dimanche 7 juillet 2013

Moyen-Orient : d'une pierre deux coups où la vengeance du roi.

Nous laisserons de côté la chronologie des événements qui ont mené à l’éviction de Morsi de la Présidence de l’Egypte. D’autres l’ont déjà fait et ce n’est pas réellement l’essentiel.

L’Egypte a d’ores et déjà un nouveau Président interim en la personne de Adly Mansour, ancien président de la Cour Constitutionnelle, installé par l’armée en attendant des élections présidentielles et parlementaires ainsi qu’une révision de la Constitution par tous les partis politiques.

Ce qui surprend c’est la rapidité et l’impression de préparation et de coordination de ce « coup d’état », car c’en est un même si aucun Représentants du Bien sur Terre (RBT, voir lexique) n’a prononcé ce terme tabou ; personne à l’exception de Erdogan, ce qui en soit en dit long sur les tenants et aboutissants de toute l’histoire. Mais nous y reviendrons.

Pour le moment c’est la joie et les foules en liesse acclament les militaires, les mêmes qui, il y a un an à peine, conspuaient les militaires, exactement les mêmes que ceux d’aujourd’hui bien évidemment. Ces militaires sont donc désormais les libérateurs de la nation, pour avoir organisé un coup d’état contre un Président légitimement élu il y a un an.

C’est compliqué la politique, n’est-ce pas, chers lecteurs !

Pour le moment, la guerre civile que nous pouvions craindre ne s’est pas déclarée, ce qui ne veut pas dire que cela n’arrivera pas. Pour l’instant il n’y a pas de clashes majeurs entre les soutiens de l’ex-Président Morsi et l’armée où la police qui sont, dans leur grande majorité, contre les FM. 
300 membres des FM parmi les plus proéminents furent arrêtés, de même que les leaders du « Justice and Freedom Party » (branche politique des FM). Dans le même temps, toutes les chaines religieuses furent suspendues, y compris Al-Nas et Al-Hafez   d’obédience salafiste, ainsi que tous les médias proches des FM, de même que la chaine qatarie Al Jazeera, ce qui, là encore, nous parait très significatif.

Reprenons les faits.

La situation en Egypte se troublait à vue d’oeil depuis déjà quelques mois avant que cela n’explosât au grand jour en une révolte ouverte contre Morsi et les FM. 

  • L’armée égyptienne s’inquiétait de plus en plus des penchants islamistes de Morsi qui lui semblaient se radicaliser de plus en plus, encouragé par son sponsor qatari, qui a octoyé au gouvernement égyptien de Morsi entre USD 8 et 13 milliards depuis un an. Ce genre de « don » se repaye d’une manière où d’une autre. Notamment par l’islamisation de la société égyptienne, le soutien de la politique qatarie en Syrie, d’où la récente rupture des relations diplomatiques avec ce dernier pays, où encore le dernier discours de Morsi au cours duquel celui-ci a quasiment appelé au jihad en Syrie et encouragé les Egyptiens à partir pour s’y rendre au plus vite afin d’y renverser le régime.
  • Parallèlement les agissements du Qatar inquiétaient de plus en plus les USA et ses caniches franco-anglais. Le financement qatari à tout va des FM en Syrie (comme au Mali les islamistes), entre autre, posait de plus en plus de problèmes aux Occidentaux qui voyaient bien que ces flots d’armes aboutissaient entre les mains du Front Al Nusra et d’Al Quaéda. Le double jeu du Qatar les lassait et les inquiétait sérieusement.
  • Mais les plus enragés contre le Qatar restaient les Saoudiens et leurs alliés émiratis, koweitis et jordaniens que le sponsorship qatari des FM empêchait de dormir. En effet, ces derniers sont perçus par les monarchies du Golfe comme des ennemis absolus qui tentent de soudoyer et de renverser leurs propres régimes ; sans parler des ambitions qataries sur certains territoires saoudiens ; le tout sur fond de rivalité exacerbée du Qatar et de l’Arabie Saoudite pour la suprématie dans la région.
  • C’est dans ces conditions qu’une délégation arabe (saoudiens, koweitiens, émiratis et jordaniens) atterrit début Mai à Washington pour éxiger la tête de l’émir du Qatar. Où peut-être simplement pour mettre Washington devant le fait accompli ?

La forte pression saoudienne couplées aux inquiétudes des USA se conjuguèrent pour décider du sort de l’émir devenu hors de contrôle. Mais les événements se chevauchèrent de manière inattendue entre l’abdication imposée de l’émir du Qatar au profit de son fils et la chute de Morsi, organisée par l’opposition séculaire-libérale égyptienne et l’armée, sans parler des minorités, notamment coptes, le tout avec l’appui sonnant et trébuchant déterminé et ravi des saoudiens, des émiratis et des koweitiens. 


Les USA participèrent-ils à ce renversement de leur protégé, le FM Morsi ? 
Non. 

Furent-ils tenus au courant ? 
Il semble plutôt qu’ils coururent après les événements et les renseignements et qu’ils furent tenus informés aussi peu que possible, généralement après coup. 

Comment est-ce possible ?
C’est précisément là que réside, selon nous, le fait le plus spectaculaire des événements qui se sont déroulés en Egypte et au Qatar depuis quelques semaines. Tout s’est fait selon un agenda saoudien sans que les USA n’aient rien eu à dire, sauf dans le cas qatari, éventuellement. Et encore, nous ne sommes pas entièrement certain de qui a fait quoi dans cette affaire. Nous soupçonnons les Saoudiens d’y avoir eu une part beaucoup plus importante que ce qui fut dit. 
En ce qui concerne les militaires égyptiens, si ces derniers ont pu agir sans se préoccuper des USA, c’est parce-qu’ils s’étaient assurés du soutien des monarchies du Golfe, notamment le payement des USD 1.3 milliards de « subventions » US annuelles à l’armée au cas où les USA retireraient ce soutien, prenant prétexte de la loi Leahy qui interdit de donner de l’argent à des régimes issus d’un « coup d’état ». D’un autre côté il est très probable également que les pays du Golfe ont assuré les militaires qu’ils prendraient le relais du Qatar en assurant le financement de l’économie égyptienne (entre USD 8 et 13 milliards en 2012 pour Morsi payé par le Qatar).
Le feront-ils ? Il y ont le plus grand intérêt car si l’Egypte sombre dans la guerre civile pour cause de disette, il est probable que les troubles égyptiens se propageront chez eux à grande vitesse. La survie de leurs régimes politiques sera donc sérieusement remise en cause.

Mais nous ne pensons pas que les USA prendront le risque de ne pas payer les militaires égyptiens. Les circonvolutions sémantiques employées par les RBT (voir lexique), et Obama en premier lieu, pour éviter à tout prix d’employer le terme « coup d’état » afin de qualifier les « événements » égyptiens laissent penser que tout ira pour le mieux. Les USA pensent qu’ils n’ont aucun intérêt à rompre leurs relations avec l’Egypte, s’imaginant encore qu’ils tiennent ce pays sous leur coupe. Ils s’illusionnent et ils le découvriront rapidement lorsque les militaires égyptiens commenceront leur répression contre leurs alliés les FM (il y en a déjà plus de 300 en prison), comme l’avaient déjà fait en leur temps Nasser en 1952 et Sadate après lui en 1970.  Il est fort probable également que les militaires égyptiens ont également préparé des opérations dans le Sinaï pour l’éradiquer des islamistes qui y sont réfugiés et qui y ont prospéré sans contrainte sous le gouvernement des FM, armés jusqu’aux dents grâce aux armes venues clandestinement de Libye avec la bénédiction implicite des FM. Quand à Israël, il donnera bien évidemment son aval à l’armée égyptienne pour ses opérations de nettoyage du Sinaï (comme le veut les accords de camp David) puisque cela lui assurera une sécurité beaucoup plus grande sur sa frontière Sud.

La vengeance du Roi.

Dés que le nouveau président fut connu les monarchies du Golfe se précipitèrent pour le féliciter et l’assurer de leur soutien. La joie du nouvel émir du Qatar se fit un peu attendre... Et pour cause.

Car ce coup d’état en Egypte, précédé par celui qui eut lieu au Qatar, marque l’arrêt, et l’échec probablement définitif, de la politique de soutien à tout va du Qatar aux FM et à toutes sortes de mouvements islamistes du monde entier, y compris en Syrie.  En fait il est probable qu’il marque la fin de la politique indépendante du Qatar. Le nouvel émir est désormais entre des mains sûres et on ne le laissera plus faire une politique qui irait contre les intérêts bien compris des USA et de nos alliés du Golfe, au premier rang desquels se trouve l’Arabie Saoudite. Cela signifie que le Qatar est rentré dans le rang et s’est rangé sous la bannière du Conseil de coopération du Golfe. Dans les faits, il a reconnu le leadership des Saoudiens sur la région.

En témoigne, selon nous, l’élection hier d’un président pour la Coalition Nationale Syrienne en la personne de Ahmad Assi Jarba, représentants les intérêts de l’Arabie Saoudite. Souvenons-nous de la guerre de tranchée qui opposaient les Saoudiens et les Qataris lors des dernières tentatives.

L’Arabie Saoudite a donc éliminé son challenger et a désormais repris le leadership dans la région. Celui-ci se traduit par une affirmation d’indépendance vis à vis de Washington de plus en plus assurée au fur et à mesure que la faiblesse de la position des USA dans la région se révèle au grand jour. Les Saoudiens et leurs alliés sont maintenant pleinement conscients qu’ils ne peuvent plus compter sur les USA pour les protéger et qu’ils doivent se défendre seuls car ils savent que personne ne leur viendra en aide en cas de problème, et encore moins les USA. Voir, on les abandonnera purement et simplement, comme Obama le fit avec Moubarak, ce qui ne lui fut jamais pardonné par le Roi d’Arabie Saoudite. C’est ce qui leur servit d’ailleurs de prise de conscience.
Désormais, comme nous l’avons déjà dit plusieurs fois, les Saoudiens, comme Israël d’ailleurs, se servent des USA pour poursuivre leurs propres intérêts sans se préoccuper de ceux des USA. L’affaire égyptienne en est le meilleur exemple. 

En faisant rentrer dans le rang le Qatar et en participant activement à l’expulsion de Morsi, le tout en un mois, les Saoudiens ont réaffirmés leur prééminence dans la région, nous l’avons déjà dit. Car en soutenant les militaires égyptiens et en les finançant à bout de bras, ils ont renversé la situation et ont réintégré l’Egypte dans leur sphère d’influence, comme c’était le cas sous Moubarak. La différence est qu’aujourd’hui l’influence des Saoudiens est beaucoup plus importante que celle des USA, totalement discrédités dans toute la région, non seulement aux yeux de la population mais aussi des sphères dirigeantes. 
D’autre part, l’affaiblissement catastrophique de la cause des FM à travers la chute du Qatar et de l’Egypte ne laisse plus de choix aux Occidentaux, et particulièrement aux USA. S’ils veulent conserver une vague influence dans la région, ils ne pourront plus rien faire sans passer par les Saoudiens, puisque l’alternative qu’ils avaient inventé, le Qatar et les FM, n’existe plus. Cela donne donc un immense levier aux Saoudiens et à leurs alliés sur les Occidentaux qui n’ont plus de choix à l’exception des Shiite, c’est à dire l’axe Iran-Irak-Syrie-Hezbollah, pour servir à contre balancer l’influence saoudienne dans la région. Si nos gouvernants bien aimés avaient un demi cervelas, c’est une option qu’il faudrait envisager sérieusement au lieu de sombrer dans la politique saoudienne qui consiste à exacerber les braises de la division sunnite / shiite avec l’espoir que cela détournera les islamistes de l’idée de mener le jihad contre les pays du Golfe et leurs régimes.

Pour les autres...

Pour Israël, à court terme ces événements sont très bénéfiques pour deux raisons : 
  • les militaires égyptiens vont s’occuper à nouveau de réguler le Sinaï, ce qui fera baisser la tension sur sa frontière Sud ;
  • Israël ne craint rien de la part des militaires Egyptiens qui ont toujours affirmé qu’ils respecteraient le traité de paix de Camp David, ce qui ne fût jamais vraiment le cas avec les FM ;
  • le Hamas est très sérieusement affaibli et probablement hors d’état de nuire pour longtemps étant donné l’erreur magistrale que ses leaders ont commises en quittant Damas pour Doha. C’est à dire en reniant le soutien continuel reçu par Damas depuis des décennies pour le soutien aléatoire de Doha. Désormais il n’y aura plus de soutien du tout.

Erdogan, lui, se retrouve désormais complètement isolé sur la scène du Moyen-Orient, et particulièrement dans le dossier syrien puisqu’il reste le seul à soutenir, officiellement, les FM et leurs alliés djihadistes. Gageons que ce soutien ne durera pas éternellement.
Ce qui s’est passé en Egypte sera aussi un facteur d’affaiblissement de sa position en Turquie, même s’il reste peu probable qu’il soit renversé par un coup d’état des militaires. En revanche les événements égyptiens pourrait donner des idées aux Turcs opposés à Erdogan bien qu’un coup d’état d’origine militaire soit peu probable.
Ce qui sera intéressant à observer dans les mois à venir sera la manière dont Erdogan réagira à son isolement politique au MO et au lâchage des FM, de Morsi et du Qatar par les Occidentaux ? Le rapprochement avec la Russie et l’OSCE s'accélérera t’il au détriment de ses liens avec l’OTAN et l’Europe ?

Le grand gagnant de tout cela est incontestablement le Président Syrien puisque l’opposition combattante a vu disparaitre un de ces sponsors les plus sérieux. Les islamistes d’Al Qaeda et d’Al Nusra, qui sont les seuls combattants vraiment sérieux au sein de la dite opposition, ne recevront plus les armes qui leur étaient livrées auparavant, où en tout cas plus dans les mêmes proportions. Du coup, cela aidera sérieusement l’armée syrienne dans sa tâche. De plus, les militaires au pouvoir en Egypte ne veulent pas d’une guerre où d’un intervention quelconque en Syrie, sans compter que le régime syrien ne leur est pas vraiment antipathique.
Pour le Président syrien, la chute des FM au Qatar et en Egypte est donc une excellente nouvelle puisque ses ennemis les plus dangereux ont été éliminés d’un seul coup. Seule, la Turquie ne fera rien. Quant aux Occidentaux ils ne sont pas en état non plus e faire quoi que ce soit. Et l’opposition syrienne, désormais aux mains d’un feal des saoudiens, on a vu de quoi elle était capable : politiquement elle n’existe pas et sur le terrain personne ne la reconnait.

Conclusion.

Pour les USA, c’est l’échec complet de la doctrine des néo-cons qu’Obama avait poursuivie consciencieusement et qui consistait à promouvoir dans tout le MO un parti islamique « modéré », « démocratique », mais par dessus tout acquis à une économie néo-libérale. Malheureusement, c’est précisément la poursuite de cette politique économique néo-libérale par le régime de Moubarak qui a plongé l’Egypte dans la situation dans laquelle elle se trouve aujourd’hui, tout comme les autres pays qui l’ont adopté. Cela a amené un appauvrissement général des populations qui, à son tour, les a précipité dans les bras des islamistes. 
Il est donc bien possible que les USA abandonne cette doctrine héritée de Busch et qui n’a provoqué que des catastrophes. La promotion de régimes « démocratiques » est tellement discréditée qu’elle n’a plus aucune légitimité, si tant est qu’elle en eut jamais, les deux poids deux mesures qu’elle obligeait les Occidentaux à pratiquer n’étant plus tenable aujourd’hui.

D’autre part ce sont désormais les Saoudiens qui ont repris la main et qui sont devenus la puissance dont les Occidentaux ne pourront pas se passer s’ils veulent encore avoir un semblant d’influence dans la région. Il n’y a plus d’autres alternatives à part l’Iran. 
Inutile de préciser que les objectifs de la doctrine des néo-cons de promotion de la démocratie n’est pas vraiment  très en vogue chez nos chers « alliés », ce que les démagogues à la petite semaine qui nous gouvernent devront bien finir par prendre en compte pour ne pas perdre le peu d’influence qui nous reste dans cette région du monde. Même schéma pour les autres d’ailleurs.
Le roi d’Arabie Saoudite a donc fait d’une pierre deux coups : il a pris sa revanche à la fois sur le Qatar, en l’éliminant du grand jeu régional, et sur les USA en contribuant à éliminer le régime honni de Morsi soutenu par les USA, traitres de Moubarak, allié des Saoudiens. Le tout au profit de l’Arabie Saoudite. 

Mais pour le moment tout le monde est content à Cochon sur Terre, le meilleur des mondes.

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