis artificiel se voulait l’endroit sans limites, c’est à dire le lieu où tout était possible, où encore la destination par excellence de toute la mégalomanie disponible dans un cerveau humain, déconnectée de toute réalité. Cette absence complète de réalisme où de simple bon sens est toujours rendue possible lorsque l’homme croit s’être affranchi des limites inhérentes à sa condition. L’argent en quantité soit disant illimitée et un développement technologique auquel,parait-il, rien ne résiste ont fait perdre la tête à l’humanité moderne à un point encore jamais atteint dans l’histoire. Dubaï en est à cet égard l’exemple caricatural.
C’est alors que nous revient en mémoire l’image du palais de cristal utilisée par Peter Sloterdijk de manière si éclairante pour notre civilisation moderne. Dubaï c’est la caricature du palais de cristal. Car à Dubaï l’humanité triomphante a voulu s’affranchir non seulement des limites que lui impose la nature en terme d’habitat et d’environnement, c’est à dire sans chercher à s’adapter aux conditions climatiques par exemple, mais en plus l’homme a voulu y importer des conditions de vie insoutenables sans un gigantesque flot continu humain, financier et matériel. Dans un endroit où il n’y a rien, que du sable sans pétrole !, il faut tout importer. Mais dans un endroit où il est même impossible de créer un moyen de subsistance afin de posséder un minimum d’autonomie, ne serait-ce qu’alimentaire, un endroit qui dépend à cent pour cent d’apports extérieurs pour survivre, le moindre accroc dans le flot ininterrompu d’approvisionnement de toute sorte met toute l’entreprise en danger de mort immédiate; y compris et surtout l’interruption du flot d’argent à crédit nécessaire à faire vivre la ville et à entretenir les infrastructures, comme le dessalement de l’eau de mer par exemple.
Nonobstant tout cela les dirigeants de Dubaï se sont lancés dans des projets mégalomaniaques qui, la plupart du temps, sont vantés comme étant «la plus haute tour du monde», le plus «grand centre commercial du monde» etc... Tout devait être démesuré: le plus haut, le plus grand, le plus cher, le plus grotesque etc... de tout ce qui se faisait sur la planète, le tout sans aucune des ressources indispensables au maintien en vie de tous ces projets une fois bâtis. Or dans ce cas précis la ressource qui permet d’importer tout le reste est l’argent. Et cet argent ne fût obtenu que par la dette, c’est à dire des sommes astronomiques empruntées à des agents extérieurs, dont on comptait les rembourser en tablant sur une poursuite toujours plus rapide d’un développement « économique » qui ne reposait que sur un mirage, le mirage de la croissance illimitée et infinie alimentée par des matières premières et énergétiques inépuisables à un coût abordable.
Saint Exupery a écrit dans «Terre des hommes»:
« La chaleur monte, et, avec elle, naissent les mirages (...). De grands lacs se forment et s’évanouissent quand nous avançons ».
Nous voilà prévenus. Les mirages s’évanouissent dés qu’on les approche de trop près, c’est à dire dés que la réalité les effleure, c’est à dire aussi dés que nos têtes se refroidissent. Aujourd’hui ces apparences mensongères que notre époque miraculeuse nous fournit en abondance sont désormais sur le point de s’évaporer toutes les unes après les autres et c’est à cette chute des dominos sous le poids de la réalité que notre monde cristallin de Cochon sur Terre doit désormais faire face. Il n’en sortira pas mais il ne le sait pas encore, tout occupé qu’il est à ignorer le mur de la réalité contre laquelle il bute à répétition comme un bélier furieux.
Dubaï, le parfait mirage aux cochons, est-il le début de la seconde étape du développement de la crise systémique dans laquelle nous nous trouvons où n’est-ce qu’un simple avant-goût de celle-ci ? Dans tous les cas c’est la préfiguration de la grande crise des dettes souveraines à venir.
Mais pour l’instant tout le monde est content à Cochon sur Terre, le meilleur des mondes.