Extrait d'un texte destiné à un essai sur les USA. Ce qui suit fût écrit en Mai 2009 lors de mon séjour d'un mois et demi à New-York, avant mon périple de plusieurs mois qui s'acheva à San-Francisco.
"Le grand historien américain Richard Hofstadter (1916 - 1970) a écrit au début des années 60 un essai dont le titre est: « The paranoid style in US politic ». C’est une vieille habitude de la vie politique américaine dont on peut affirmer que les racines sont religieuses et remontent au 17eme, avec les persécutions entreprises par les puritains, notamment les chasses aux soit disant sorcières de Salem où encore les massacres d’Indiens. Politiquement parlant les crises de paranoïa commencent rapidement après la fondation du pays, dés la fin du 18eme avec les « Bavarian Illuminati » qui était un mouvement anti-jacobin dont les membres craignaient un complot révolutionnaire et anti-religieux aux USA, subventionné par les révolutionnaires français. Cela se poursuivit avec la crise anti-maçonnique au début du 19eme, puis la crise anti-catholique au milieu du 19eme, la crise anti-immigré au début du 20eme, le Maccarthysme dans les années cinquante et l’anti-communisme qui suivit, et enfin la crise de paranoïa actuelle. On voit donc que les périodes de calme sont assez rares et que les différentes hystéries se succèdent les unes les autres avec une régularité pour le moins étonnante. Nous y reviendrons.
Selon Richard Hofstadter les individus atteints de ce «paranoid style» voient l’histoire comme une conspiration «set in motion by demonic forces of almost transcendant power, and what is left to be needed to defeat it is not the usual methods of political give-in-and-take, but an all-out crusade...» Et il continue un peu plus loin: «Since what is at stake is always a conflict between absolute good and absolute evil, the quality needed is not a willingness to compromise but the will to fight out to a finish.» Et il ajoute: «This demand for unqualified victories lead to the formulation of hopeless demanding and unrealistic goals, and since these goals are not even remotely attainable, failure constantly heightens the paranoid frustration.»
C’est ce qui ne manque pas de frapper lorsque l’on se retrouve face à cette procédure sécuritaire invraisemblable. On ne peut s’empêcher de se dire que toute cette immense machinerie, cette bureaucratie mobilisée pour ficher le monde entier, ces moyens colossaux déployés pour arrêter d’éventuels terroristes qui ne passeront certainement jamais par une frontière officielle pour perpétrer leurs actes de mort, on ne peut s’empêcher de voir dans tout cet arsenal un coté à la fois obscène et pathétique. En clair je ne pouvais pas ne pas y voir un aveu formidable d’impuissance, un aveu de faiblesse et de peur, le tout masqué par une fuite en avant délibérée dans un déploiement enragé de puissance technologique qui, comme le montre les échecs en Irak et en Afghanistan, ne sert finalement pas à grand chose. Ce sont ces «hopeless demanding and unrealistic goals» qui montrent le mieux l’hubris dont sont atteints les dirigeants américains, cette mégalomanie qui les amènent logiquement à s’appuyer sur la technologie la plus avancée, de plus en plus coûteuse, nécessitant des moyens toujours plus complexes et lourds pour être mise en oeuvre, de plus en plus en décalage avec ce qu’elle prétend combattre. Et qui, pour finir, génère une hypertrophie bureaucratique qui, à son tour, génère la confusion et l'inefficacité. Et puis à la fin de toute l’histoire, cela aboutit à asservir toujours plus, grâce à un flicage globalisé, ceux que l’on était censé protéger au départ et dont les fiches dûment complétées, elles, finissent par remplacer celles de ceux que l’on était censé combattre. Car la machinerie une fois en place doit bien se trouver une occupation, même si c’est pour oeuvrer contre ceux qu’elle était censé servir à défaut de ceux, introuvables, qu’elle était censée éliminer.
On ne peut s’empêcher d’avoir ce sentiment étrange d’être à la porte d’un camp retranché, assiégé par des hordes de barbares campant aux pieds de ses miradors, de ses réseaux électroniques destinés à se protéger des terroristes, de ses murs érigés contre les immigrants mexicains, de ces drones destinés à survoler la frontière avec le Canada pour signaler d’éventuels illégaux aux patrouilles trop peu nombreuses pour un territoire beaucoup trop vaste; un sentiment de forces désespérées jouant le tout pour le tout, s’arc-boutant dans un dernier effort totalement inadéquat, et inefficace de surcroît, pour rejeter l’envahisseur.
Il ne s’agit pourtant pas de nier une menace, il ne s’agit pas d’ouvrir les frontières en grand et laisser entrer le monde entier, certainement pas. Il s’agit simplement de se demander si la réponse apportée est bien la bonne; il s’agit de se poser la question de savoir si ce monstrueux système mis en place pour contrer ce qui est perçu comme une menace est nécessaire et approprié à la tâche qui lui est fixé; il s’agit surtout de savoir si cette idéologie du zéro risque, complètement absurde, n’est pas le prototype même de la «demand for unqualified victories which lead to the formulation of hopeless demanding and unrealistic goals» d’une part, et d’autre part si cela ne mène pas précisément à cette débauche de moyens qui finissent par se neutraliser les uns les autres et par sombrer dans l'inefficacité en raison de leur hypertrophie même."
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