« Consomptionomics : Asia role in reshaping capitalism and save the planet ».
Vous savez bien, chers lecteurs, que tout ce que cette malheureuse planète compte de gens « sérieux » a les regards rivés sur les chiffres 24h sur 24. Tous les chiffres bien sûr, tous sont importants, particulièrement lorsqu’ils sont trafiqués comme ceux du chômage où de l’inflation US. Cela dit il y a certains chiffres qui sont encore plus importants que d’autres ; nous voulons parler de ceux qui sont publiés par Beijing et dans une moindre mesure par New Delhi. Les chiffres de l’inflation annoncés par Beijing, par exemple, donnent des sueurs froides à nos brillants économistes et à nos moins brillants politiciens. Lorsque ces derniers sont à la hausse, comme c’est le cas depuis plusieurs mois en raison de la politique suicidaire de la Fed, et que Beijing remonte ses taux d'intérêts quatre où cinq fois d’affilé en six mois pour éviter la surchauffe de son économie, l’Occident est au bord de la crise de nerf, sans parler de la panique.
Pourquoi donc ?
Eh bien parce-que tout ce que notre monde pitoyable compte de « décideurs », qu’on les trouve dans les domaines de l’économie, des affaires où de la politique, qu’ils résident à Washington, Paris, Londres où Hong Kong, New Delhi où Beijing, tous ces apprentis-crétins sont la proie d’une superstition qui nous mènera droit en enfer. Un enfer sur terre créé de toute pièce par nous-mêmes, sur mesure naturellement. Inutile de vous rappeler, chers lecteurs, que cela chauffe déjà très sérieusement ici-bas, au propre comme au figuré, ce qui aura au moins l’avantage d’épargner à nombre d’entre nous, dont votre chroniqueur, un voyage devenu inutile à l’heure de notre mort.
Vous voyez de quoi nous voulons parler... Nous rôtirons donc sur place par souci légitime d’économie d’énergie. Seuls les autres voyageront mais comme par bonheur il y a peu d’élus il n’y aura probablement pas trop de dépenses énergétiques pour les transporter dans leur nouveau lieu de résidence.
Mais revenons à cette superstition, chers lecteurs ; celle-ci s’est donc répandue partout sur terre comme le choléra, on l’entend à tous bout de champ, on l'égrène comme les chapelets jadis en espérant que la superstition en question se réalisera. Elle consiste à croire, où à faire semblant pour certains, que le développement de la Chine, et accessoirement de l’Inde, nous sauvera tous de la faillite générale.
Pourquoi et comment cela ?
Cela consiste à croire, où à faire croire, que les deux milliards et demi de Chinois et d’Indiens pourront accéder au même « niveau de survie » que nous autres Européens, Américains du Nord où Japonais ; mais la bonne, l’excellente nouvelle, c’est qu’en 2050 ces populations auront doublés comme par magie ; inutile de vous dire, chers lecteurs, que l’idée de profiter de cinq milliards et demi de nouveaux consommateurs comme nous provoque des éjaculations précoces à nos chers « décideurs », sans parler des banquiers et autres hommes d’affaire. Imaginez-vous le pactole ! Ce qui signifie, chers lecteurs, que nous sommes sauvés et que notre merveilleux « niveau de survie » sera préservé, peut-être même amélioré !
Bon, eh bien il vaut mieux vous prévenir tout de suite, chers lecteurs et frères en consommation, cela n’arrivera pas. En réalité cela n’a même AUCUNE chance d’arriver. JAMAIS nous n’aurons la chance inestimable de partager notre niveau de survie avec cinq milliards et demi de Chinois et d’Indiens. Mettez-vous cela dans la tête : JAMAIS !
C’est ce que nous dit Nair Chandran dans son livre et il n’est franchement pas difficile de comprendre pourquoi. En revanche il est terriblement difficile de revenir à la réalité lorsqu’on est envoûté comme le sont nos oligarchies respectives par la course à la puissance et au « toujours plus ».
Là encore il s’agit de chiffres, toujours des chiffres ; il s’agit de matières premières qui ne sont pas renouvelables ; il s’agit aussi d’épuisement ultra rapide de ces mêmes ressources sans parler des dégâts probablement irréversibles causés au climat, à notre échelle de temps humaine en tout cas, et à l’environnement, destructions que cette fuite suicidaire de l’humanité dans la consommation entraîne avec elle.
Nair Chandran donne quelques exemples que nous connaissons tous mais qu’il est toujours extrêmement important de rappeler encore et toujours.
Ainsi aujourd’hui les Américains du Nord consomment 30 poulets par an et par personne pour un total annuel de neuf milliards par an ! En 2050, lorsque les Chinois auront l’honneur et l’avantage de survivre comme nous, c’est-à-dire lorsque chaque chinois mangera 30 poulets par an, il en faudra 120 milliards pour satisfaire cette orgie de volailles... Hummm, on s’en régale à l’avance...
En ce qui concerne le parc automobile, on compte aujourd’hui dans les pays de l’OCDE 750 véhicules à moteur pour 1000 habitants. En Chine on en compte seulement 150 et en Inde 30. Si l’on compte 750 véhicules à moteur en Chine et en Inde pour 1000 habitants en 2050, ces deux pays auront l’avantage de se partager un total de plus de trois milliards de véhicules à moteur ( Au secours ! ).
On surchauffe, chers lecteurs, on surchauffe !
Peut-être mais quel marchés prodigieux ! Quelles magnifiques perspectives économiques et financières, nous crient nos oligarchies, enthousiastes...
Êtes-vous rassurés, chers lecteurs, sur votre avenir radieux et celui de vos descendants ?
Il y a malgré tout quelques petits problèmes qui viennent gâcher ces réjouissances intempestives. Un parmi d’autres : pour faire rouler toutes ces satanées voitures il faudrait toute la production annuelle de l’OPEP d’aujourd’hui. Problème d’autant plus ennuyeux que la production de pétrole mondiale a commencé à décliner et qu’en 2050 il n’y aura probablement plus de pétrole sur la planète.
Nair Chandran dit aux asiatiques : cessez de rêver ! JAMAIS les asiatiques, qu’ils soient deux milliards et demi où six milliards dans quarante ans, JAMAIS toutes ces populations ne pourront « bénéficier » du niveau de survie actuel des Européens où des USA.
JAMAIS !
A partir de ce constat il s’adresse aux dirigeants asiatiques en les sommant de prendre leurs responsabilités car, affirme t’il avec raison, rien ne pourra être fait pour prévenir la catastrophe qui menace l’humanité si l’Asie ne fait rien ; où plus, si l’Asie ne prend pas la tête du mouvement pour sortir au plus vite de cette spirale de mort dans laquelle nous entraîne le système. Car les Européens et les Américains seuls ne pourront rien faire si l’Asie ne se décide pas à regarder la réalité en face ; encore une fois à cause des chiffres, démographiques ceux-là.
Alors quelle sont ses propositions ?
La plus importante de toutes, la première sans laquelle aucune des autres ne pourra voir le jour, c’est de rompre radicalement avec le modèle de société occidental :
« This require a rejection of the current model of consumption-led economic growth that thrives on under-pricing ecological, environmental and social externalities.
The dogmatic capitalist approach led by the West, with its emphasis on markets, technology and finance, will not deliver (...). With regard to the right to consume, do they allow Western-style freedoms, coupled with the under-pricing of externalities (which is at the heart of the current economic model) to flourish? Or do they demand strong government intervention to ensure a fairer and more sustainable future? If so, this will be a sharp departure from the conventional Western model ».
(Sources : Nair Chandran - The Banker - January 2011)
Rompre avec le modèle de société implique de réaliser qu’il faut placer des limites draconiennes à la consommation des matières premières non renouvelables et agir politiquement afin de les faire respecter. Il s’agit, selon lui, de refonder les politiques des états asiatiques selon trois principes centraux :
- Resources are constrained: economic activity must be subservient to maintaining the vitality of resources;
- Resource use must be equitable for current and future generations: collective welfare must take priority over individual rights;
- Resources must be repriced and productivity efforts should be focused on reducing use of resources and not of people, ie. using less material with more people working.
(Sources : Nair Chandran - The Banker - January 2011)
Certains commentateurs ont qualifié ces propositions de rupture radicale avec l’Occident. Tout dépend de ce que l’on entend par « Occident ».
Si ce terme recouvre le système de déstructuration généralisée exporté par les USA et l’Europe depuis soixante ans et nommé « société de consommation » : alors oui, c’est une rupture radicale avec ce système mais cela ne concerne pas exclusivement les Européens où les Américains puisque le monde entier s’est jeté à corps perdu dans cette course effrénée à la consommation (Asie y compris). En revanche si ce terme ne désigne qu’une entité géographique, Europe et Amérique du Nord : alors non.
Car il serait beaucoup plus pertinent de dire que cela constitue une rupture radicale avec la modernité et le système qu’elle a engendré, celui que nous connaissons aujourd’hui. Et dans cette perspective nous rejoignons en partie ceux qui ont vu dans ces mesures préconisées par Nair Chandran un retour aux politiques de développement traditionnelles, asiatiques en général et chinoises en particulier. En partie seulement car toutes les cultures traditionnelles, y compris en Occident, avaient ce sens des limites inhérentes à notre condition que, précisément, la modernité a rejeté en bloc. C’est pour cette raison que la société dans laquelle nous survivons aujourd’hui, fruit de la modernité et de ses superstitions dogmatiques mégalomanes dont nous subissons toujours l’emprise, peut être considérées comme une monstruosité historique ; c’est-à-dire comme une chose unique, extra-ordinaire, inhabituelle etc..., une déviation qui nous a mené dans une impasse de laquelle nous aurons le plus grand mal à nous extraire. Par conséquent, et toujours dans cette perspective, ces propositions de Nair Chandran sont un retour à une conception du monde traditionnelle qui permettrait de donner un cadre, et par conséquent des limites, au développement de chaque pays, de chaque civilisation et de l’humanité en général. Cela aurait également pour effet inévitable de renverser radicalement la notion de « développement » elle-même, c’est-à-dire de lui arracher à la fois son contenu matérialiste et son côté progressiste. Du même coup l’homme ne serait plus seulement une oie à gaver, opération suffisante pour le satisfaire pleinement, mais un être ayant d’autres aspirations que purement matérielles.
Quelle révolution des consciences !
Cela dit, ce que propose Nair Chandran n’est pas nouveau, loin s’en faut, pour les Européens où les Américains qui s'intéressent de près à cette question. Ceux qui sont familiers avec les travaux du brillant économiste Nicholas Georgescu-Roegen et de son école de pensée, qui a essaimé en Amérique du Nord et en Europe principalement, influençant profondément toute la pensée philosophique écologique, ceux-là le savent bien. Il y a bien d’autres penseurs mais c’est à notre avis le plus important et le plus profond, de loin. Les propositions de Nair Chandran, aussi pertinentes soient-elles, ne nous semblent pas encore assez suffisantes pour résoudre les problèmes auxquels nous faisons face, notamment en raison de ce qui nous parait essentiel dans toute cette question mais qui constitue toujours et partout LE tabou le plus intouchable : la surpopulation, dont pourtant tous les problèmes évoqués plus haut dérivent logiquement. Il nous semble aussi que les pensées écologiques, européennes particulièrement, vont encore plus loin dans la remise en cause du système (Nous ne parlerons pas ici de la « deep ecology » made in US qui ne relève pas de la même catégorie à notre avis). Nous pensons par exemple à l’école (notamment française) qui s’est construite autour du thème de la décroissance. Car, contrairement à ce que l’on ne nous dit pas, la pensée européenne sur cette question du remplacement du système actuel par un autre type de société, prenant en compte de manière centrale l’épuisement des ressources minérales et énergétiques, est extrêmement riches et fécondes. Malheureusement elle est tenue sous le boisseau par les tenants du système.
Ceci dit les trois propositions citées plus haut, celles autour desquelles devraient être axées toute politique d’Etat, selon Nair Chandran, nous paraissent tout à fait pertinentes et souhaitables, y compris chez nous bien sûr. Nous pensons simplement que si ces dernières étaient engagées un jour elles entraîneront des remises en cause beaucoup plus importantes encore, notamment un changement de régime politique en raison des faiblesses structurelles de nos "démocraties", occidentales notamment, qui les empêcheraient d’engager des politiques aussi impopulaires sur une très longue durée. Nair Chandran préconise des Etats autoritaires, ayant certainement à l’esprit le modèle de Singapour dont il est originaire ; petit rappel : autoritaire ne veut pas forcément dire totalitaire ni dictatorial.
Nous croyons en revanche que, contrairement à ce que dit Nair Chandran, l’Europe et les USA auront un rôle fondamental à jouer dans ce bouleversement, s’il vient. Car si l’Europe et les USA sont déjà en train de barboter joyeusement dans la mélasse du consumérisme à outrance, le mécontentement grandit partout, les doutes augmentent et la remise en question du système devient une possibilité diffuse dans les esprits, même si pour le moment personne ne sait encore très bien par quoi remplacer tout çà et encore moins comment cela pourrait se produire. Pourtant nous ne serions même pas surpris outre mesure que le signal déclenchant le fameux changement ne survienne pas soudainement des USA eux-mêmes, à l’ombre de cette crise qui s’aggrave et s’approfondit en déstabilisant le régime en place. Certes cela relève de la géomancie dans laquelle nous ne sommes pas particulièrement versés mais c’est une possibilité qui ne saurait être écartée légèrement, aussi surprenant que cela puisse sembler à première vue. En revanche la seule chose que nous puissions néanmoins affirmer c’est que nous sommes, nous autres européens où américains, suffisamment dégrisés au fond de nous pour être un peu plus ouverts au changement, même si l’inconnu nous fait peur ; en tout cas plus ouverts a priori que ceux pour qui cette folie est encore toute neuve, voire encore un rêve rempli d’une ferveur enthousiaste.
Nous verrons.
En résumé, Nair Chandran propose un programme politique d’envergure à l’Asie, un chemin difficile et dangereux mais dont, en vérité, l’humanité ne peut pas se permettre de faire l’économie sous peine de voir des catastrophes s’abattre sur elle qui pourraient bien la faire disparaître corps et bien. Ce que propose Chandran pourrait également s’appliquer fort bien à l’Europe et aux USA ; cela constituerait même un véritable programme politique reposant sur une vision du monde comme nous en avons parlé lors de notre dernier post à propos du soit-disant programme du PS français (cela dit nous ne miserions pas non plus une bille sur le « programme » de l’UMP à venir, ni d’aucun autre parti de notre connaissance à vrai dire).
Comparez, chers lecteurs, et pesez ces trois phrases de Chandran à l’aune des trente propositions du PS...Vous vous apercevrez que trente ne valent pas trois et que ce n’est pas celui qu’on croit qui pèse le plus lourd ; de loin ! Et vous comprendrez, chers lecteurs, pourquoi les « programmes politiques » qu’on nous propose en Occident sont indigents et ne répondent en rien ni de près ni de loin aux questions fondamentales de notre époque. Relisez encore les trois phrases de Chandran et gardez les bien en mémoire lorsque vous écouterez nos pathétiques politiciens annoner leurs propositions.
Mais la question la plus essentielle, chers lecteurs, est la suivante :
Si par miracle nous avions soudain un homme qui apparaissait dans le ciel politique français en se présentant aux élections de 2012 avec pour programme ces trois points :
Resources are constrained:
1) economic activity must be subservient to maintaining the vitality of resources;
Resource use must be equitable for current and future generations:
2) collective welfare must take priority over individual rights;
Resources must be repriced and productivity efforts should be focused on :
3) reducing use of resources and not of people, ie. using less material with more people working.
Sauteriez-vous le pas ?
Voteriez-vous pour lui ?
Tout le reste n'est que littérature.
Pendant ce temps-là tout le monde est content à Cochon sur Terre, le meilleur des mondes.