jeudi 3 juin 2010

Hatoyama au tatapis

Celui qui était présenté comme le Fuji Yama de la politique japonaise, l’ex-futur réformateur de la vie politique nipponne, n’aura pas duré longtemps. Il s’est retrouvé KO sur le tatapis en moins de deux. Et le plus comique de l’histoire c’est que ses malheurs lui sont arrivés par sa propre faute.
En effet, faites un effort de mémoire cher lecteur, souvenez-vous de ce que nous vous écrivions ici même il y a à peine un mois (Nouvelles de Cochon sur Terre - 08.05.2010) à propos de la relocalisation de la base aérienne US de Futenma, située à Okinawa ;

Lors de sa campagne M. Hatoyama avait promis de renégocier l’accord passé en 2006 afin de relocaliser la base dans une autre partie de l'île et de déménager 8.000 soldats US à Guam, c’est-à-dire hors du Japon. Désormais au pouvoir le Premier Ministre s’avère incapable de régler ce problème, en soit mineur mais hautement symbolique, qui a causé la semaine dernière des manifestations de 100.000 personnes et dont le pays entier attend un règlement. Un sondage récent a indiqué que 60% des Japonais pensent que Hatoyama devrait démissionner s’il n’est pas parvenu à trouver une solution avant le 31 Mai, date qu’il avait lui-même établie comme butoir pour le règlement de cette affaire. De plus son parti a de grandes chances de perdre les élections à venir en Juillet à la Chambre Haute, en partie à cause de cette affaire.
(Nouvelles de Cochon sur Terre - 08.05.2010)

Eh bien nous n’avons pas eu le temps de prendre notre mal en patience car l’ex Premier Ministre a pris tout le monde par surprise en annonçant sa démission hier au cours d’un discours, annonçant dans la foulée le départ du Secrétaire Général du DPJ Ichiro Ozawa impliqué, lui, dans une affaire de corruption des plus banale.

En tout cas on peut dire que le parcours de l’étoile filante Hatoyama aura été impressionnant !
Le 1er Septembre 2009 le parti DPJ venait de gagner les élections et l’ex futur réformateur était crédité par les sondages de 70% d’opinions favorables. Aujourd’hui, c’est-à-dire neuf mois après ! il est crédité de 17% d’opinions favorables... La chute est rude et spectaculaire !
Entre temps non seulement sont intervenues des affaires de corruption, ce qui ne devrait surprendre personne dans un pays où ce genre de choses fait quasiment partie de la politique per se, mais surtout l’affaire de la base de Futenma a pris l’importance que nous avions prédite. Et c’est beaucoup plus sûrement cette dernière qui a obligé l’ex futur réformateur à démissionner, cela d’autant plus qu’il avait lui-même promis de partir s’il n’avait pas réussi à régler cette question avant le 31 Mai. Considérant qu’il n’avait pas tenu sa promesse de parvenir à un accord avec les USA pour relocaliser leur base aérienne de Futenma il a au moins tenu parole en abandonnant son poste.

"First is the issue over Futenma's relocation," Hatoyama said, apologizing for his unsuccessful bid to relocate U.S. Marine Corps Air Station Futenma outside of Okinawa despite months of searching for an alternative.
(Sources: Japan Times - 02.06.2010)

En réalité cet échec est entièrement dû à l’intransigeance US qui refusa systématiquement tout accord avec le gouvernement japonais sur cette question somme toute mineure mais symbolique pour la population et surtout pour Hatoyama qui n’avait cessé au cours de sa campagne électorale de proclamer qu’il renégocierait l’accord sur la présence de troupes US au Japon afin de la réduire et à terme de rendre le Japon capable de se défendre par lui-même.

Hatoyama’s party came to office on the back of campaign pledges to pursue an independent foreign policy and calls to renegotiate cushy US base deals made by the long-standing ruling party, but in the end US refusal to negotiate and Hatoyama’s inability to organize convincing resistence ended any hope of him accomplishing anything.
(Sources : Antiwar - 01.06.2010)

Comme nous l’avions souligné ce refus autiste des autorités US de renégocier quoi que ce soit a coûté son poste à Hatoyama et coûtera peut-être même sa majorité à la Chambre Haute au DPJ lors des élections de Juillet. Nous pourrions nous dire, afin de nous rassurer un peu sur l’attitude US, que c’est une tactique délibérée pour aider son fideicommis le LDP, actuel parti d’opposition, à regagner le pouvoir et à reprendre ainsi le «business as usual» avec ses maîtres américains. Mais nous ne pensons pas ces gens capables d’une telle suite dans les idées, et encore moins d’une stratégie à long terme, en raison notamment de la pagaie générale qui règne dans l’administration US sans parler du Pentagone qui suit ses propres objectifs.

C’est donc en se retranchant derrière un accord signé en 2006 avec un parti qui leur est inféodé depuis la fin de la guerre, un parti discrédité et corrompu jusqu’à la moelle (bien qu’il ne soit pas le seul), que le Pentagone a décidé de jouer l’intransigeance au lieu de renégocier un accord où il serait parvenu à sauver les meubles, les siens et ceux de l’équipe au pouvoir. Cette attitude de refus catégorique de renégocier quoi que ce soit, que l’on retrouve à chaque échelon de la politique extérieure des USA (voire la déclaration de Tata Hillary à propos de l’opposition grandissante à la présence des armes nucléaires US en Allemagne), peut-être due à deux facteurs :

- soit un aveuglement complet sur la situation des USA d’une part, c’est à dire une absence totale de réalisme quant aux modifications énormes sur la scène internationale qui sont en train de prendre corps en raison de l’affaiblissement des USA eux-mêmes, ce qui implique un aveuglement tragique sur l’opposition de plus en plus forte des principaux soit disant «alliés», les Européens et les Japonais, à un état de fait désormais obsolète : c’est à dire la présence de troupes US sur leur sol que plus rien ne justifie puisque l’ennemi d’hier a disparu. Et ce d’autant plus que le coût de cette présence pèse sur les pays hôtes... Gageons que par les temps qui courent cela deviendra un argument de plus pour l’opposition à cette présence.
- soit une relative mais lucide intuition par ces pontes de l’Administration et du Pentagone que la position des USA est menacée, y compris en Europe et au Japon, intuition qui déclencherait une peur panique engendrant ces réactions intransigeantes de refus de toute tentative de remise en cause des arrangements établis depuis 60 ans par crainte que cela ne mène à une remise en cause générale de la présence des troupes US en Europe et au Japon.

Il est désormais fort probable que la question des bases US au Japon, et par conséquent la présence des troupes US elle-même, devienne une question politique de plus en plus chaude au cours des mois qui viennent, à commencer par les prochaines élections qui donneront le ton que cette affaire suivra. Car si Hatoyama a démissionné sur cette question, on peut imaginer sans peine que la population exigera de ses successeurs plus de détermination pour régler le problème en comptant sur les inévitables surenchères démagogiques qui ne manqueront pas de pointer le bout de leur nez, alimentant et se nourrissant tout en même temps de la colère des votants.
Il se pourrait donc bien qu’en raison de leur refus stupide de toute négociation les USA perdent à terme ce qu’ils croyaient conserver grâce à leur fermeté.

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