dimanche 26 juin 2011

De l'extension du domaine du chaos ; de l'abondance à la pénurie.

Nous sommes très impressionnés ici à la Chronique de Cochon sur Terre de ce qui semble être depuis quelques semaines une accélération tout à fait remarquable de l’extension du domaine du chaos à la planète entière ; en d’autres termes, l’accélération de l’implosion du système politique et économique que nous connaissions jusqu’à aujourd’hui.
Mais ce qui nous laisse presque admiratif, en tant qu’observateur aussi extérieur que possible à toute cette cochonnerie, c’est la manière dont ce chaos se propage à tous les coins de la planète en même temps, un peu comme lorsqu’un bâtiment se met soudain à s’embraser alors que rien ne laissait voir le feu qui couvait dans ses fondations ; tout juste quelques fumets à l’apparence très anodine.

Mais nous tous, chers lecteurs de la Chronique de Cochon sur Terre, nous savions bien ce qui se passait et c’est la raison pour laquelle nous ne sommes nullement surpris de ce qui est en train d’arriver sous nos yeux néanmoins fascinés. Et nous tenons les paris que ce qui vient sera encore plus passionnant et bouleversant que ce qui est déjà advenu.
Mais, de grâce, ne nous demandez pas de jouer au medium car, comme toujours dans les situations de profonds bouleversements, tout est toujours possible, tout est toujours ouvert, surtout ce que nous ne sommes pas en mesure d’imaginer.

Mais la question serait de savoir si c’est nous, pauvres humains, qui maîtrisons les événements où bien si, bien au contraire, nous ne sommes que les jouets de l’Histoire en action ? C’est une perspective historique dont le Comte de Maistre est le plus célèbre des théoriciens, un outil qui nous aide grandement à éclairer autant que faire se peut cette époque de bouleversement systémique dans laquelle nous sommes désormais entrés.
Et il est parfaitement vrai que la simple observation des événements quotidiens nous donne bien le sentiment que ceux-ci se produisent souverainement pour ainsi dire, tandis que les hommes courent après eux en tentant de les circonvenir en fonction de leurs superstitions du jour ; et dieu sait que celles de notre époque pathétique sont grotesques ! Superstitions qui sont souvent à l’origine du désastre mais que les hommes s’obstinent encore à prendre pour des remèdes. Pour être juste, les superstitions en question engendrèrent dans un premier temps des succès apparents, bien qu’à très court terme, ce qui explique pourquoi on s’y accroche tant, même lorsque ces remèdes se révèlent être ce qu’ils sont à long terme : du poison.

Les humains contemporains ressemblent aux pompiers qui courent d’un endroit à l’autre de la maison en feu en fonction des foyers d’incendie qui éclatent de manière tout à fait imprévisible. Le problème est que leurs lances à incendie ne déversent pas d’eau sur les flammes mais bien plutôt de l’essence, avec les conséquences que l’on imagine. Et ce n’est que lorsque les événements se calment que l’impression de régner selon leur volonté reprend possession des faibles humains, incorrigibles. Mais lorsque la tempête fait rage ils ne peuvent que répondre de leur mieux, c’est-à-dire mal, à ce qui les détruit et les bouleversent tout en étant les acteurs principaux de la catastrophe.

C’est le paradoxe de la marionnette : c’est un acteur non maître de ses faits et gestes.

Or, chers lecteurs, nous sommes entrés dans un temps de bouleversement systémique qui nous dépasse complètement, bien que sa cause première n’est rien d’autre que cette hubris déchaînée qui possède complètement nos pauvres cervelas depuis un siècle et demi environ.
Quel que soit l’horizon sur lequel nos yeux posent leur regard nous ne voyons que les marionnettes qui nous servent de gouvernants danser et tressauter en fonction des événements qui s’accumulent désormais de manière si pressante qu’ils semblent se chevaucher les uns les autres, leur télescopage sans mesure engendrant encore d’autres désastres dans une chaîne qui parait désormais sans fin. A tord d’ailleurs car il y a toujours une fin ; encore faut-il savoir à quoi elle ressemblera et ce qui y survivra.

Cela personne n’en sait rien.

Mais pour le moment le désordre s’étend inexorablement dans presque tous les coins de la planète, comme une traînée de poudre. Comme indiqué tout à l’heure ces foyers de désordre qui éclatent presque simultanément sur notre pauvre planète ont tous la même origine : l’implosion du système dans lequel nous survivons. L’humanité est dans une impasse, un sens unique dont nos gouvernants bien-aimés tentent de s’extraire en prenant les poisons pour des remèdes et surtout en croyant à tord que les problèmes auxquels nous faisons face aujourd’hui sont conjoncturels et non pas systémiques. D’où l’approfondissement toujours plus grand de la crise jusqu’à ce que mort s’en suive.

Mais mort de quoi au juste ?
Si l’on souscrit aux analyses classiques que l’on entend souvent, et qui ont certainement leur part de vérité, on nous répondra à cette question par des explications d’ordre économique, social où politique, mais des explications qui, aussi justes puissent elles être, ne parviennent pas à la racine du problème fondamental qui a engendré précisément toutes ces catastrophes pour aboutir à l’impasse mortelle dans laquelle se trouve l’humanité aujourd’hui.

Bien sûr les révoltes au Moyen-Orient sont dues à des problèmes économiques...
Bien sûr la situation des USA où de l’Europe et autre est due à un excès de dettes et donc à un problème d’insolvabilité générale.
Bien sûr les guerres d’Irak où d’Afghanistan, voire même de Libye, sont dues à une nécessité de se saisir des réserves de pétrole appartenant à ces pays afin de s’assurer de l’approvisionnement continu dont nos pays ont un besoin vital pour ne pas s'effondrer.
Bien sûr ces guerres pour le pétrole ne font que préfigurer celles à venir qui auront pour objet la mainmise sur toutes ces matières premières en voie de disparition que nous tenons toujours pour inépuisables.
Bien sûr ces guerres ne sont qu’un avant-goût de celles à venir qui auront pour but la possession des sources d’eau potable tout autour de la planète etc, etc...
Bien sûr ces guerres pour le pétrole sont les premières guerres que l’humanité contemporaine va mener pour sa survie ; ce sont les premières guerres préfigurant les nombreuses autres à venir qui seront encore beaucoup plus sanglantes que ces deux-là car il s’agira véritablement de vie où de mort pour les peuples impliqués. Et tout cela sera exacerbé par la modification du climat qui, apparemment, n’en n’est qu’à ses débuts.

Mort de quoi nous demandions-nous plus haut ?

Mort de l’ordre mondial tel que nous le connaissions depuis 1945.
Certes, vous le savez chers lecteurs, cette implosion du système s’est faite en deux temps : disparition de l’URSS d’abord puis effondrement en cours des USA. Ce qui signifie la fin de la tentative d’organisation globale de l’humanité, quelle que soit la forme de cette organisation d’ailleurs. Il se trouve que cette fameuse globalisation, économique et politique, est en train de prendre fin sous nos yeux. Car cette globalisation avait pour principal promoteur les USA dont la situation catastrophique ne leur permet plus de la défendre face à la montée de puissances régionales auxquelles ils ne peuvent plus résister.
Donc fragmentation du monde et apparition, où devrait-on dire réapparition, de puissances régionales, généralement les mêmes que celles qui avaient été reléguées au second plan par l’occidentalisation générale du monde : Chine, Inde, Turquie, Iran etc...

Mort du système économique que nous connaissions depuis 1945, instauré par les USA et leurs alliés. Système économique qui est en plein effondrement aujourd’hui et qui entraîne dans sa chute ceux qui le supportaient à bout de bras.
Système économique qui a engendré un accroissement suicidaire de l’espèce humaine, entraînant à son tour une accélération exponentielle de l’épuisement des matières premières, la destruction de l’environnement et une pollution sans cesse plus grande et parfois irréversible, à l’échelle humaine tout au moins, de la planète tout entière ; cela a désormais pour effet, apparemment en tout cas, une modification du climat à une échelle telle que la survie de l’espèce pourrait désormais être en question.

Nous en sommes probablement aujourd’hui, en tant qu’espèce et non en tant que civilisation, au même point que les habitants de l’île de Pâques lorsque leurs ressources commencèrent à ne plus être suffisantes pour nourrir tout le monde. La paix relative, la concorde relative et l’abondance qui maintenait les deux premières disparurent pour faire place à la guerre civile pour l’appropriation des ressources qui restaient. Ce furent des guerres pour la survie qui entraînèrent des destructions encore plus grandes accélérant de ce fait la disparition générale des habitants de l’île de Pâques.
Nous en sommes là en tant qu’espèce, à l’échelle de la planète par conséquent. L’ordre mondial plus où moins établi est en train de s’effondrer pour cause de disparition progressive de la puissance des promoteurs de cet ordre précisément ; apparition de graves problèmes d’approvisionnement non seulement en matières premières mais désormais en denrées alimentaires. Tout cela entraînant une compétition de plus en plus exacerbée entre les différents acteurs pour ces ressources en voie de disparition dont tout le monde a besoin pour survivre, ce qui aboutira immanquablement à des guerres pour la survie.

Car après des années d’abondance théorique pour tous, l’humanité doit faire face à la pénurie généralisée de ce qu’elle avait appris à considérer comme inépuisable et naturel : énergie, matières premières, denrées alimentaires. Pendant quarante où cinquante ans l’humanité s’était habituée à considérer tout cela comme un dû inépuisable et très bon marché ; aujourd’hui elle doit faire face à la pénurie générale engendrant des coûts insupportables.

La vérité est qu’il n’y a désormais plus assez pour tout le monde : plus assez d’énergie, plus assez de matières premières, plus assez de nourriture.
Il ne pourra désormais y avoir qu’un peu pour quelques-uns, jusqu’au jour où il n’y aura plus rien pour personne.

Mais pour le moment la question est de savoir qui seront ces quelques-uns et comment ils se répartiront ce qui reste.
Cela se réglera par les armes.
L’Afghanistan, l’Irak où la libye ne sont que les prémisses de ce qui vient, comme déjà dit, nous le savons, mais il est bon de le répéter. A noter cependant que ces actions militaires n’ont fait qu’augmenter considérablement l’extension généralisée du chaos puisqu’elles sabotent l’ordre établi depuis 1945; de ce fait elles font disparaître les quelques illusions que l’on aurait pu entretenir sur une réponse unifiée de l’humanité à ces problèmes qui menacent désormais sa survie en tant qu’espèce.

A noter également que ceux qui furent les promoteurs de cet ordre post-1945 sont les mêmes que ceux qui sont en train de déstructurer ce même monde par leur non-respect des règles qu’ils avaient édicté en leur temps. C’est pourquoi il sera difficile d’éviter que d’autres à l’avenir n’agissent de la même manière pour s’approprier les richesses du voisin qui leur manqueront.
De l’eau par exemple, des céréales où des métaux, eux aussi en voie d’épuisement.

L’extension générale du chaos se produit au fur et à mesure que les structures du système établies après 1945 implosent.
Néanmoins leur effondrement reflète un mal beaucoup plus grave, un mal qui a touché presque toutes les civilisations qui nous ont précédé mais qui aujourd’hui nous touche tous en tant qu’espèce. Ce mal a été théorisé par Joseph Tainter, anthropologue et historien américain, qui s’est intéressé aux raisons pour lesquelles des civilisations pouvaient disparaître si rapidement après avoir atteint leur apogée.
En gros il s’agit ici de la « complexité » qu’une société donnée utilise pour résoudre les problèmes auxquels elle doit faire face au cours de son existence. Il se trouve que ce surcroît de complexité permet à la société en question de résoudre les problèmes temporairement ; mais il arrive un moment à partir duquel tout accroissement de complexité non seulement ne parvient plus à résoudre le problème dont il est censé venir à bout mais devient une charge pour la société en question. Et c’est à ce moment que l’écroulement débute et s’achève généralement en un laps de temps très court (plusieurs dizaines d’années).
Toute complexité engendre une certaine fragilité, en conséquence plus une société est complexe plus elle se révèle vulnérable à un incident qui peut engendrer une réaction en chaîne et entraîner la ruine de la société en question.

Or, pour en revenir à nos moutons contemporains, sur quoi s’est donc bâtie le développement extraordinaire de notre monde moderne ? Comment l’humanité a t’elle pu tout d’un coup édifier une société si complexe, un monde qui a transformé la planète au-delà de tout ce que l’on aurait pu imaginer il y a encore un siècle, voire un demi siècle ?

Ce développement économique, débuté avec la révolution thermo-industrielle vers 1850, n’a pu se produire que grâce au « travail » obtenu à partir de la combustion d’énergies fossiles : bois d’abord, charbon ensuite et surtout pétrole au XX ème siècle, sans parler du gaz naturel. Cependant l’utilisation massive du pétrole ne s’est véritablement produite qu’à partir de la fin de la seconde guerre mondiale ; c’est à partir de 1945 que le pétrole s’est révélé être l’énergie à la base de toute la « croissance » économique depuis soixante ans en raison de son état de combustible abondant, peu cher, facilement manipulable et transportable, et doté d’une intensité énergétique incomparable.
Ces qualités diverses mais uniques du pétrole sont donc à la base de tout le développement de l’humanité depuis 1945 et l’utilisation du pétrole et de ses dérivés s’étend largement au-delà de l’énergie proprement dite; pensons notamment aux matières plastiques où encore aux engrais... Le pétrole est ainsi devenu indispensable à notre monde contemporain et il est certain que sans son utilisation intensive et les possibilités multiples qu’elle autorise, jamais l’humanité n’aurait pu réaliser ce qu’elle a fait au cours du XX eme siècle, y compris ses découvertes scientifiques et leurs développements. C’est également à cause du pétrole que l’humanité a connu cet accroissement quantitatif redoutable qui fût le sien au cours du XX eme siècle.

Pour le dire dans une perspective à la Tainter, le pétrole a permis à notre monde contemporain de se complexifier d’une manière inouïe, jamais atteinte dans l’histoire de l’humanité, notamment en facilitant les capacités de transport bon marché d’un bout à l’autre de la planète. Or aujourd’hui nous en sommes arrivés à un point où le pétrole, jusqu’à maintenant bon marché et abondant, est devenu cher et est sur le point de devenir rare ; en conséquence encore beaucoup plus cher qu’il ne l’est déjà. Il ne s’agit pas de dire qu’il n’y a plus de pétrole ; pas encore. Il s’agit de dire d’une part que la demande de pétrole dépasse l’offre ; d’autre part que le pétrole coûte de plus en plus cher à extraire et qu’en conséquence il deviendra automatiquement de plus en plus cher à la pompe.

De ce fait, ce que l’on pourrait nommer le « miracle économique » de la seconde moitié du XX eme siècle est d’ores et déjà terminé.
C’est ainsi, chers lecteurs, que le chaos est destiné à s’amplifier par la conjonction de trois facteurs principaux :

- la pénurie énergétique en cours qui déstructure tout le système économique, notamment à cause de l’augmentation du coût du transport des marchandises, ce qui engendrera le chaos politique et social ;
- les conséquences environnementales que l’abondance énergétique antérieure a provoqué ;
- enfin l’accroissement insoutenable de la population mondiale, à l’origine directe des deux premiers facteurs et de tous les autres d’ailleurs.

Nous sommes entrés, chers lecteurs, dans une époque au cours de laquelle le chaos se répandra toujours plus profondément dans tous les recoins de la planète jusqu’à la crise terminale du système. Nous connaîtrons alors la pénurie générale de tout ce que nous tenons encore aujourd’hui pour un dû : énergie abondante, nourriture en surplus et diversifiée, matières premières à gogo.
Notre espèce aura alors réussi la prouesse de saccager la planète entière en moins d’un siècle et de compromettre sa propre survie par son comportement de prédateur criminel et irresponsable. Nous serons passés en cinquante ans de l’abondance la plus outrageuse, tout au moins pour une petite partie de l’humanité, à une pénurie généralisée.
Ceux qui s’en tireront le moins mal seront ceux qui pourront survivre en exploitant leurs ressources locales ; ceux qui dépendront d’un approvisionnement lointain pour survivre seront condamnés.

Mais pour le moment tout le monde est content à Cochon sur Terre, le meilleur des mondes.

mercredi 1 juin 2011

Moyen-Orient : de l'érosion de l'influence des USA et de ses conséquences.

Il faut bien avouer que le discours du Caire d’il y a deux ans ne suscite plus chez les populations arabes que haussement d’épaules et mépris. Non, même pas de colère, de hargne où d’invectives : du mépris. C’est beaucoup plus grave car c’est probablement sans remède.
Il est vrai que depuis deux ans notre ex-futur sauveur de l’humanité, prix Nobel de la paix (excusez du ridicule), n’a pas lésiné sur les moyens pour aboutir à ce résultat que, certainement, même son prédécesseur n’avait pas obtenu : une déconsidération générale des USA et par extension du monde occidental et de leur illustre « modèle » (ahahah !) de non-civilisation. Aujourd’hui d’ailleurs les arabes, de quelque camp qu’ils soient, ne prêtent même plus attention aux péroraisons d’Obama, Clinton et Associés, car tout le monde sait parfaitement que plus personne ne peut compter sur les USA.
Y compris Israël.
A l’exception peut-être des Anglais et de notre président bien-aimé.

Ce matin Robert Fisk, le fameux reporter anglais du journal « The Independant », pose la question suivante :

Who cares in the Middle East what Obama says ?

Réponse : personne.

Il est vrai qu’aujourd’hui nous assistons à un spectacle pour le moins ironique : les USA se sont tellement discrédités au Moyen-Orient que non seulement leurs ennemis ne les prennent plus au sérieux, ce qui en soi est déjà grave, mais leurs soit-disants alliés arabes ne les écoutent plus non plus et agissent à leur guise selon leurs intérêts propres, sans plus se préoccuper des USA sauf pour les utiliser selon leurs besoins (nous verrons comment plus loin).

"While Barack Obama and Benjamin Netanyahu played out their farce in Washington – Obama grovelling as usual – the Arabs got on with the serious business of changing their world, demonstrating and fighting and dying for freedoms they have never possessed. Obama waffled on about change in the Middle East – and about America's new role in the region. It was pathetic. "What is this 'role' thing?" an Egyptian friend asked me at the weekend. "Do they still believe we care about what they think?"
(Sources : The Independant - Robert Fisk - 30.05.2011)

Le manque de soutien aux révoltes de ce que l’on nomme le « Printemps arabe » a définitivement scellé le sort de la crédibilité des USA. En effet c’est à cette occasion que la duplicité des USA éclata au grand jour, nue et sans défense, exposant crûment le vide des grands discours emphatiques, dont celui du Caire en 2009 qui avait fait naître malgré tout un certain espoir.

"And it is true. Obama's failure to support the Arab revolutions until they were all but over lost the US most of its surviving credit in the region. Obama was silent on the overthrow of Ben Ali, only joined in the chorus of contempt for Mubarak two days before his flight, condemned the Syrian regime – which has killed more of its people than any other dynasty in this Arab "spring", save for the frightful Gaddafi – but makes it clear that he would be happy to see Assad survive, waves his puny fist at puny Bahrain's cruelty and remains absolutely, stunningly silent over Saudi Arabia. And he goes on his knees before Israel. Is it any wonder, then, that Arabs are turning their backs on America, not out of fury or anger, nor with threats or violence, but with contempt? It is the Arabs and their fellow Muslims of the Middle East who are themselves now making the decisions."
(Sources : The Independant - Robert Fisk - 30.05.2011)

L’Egypte et le « Printemps Arabe ».

Ce furent essentiellement les événements d’Egypte qui servirent de révélateur. L’ironie de la situation voulut que le même événement provoqua une prise de conscience opposée chez les différents acteurs. En effet le manque de soutien des USA aux manifestants de Tahrir Square jusqu’au dernier moment démontra aux populations arabes que les USA ne les soutenaient pas et, de ce fait, révéla au grand jour l’absolue hypocrisie de toutes les belles paroles que l’on nous déverse sur la tête à qui mieux mieux à longueur de leçons de morale, toutes plus creuses les unes que les autres.
Chez leurs gouvernants bien-aimés ce fût l’inverse. Chez ces derniers, c’est ce qu’ils virent comme la trahison par les USA de Moubarak qui les décilla brutalement ; Moubarak, l’allié indéfectible des USA, celui en qui on avait tant confiance qu’on n’hésitait pas à lui confier le sort des prisonniers que l’on voulait torturer sans inconvénients, c’est -à-dire pour rester dans le cadre de la « légalité » US, celui qui pratiquait une politique étrangère qui prenait les intérêts des USA et d’Israël plus en compte parfois que ceux de son propre pays, celui qui « faisait presque partie de la famille » de Tata Hilary, comme elle le dit elle-même en 2009 après une visite du Rais à Washington etc... Bref ce sacrifice de Moubarak provoqua un choc chez les gouvernants bien-aimés du Moyen-Orient qui est probablement encore sous-estimé. A partir de ce moment la confiance fût certainement brisée pour longtemps et c’est de ce jour que les Saoudiens prirent en main la défense de l’ordre établi sans se préoccuper de savoir ce que pensaient les USA et tutti quanti de leurs agissements à Bahreïn, au Yemen et ailleurs.

Désormais les populations arabes et leurs gouvernants bien aimés savent les uns et les autres qu’ils ne peuvent plus rien attendre des USA. Les uns ont pris conscience qu’ils ne devront le succès de leurs ambitions politiques qu’à eux-mêmes ; les autres ont pris conscience qu’ils ne devront leur salut contre les premiers qu’à leur propre initiative sans attendre rien des USA.

Le soutien inconditionnel à Israël.

Bien entendu l’autre facteur qui continue de discréditer entièrement les USA au Moyen-Orient reste leur soutien inconditionnel à Israël. Les événements de la semaine dernière n’arrangèrent pas les choses.

"There was an interesting linguistic collapse in the president's language over those critical four days. On Thursday 19 May, he referred to the continuation of Israeli "settlements". A day later, Netanyahu was lecturing him on "certain demographic changes that have taken place on the ground". Then when Obama addressed the American Aipac lobby group (American Israel Public Affairs Committee) on the Sunday, he had cravenly adopted Netanyahu's own preposterous expression. Now he, too, spoke of "new demographic realities on the ground." Who would believe that he was talking about internationally illegal Jewish colonies built on land stolen from Arabs in one of the biggest property heists in the history of "Palestine"? Delay in peace-making will undermine Israeli security, Obama announced – apparently unaware that Netanyahu's project is to go on delaying and delaying and delaying until there is no land left for the "viable" Palestinian state which the United States and the European Union supposedly wish to see.
Then we had the endless waffle about the 1967 borders. Netanyahu called them "defenceless" (though they seemed to have been pretty defendable for the 18 years prior to the Six Day War) and Obama – oblivious to the fact that Israel must be the only country in the world to have an eastern land frontier but doesn't know where it is – then says he was misunderstood when he talked about 1967. It doesn't matter what he says. George W Bush caved in years ago when he gave Ariel Sharon a letter which stated America's acceptance of "already existing major Israeli population centres" beyond the 1967 lines. To those Arabs prepared to listen to Obama's spineless oration, this was a grovel too far. They simply could not understand the reaction of Netanyahu's address to Congress. How could American politicians rise and applaud Netanyahu 55 times – 55 times – with more enthusiasm than one of the rubber parliaments of Assad, Saleh and the rest?"
(Sources : The Independant - Robert Fisk - 30.05.2011)

Effectivement il est incompréhensible pour les populations arabes, et les autres, de comprendre comment les membres du Congrès US ont pu faire 55 « standing ovations » (certains disent qu’il n’y en eu que 20) durant le discours de Netanyahou.
L’article du journaliste israélien Gideon Levy dans "Haaretz" le 25 Mai dernier est un bon exemple de la stupéfaction et de la fureur de ceux qui sont encore capables d’ouvrir les yeux et qui conservent encore un minimum de sens critique, qu’ils soient arabe, israélien, occidental où autre.

"It was an address with no destination, filled with lies on top of lies and illusions heaped on illusions. Only rarely is a foreign head of state invited to speak before Congress. It's unlikely that any other has attempted to sell them such a pile of propaganda and prevarication, such hypocrisy and sanctimony as Benjamin Netanyahu did yesterday.

How can an Israeli prime minister dare to say his country "fully supports the desire of Arab peoples in our region to live freely" without spitting out the entire bitter truth - as long as they aren't Palestinian.
(...)
And how could he rain praise on Israeli democracy when his government has done more than its predecessors to deal the mortal blow to that democracy, to pass completely anti-democratic laws?
(...)
And how dare he speak about freedom of worship in Jerusalem at a time when hundreds of thousands of Palestinians have been denied that freedom for years.
How can Netanyahu praise the peace with Egypt, when it's easy to guess he would have voted against it? The man who explicitly said he would do his level best to destroy the Oslo Accords suddenly says he's in favor of peace with the Palestinians.

Last night we saw that the Americans will buy anything, or at least their applauding legislators will."
(Sources : Haaretz - 25.05.2011 - Gideon Levy)

Comment et pourquoi ces politiciens américains sont-ils capables d’applaudir au moins vingt fois un discours d’un dirigeant étranger dans lequel se trouvent empilés les mensonges les plus éhontés comme la propagande la plus grossière ?

Corruption du système.

Deux réponses viennent à l’esprit spontanément pour qui connaît le fonctionnement du système politique US : corruption des esprits dont la cause première est l’ignorance crasse de ce qui se passe à l'extérieur des USA, et sa conséquence qui est la manipulation des esprits par les lobbys ; d’autre part la corruption sonnante et trébuchante.

"Most of Congress is ignorant about the real nature of the Israeli-Palestinian conflict and about the real consequences of American foreign policy relative to it.
That ignorance is sustained by the fact that the U.S. information environment relating to the conflict is still largely controlled by the Zionists.
For instance, much of the briefing material on the issue going to congressional members is produced by AIPAC and allied Zionist organizations; the State Department has been purged of anyone sympathetic to the Palestinians or the Arabs in general; the media remains almost uniformly biased in favor of Israel; and finally, for the politicians, ignorance is underwritten by that 24 percent of their campaign contributions.
It also helps enormously that this ignorance is shared by the American public at large.
(...)
When it comes to the Israeli-Palestinian conflict, the U.S. Congress’s accepted version of reality is maintained by Zionist misinformation fortified by donor dollars to the campaigns of both parties.
Without the one-sided story line and its attendant financial pillars (and the stealthy way the money is handed out or withheld), the incentive to dance the dance and see the conflict through Zionist-tinted glasses would be considerably less.
Yet that is not the way the U.S. system works. Within the realm of American politics, it is the money that conditions the mind to an uncritical acceptance of a perverted reality."
(Sources : 29 Mai 2011 - Lawrence Davidson is a history professor at West Chester University in Pennsylvania. He is the author of Foreign Policy Inc.: Privatizing America’s National Interest; America’s Palestine: Popular and Offical Perceptions from Balfour to Israeli Statehood; and Islamic Fundamentalism.)

Pour confirmer cette perversion du système politique par l’argent des lobbys, et pas uniquement par l’AIPAC naturellement, voici ce que révéla le WSJ après le discours d’Obama dans lequel il évoqua le sujet tabou entre tous : le retour aux frontières de 1967.

“Jewish donors and fund raisers are warning the Obama re-election campaign that the president is at risk of losing financial support because of concerns about his handling of Israel,”
( Sources : Wall Street Journal - 19 Mai 2011)

D’où le rétropédalage du même Obama le lendemain, proclamant que ses paroles avaient été mal interprétées...

Obama will “court Jewish donors at a June fund-raiser.”
There is every indication that the Obama campaign plans to be “extremely proactive” in letting the “Jewish community” know that the President does not want to be “too critical of Israel.”
(Sources : Wall Street Journal - 19 Mai 2011)

Ces deux facteurs, l’attitude des USA face aux événements d’Egypte et le soutien inconditionnel d’Israël dans les circonstances que l’on sait, ont détruit l’influence US au Moyen-Orient non seulement dans le chef des populations arabes mais également dans le chef des Israéliens et des juifs non israéliens, qu’ils soient sionistes où non, comme c’est le cas pour une large partie des juifs américains.

Le syndrome de la marionnette.

Or cette chute de l’influence des USA au Moyen-Orient fait désormais place à du mépris pur et simple, comme on l’a vu avec Robert Fisk. Ce mépris transparaît très bien, selon nous, dans l’attitude que les arabes comme les Israéliens ont adopté face aux USA, dont les uns et les autres cherchent à tirer avantage au maximum de leurs possibilités sans se préoccuper de ce que prêchent les USA autrement que pour obtenir encore plus. Cela se fait par la manipulation pure et simple, sans vergogne, comme c’est le cas lorsque l’on n’a plus aucune considération pour quelqu’un mais dont on a encore besoin ; on triture désormais cette marionnette dont on connaît parfaitement bien le fonctionnement et les ficelles qui la font aller où on veut, selon ce que nous voulons.

Comment font-ils ?

Très simple : ils payent, où plutôt ils achètent.

Les Arabes, et les Saoudiens en premier lieu, se contentent de payer pour obtenir ce qu’ils veulent des USA. Les sommes d’argent déversées, parfois colossales comme ce contrat d’armement de $60 milliards signés il y a quelques semaines, leur permettent de manipuler la politique étrangère US selon leurs besoins en tirant avantage (consciemment où non) de l’affaiblissement croissant de l’économie US dont l’industrie, et le complexe militaro-industriel en particulier, a un besoin désespéré de remplir ses carnets par des commandes indépendantes du Pentagone et du gouvernement US en faillite. Personne ne doute que ce contrat, entre autres raisons, n’ait influencé le silence extraordinaire des USA vis-à-vis de la répression exercée par les Saoudiens à Bahreïn, leurs agissements au Yemen où encore le manque de « démocratie » en Arabie même.
La situation des Israéliens est beaucoup plus délicate car ils ont un besoin absolu du soutien des USA et des $3 milliards qui leur sont versés chaque année par les USA. Mais là encore ils payent. Ils payent, comme on l’a vu, par l’intermédiaire de leur lobby l’AIPAC ; crûment ils achètent les parlementaires US en finançant une partie de leurs campagnes électorales (24 % des frais de campagne pour les parlementaires démocrates. Rassurez-vous les républicains eux aussi ont droit à des subsides).

Cette façon de faire, cette corruption généralisée entreprise par les Arabes et les Israéliens (même si ce ne sont pas les seuls à la pratiquer, loin de là, puisque c’est la manière de fonctionner du système entier, légalisé par la loi), même si elle n’est pas nouvelle, se double désormais d’un mépris et d’un cynisme où seul l'intérêt national prime sans prendre aucun compte de l’intérêt des USA. C’est d’ailleurs à mettre en parallèle avec la manière dont se font les lois à l'intérieur même du pays où celui qui a le plus d’influence sur les parlementaires est celui qui paye le plus ; en conséquence on y retrouve une multitude d'intérêts particuliers qui s’entrechoquent dans une bataille sans fin pour les prébendes, tandis que l'intérêt général est une vague notion dont on comprend de moins en moins la signification.

Et maintenant que se passe t’il ?

Les conséquences immédiates de cette érosion de l’influence US au Moyen-Orient sont relativement aisées à percevoir. En revanche nous ne pourrions pas nous hasarder à prévoir l’issue future des bouleversements que cela impliquera. Nous n’en savons rien car cela relève plus du tour de carte que d’autre chose.
On peut néanmoins observer plusieurs tendances « lourdes » qui se sont mis en place, où qui se mettent en place, comme on voudra.

- Le printemps arabe n’est pas terminé.

La première, bien entendu, est cette série de révoltes populaires qui ont déjà eu lieu au Moyen-Orient et que l’on a baptisé le « Printemps arabe ». Comme on sait ces révoltes se déclenchèrent pour des raisons économiques, c’est-à-dire à cause de l’inflation des prix des matières premières et de l’énergie déclenchée par la politique suicidaire de la FED (voir post du 2.02.2011 « Nous sommes tous des Egyptiens, ce n’est qu’une question de temps »). Bien sûr les questions politiques propres à chaque pays se sont ajoutées aux causes directes du déclenchement des révoltes (à l’exception de la Libye où les causes de la révolte ne sont pas dues à des raisons économiques). Cela dit, malgré les changements de régime, où plutôt malgré le départ des chefs d’Etat concernés (Moubarak, Ben Ali pour le moment), les problèmes qui ont jetés les populations dans la rue non seulement ne sont pas résolus, loin de là, mais ils ont encore empiré depuis lors. Il est donc à craindre de voir reprendre l’agitation qui pourrait très bien déboucher sur l’anarchie où la répression féroce, pour éviter le chaos précisément.

- L’Arabie-Saoudite mène la contre-révolution.

La seconde tendance, déclenchée par la première, est la contre-révolution prise en main et prise en charge financièrement et militairement par l’Arabie Saoudite. Cette contre-offensive s’est faite à partir d’une stratégie qui se développe tous azimuts mais qui est basée essentiellement sur deux points :

1) l’impossibilité de compter sur les USA en cas de problème.
2) la peur panique de l’Iran.

a) Chronologiquement il fallut d’abord parer au plus pressé, c’est-à-dire enrayer coûte que coûte la contagion de la révolte déclenchée en Egypte ; en Arabie Saoudite elle-même (voir l’octroi par le Roi de toute sorte d’avantages financiers à la population), puis dans les pays du GCC, en tout premier lieu à Barhein. Enfin, la question très délicate du Yemen, pendante depuis des années ; Yemen où les Saoudiens tentent actuellement de négocier le départ de Saleh au profit d’un chef de tribu qui leur serait acquis tout en continuant à combattre vigoureusement par les armes ceux qu’ils voient comme des suppôts d’Al Quaeda (vision qui n’est pas fausse et qui est à l’origine de la mort de Ben Laden), et de l’Iran en sous-main.

b)Ensuite les Saoudiens ont décidé de secourir tous les pays qui seraient menacés par une révolte du type égyptien en octroyant des aides financières afin d’aider les gouvernements à maintenir l’ordre par l’octroi de subventions qui pourraient aider les populations à survivre à l'inflation.

c) D’autre part, ne pouvant compter sur l’aide politique et militaire US les Saoudiens ont renforcé l’alliance qui les liait depuis si longtemps avec le Pakistan. C’est ainsi que ce dernier met désormais à la disposition de l’Arabie deux divisions en cas de besoin pour maintenir l’ordre dans la Péninsule. De même c’est à la suite de cet accord que des centaines de mercenaires pakistanais furent envoyés à Bahreïn pour réprimer la révolte. L’avantage des mercenaires pakistanais est double :
*Ils risquent beaucoup moins de sympathiser avec les populations et de passer de leur côté que les autochtones de l’armée nationale (encore un souvenir traumatisant de l'expérience égyptienne).
*Ils sont musulmans et peuvent fouler le sol saoudien sans problème pour réprimer un mouvement de révolte en Arabie même, ce que ne peuvent faire des non-musulmans.
Il se dit beaucoup dans les couloirs que les saoudiens et les pakistanais auraient également passés un accord à propos de la question nucléaire, transaction qui consisterait pour le Pakistan à fournir des ogives nucléaires contre payements conséquents. Pour les Saoudiens cela équivaudrait en une assurance tout-risque contre une agression iranienne (à leurs yeux en tout cas en dépit du fait que cela relève de l’utopie complète) ; pour les Pakistanais cela compenserait la manne US de $2 milliards par an, désormais menacée par le Congrès après la découverte que Bin Laden vivait tranquillement au Pakistan depuis... si longtemps... avec la complicité de l’ISI... et des Saoudiens (mais c’est une longue histoire).

- La carte de l’antagonisme shiite-sunnite.

L’autre carte que tente de jouer l’Arabie-Saoudite est celle de l’antagonisme shiite-sunnite afin de souder le bloc sunnite autour d’elle et évacuer de cette manière les problèmes internes aux pays sunnites en proie au printemps arabe. C’est ainsi que les Saoudiens tirent de tous les côtés afin de faire renaître le conflit entre les deux branches de l’Islam, y compris en tentant d’entraîner les USA dans un conflit avec l’Iran, en parfaite identité de vue sur ce plan avec les Israéliens.
La peur panique des Saoudiens vis-à-vis de l’Iran est réelle, confinant à la paranoïa, de la même manière qu’elle est une obsession pour les USA comme pour Israël.
Cette peur des saoudiens est alimentée par plusieurs facteurs :

1) d’abord ce qu’ils perçoivent comme un encerclement de la péninsule arabique par les Shiites (des hérétiques pour les wahhabites), à travers leurs minorités au Yemen et dans certains pays du Golfe, à Barhein où ils sont majoritaires, et surtout en Irak où ils sont non seulement majoritaires mais dont le pays risque de devenir le premier pays shiite en dehors de l’Iran à jouer un rôle dans la région.
2) Les Saoudiens voient tous ces shiites les encerclant comme autant d’acteurs d’un complot général contre eux, mené en sous-main par l’Iran, ce qui est vraiment loin de la vérité. Ce d’autant plus que les shiites de Barhein, par exemple, sont beaucoup plus proches spirituellement de Najaf en Irak que de Qom en Iran. La majorité des shiites de Barhein où d’Irak ne cherchent nullement à établir une théocratie à l’iranienne et l’ayatollah Ali Sistani est non seulement modéré mais ne s’est jamais impliqué en politique.

Cette tentative de la part des Saoudiens de constituer un front sunnite contre ce qu’ils voient comme une offensive shiite menée par l’Iran ne semble pas porter de fruits très prometteurs pour le moment.
Apparemment, et sauf catastrophe, l’Egypte est plutôt tentée par un neutralisme politique dans lequel le fanatisme religieux n’a aucune part ; la normalisation de ses relations diplomatiques en cours avec Téhéran, la signature de l’accord de réconciliation entre le Hamas et le Fatah (qui mènera probablement à une demande de reconnaissance de l’état Palestinien en Septembre à l’ONU), la réouverture du poste frontière à la circulation entre l’Egypte et Gaza, tout cela sous la pression de la rue ne milite pas beaucoup pour un retour à une guerre générale entre sunnites et shiite.
A Bahreïn les shiites ne réclament pas une théocratie de type iranien mais une monarchie constitutionnelle et des droits équivalents pour les deux communautés. Il n’est pas question d’une théocratie à l’iranienne. Les violences qui ont eu lieu dans cet état furent le fait de la police où des mercenaires employés par l’état contre les manifestants shiites mais aucunement un clash communautaire.
De plus les révoltes arabes jusqu'à aujourd'hui étaient nettement laïques et non de type théocratique, loin de là. En revanche si ces révoltes se radicalisent on ne peut plus répondre de rien. Mais nous n'en sommes pas encore là et il n'est pas obligatoire non plus d'en arriver là.
Quant à la théorie saoudienne du complot shiite (iranien par conséquent) elle rencontre un très fort scepticisme chez les arabes, et les USA eux-mêmes ne semblent pas y adhérer non plus.

- Iran : la complicité israelo-saoudienne.

L‘Iran est un pays très utile à la fois à Israël et à l’Arabie Saoudite. En effet l’existence même de ce régime iranien si décrié, à tord où à raison, les écarts de langage inventés où réels de son Président, bref l’image qu’on en fait d’un régime terrifiant et terroriste menaçant l’ensemble de la région, voire du monde par sa quête de la bombe atomique, tout cela sert grandement les intérêts de l’état hébreu et de l’Arabie Saoudite.

Pourquoi ?

Car cela leur permet à tous deux de détourner autant que faire se peut l’attention du reste du monde de leur propre affaires qui ne sont guère reluisantes. C’est pourquoi plus il y a de bruits autour de l’Iran, plus l’Iran apparaît comme une menace, moins on remettra en cause les régimes israéliens et saoudiens car ces deux-là jouent la même carte : ils sont les alliés indispensables des puissances occidentales contre une hypothétique attaque iranienne sur la région, affirmation complètement farfelue si l’on se réfère à l’état de l’armée iranienne qui ne possède même pas d’aviation et dont le budget est quasiment inexistant par rapport à ceux de l’Arabie où d’Israël précisément.
Dans le cas de l‘Arabie Saoudite plus particulièrement, il y a également la terreur entretenue d’un changement de régime qui pourrait créer une rupture des approvisionnements de pétrole du monde entier, un cataclysme à côté duquel la bombe iranienne paraîtrait un pet de lapin. Les Saoudiens jouent très bien de cette peur auprès des Occidentaux et savent parfaitement extorquer ce qu’ils veulent par ce biais.

- Bahreïn : le royaume de tous les dangers.

D’où l’importance de Bahreïn pour les Saoudiens qui pourraient se retrouver en opposition avec les Américains dans cette question ; ces derniers poussent à des réformes et soutiennent le Prince Héritier contre le PM qui ne veut rien céder, soutenu par les Saoudiens.
Admettons que le PM de Bahreïn soit enfin expulsé par le roi et que des réformes soient mises en chantier selon les demandes des manifestants, shiites notamment. Admettons que l'expérience à Bahreïn fonctionne correctement, qu’une monarchie constitutionnelle soit installée conformément aux voeux des manifestants et que la présence de la flotte US ne soit pas remise en cause.
Bahreïn serait alors un bon témoin de ce que pourrait donner un état shiite laïque, posant un problème existentiel non seulement à l’Iran mais aussi à l’Arabie Saoudite. L’existence d’un régime shiite laïque constituerait une contre-publicité pour le régime iranien et pourrait donner des idées et du courage à sa population pour en changer. De même pour l’Arabie Saoudite dont le régime serait très fragilisé par un tel exemple puisqu’elle devrait faire face à la prise de conscience générale qu’un régime shiite n’est pas forcément un régime de fanatiques islamistes émules de Torquemada où de Khomeini ; l’existence de son propre régime théocratique, encore plus terrifiant que celui de l’Iran, pourrait alors être remis en question, ce d’autant plus si on s’apercevait qu’il pourrait très bien être remplacé comme à Bahreïn, sans rupture d’approvisionnement de pétrole et sans le chaos annoncé (c’est une hypothèse nullement certaine mais néanmoins envisageable).

Alors que va t’il se produire maintenant ?
Nous n’en savons rien du tout à part le fait qu’il nous semble fort probable que nous assistions à de nouveaux soubresauts, à de nouvelles révoltes issues de ce printemps arabe qui n’est probablement pas encore terminé.
Réussiront-elles ?
Seront-elles réprimées dans le sang comme en Syrie ?
Toucheront-elles de nouveaux pays ?
Se radicaliseront-elles ?
Mystère.

Tous ces événements aboutiront-ils à une guerre entre sunnites et shiites comme on le crie depuis des années ?
Nous n’en savons rien mais si nous pouvons être sûrs d’une chose c’est que cette dernière ne sera pas déclenchée par l’Iran ; et il très improbable que ce soit l’Arabie Saoudite qui la provoque car ce serait beaucoup trop dangereux pour elle. Par conséquent il reste Israël car nous ne pensons pas les USA en état de déclencher encore une guerre. En revanche il reste l’hypothèse qu’ils y soient entraînés à leur corps défendant par Israël où les Saoudiens (ce n'est pas contradictoire avec le fait que les Saoudiens ne prendront pas le risque de déclencher seuls un conflit avec l'Iran). Mais un conflit provoquerait certainement une explosion de la région et une crise mondiale étant donné l’interruption de la production de pétrole que cela engendrerait, où en tout cas celui de sa livraison.
Pour vous dire la vérité nous ne croyons pas beaucoup à ce scénario qui nous parait, pour une fois, très tiré par les cheveux, même si nous ne devons pas l’exclure. On ne sait jamais étant donné la nature de l’homme.

En revanche les jeux dans la région ne sont pas faits le moins du monde. Tout est ouvert. Et non seulement tout est ouvert mais nous sommes désormais entrés dans une zone inconnue au milieu de laquelle nous évoluons sans repères et sans assurances. Tout peut arriver, le pire surtout (vous voilà rassurés sur notre santé mentale n’est-ce pas chers lecteurs, allez avouez-le !), mais nous ne savons pas du tout de quel « pire » il s’agira tant il est vrai que notre espèce divine regorge d’inventivité en la matière. Nous ne voyons pas davantage de quel « meilleur » il pourrait s’agir...

Alors certes les USA sont discrédités, certes plus personne ne les écoute, certes on les méprise, mais ils sont encore là et soyez sûrs, chers lecteurs, que tout le monde tentera encore de les ménager afin de les utiliser en fonction de ses besoins ; jusqu’à ce qu’ils deviennent vraiment « useless ».
En revanche s’ils sont encore présents dans la région ils sont devenus relativement impotents et les autochtones le savent bien. Cet effacement et ce discrédit des USA remet en avant les puissance traditionnelles, et bien entendu leurs rivalités ancestrales. Ces dernieres ont donc commencé à jouer chacune leur partie pour leur survie sans trop s’occuper des USA sur lesquels ils ne comptent plus à part pour leur soutirer ce qu'ils peuvent encore fournir, et soyez sûrs chers lecteurs de voir de plus en plus souvent l’Egypte, l’Iran et la Turquie, ces grandes puissances régionales plusieurs fois millénaires, retrouver le rôle ancestral qui est le leur, accompagné des conflits (froids où chauds) qui vont de pair.

Mais pour le moment la grande interrogation reste de savoir qui va l’emporter des révoltés du printemps arabe où bien de ceux qui s’y opposent...

Affaire à suivre.