Cette fois il semblerait que ce soit la bonne; nous voulons parler de l’annonce de l’abandon par les USA de leur projet de déploiement d’un système antimissile (BMDE) en Pologne et en Tchéquie.
Bien entendu cela faisait déjà un certain temps que le bruit courait à ce propos et cela ne peut pas constituer une surprise. Mais il est vrai qu’entre l’annonce officielle et les bruits qui courent il existe toujours des failles où se glissent les doutes et les faux espoirs. Désormais c’est terminé, plus de doutes où de fantasmes; il n’y aura pas de BMDE en Europe de l’Est, que ce soit en Pologne où en Tchéquie.
Quelles pourraient en être les conséquences?
Bien entendu, et comme tout le monde le comprend parfaitement, l’abandon du BMDE est UNIQUEMENT dû à de nouveaux renseignements sur l’état d’avancement des missiles iraniens, à des causes technologiques et financières; il n’y a aucune autre raison, qu’on se le dise. C’est pourquoi un nouveau système d’interception de missiles devrait être mis en place au cours des prochaines années, un système terrestre mobile où embarqué sur des frégates AEGIS, un système qui ne nécessiterait plus d’être déployé en Pologne où en Tchéquie. Donc un système à la pointe du progrès comme on aime et comme on le mérite, un système qui plus est qui coûtera beaucoup... eh bien non, pas cette fois... beaucoup MOINS cher ! Eh oui, c’est bien la première fois dans l’histoire que cela se produit mais c’est ainsi: les brillants cerveaux du lobby militaro-industriel US vont nous fabriquer un système plus sophistiqué et moins cher que celui proposé antérieurement.
Vous n’y croyez pas ? Si cela peut vous rassurer moi non plus.
Peu importe, le fait essentiel est que le BMDE, naguère indispensable à la sécurité de l’Europe, et des USA bien sûr, eh bien ce jouet est désormais tout à fait inutile. Et non seulement il ne sert plus à rien mais il y a une bonne raison à cela; oui, une très bonne raison, la meilleure même qu’on puisse... imaginer. Non, nous ne sommes pas devenu des adultes entre temps. C’est beaucoup plus simple que cela: figurez-vous que nos services les plus secrets viennent de se rendre compte que les Iraniens, car c’est bien d’eux qu’il s’agit, après avoir mis le paquet pour développer un missile de longue portée, nucléaire évidemment, eh bien figurez-vous qu’ils ont changé d’avis; ils ont soudain décidé de privilégier le développement de missiles de courtes où moyenne portée; des missiles donc qui ne pourraient pas atteindre l’Europe, et encore moins les USA évidemment. Du coup nous n’avons plus besoin du BMDE alors que l’on nous avait seriné pendant des mois que nous ne pouvions pas nous en passer une seconde de plus; au nom de notre sacro-sainte... SECURITE bien sûr !
The White House said that the intelligence the US had on Iran indicated that "the threat from Iran's short- and medium-range ballistic missiles is developing more rapidly than previously projected, while the threat of potential Iranian intercontinental ballistic missile capabilities has been slower to develop than previously estimated." (Sources: The Guardian).
C’est une bonne nouvelle, non ? Enfin pour les russes j’entends.
Qui çà ?
Ben les russes quoi...
Sachez bien qu’ils n’ont strictement rien à voir avec tout çà, mais alors rien du tout ! D’ailleurs on s’en fout des russes, c’est tout simple. Nous n’en n’avons pas besoin.
Ah ?
Robert Gates, the defence secretary, «denied that the move amounted to appeasement of Russia and said that the decision was taken on the grounds of new intelligence, cost and technical feasibility.» (Sources: The Guardian).
C’est étrange car il parait qu’en ce moment même les américains et les... russes sont en train de négocier une réduction de leurs armements nucléaires à Genève. Et il parait même que les russes se montraient intransigeants sur la suppression du BMDE pour aboutir à un accord avant la fin de l’année...
C’est étrange car en Septembre dernier les mêmes russes, décidément ils sont partout, ont autorisé les américains à faire transiter sur leur territoire (4500 vols par an) le ravitaillement, le matériel et les renforts dont ils auraient besoin pour leurs troupes en Aghanistan, permettant ainsi l’établissement d’une nouvelle voie d’approvisionnement vitale car non susceptible d’être coupée par les attaques des talibans, comme c’est actuellement le cas pour la route passant par le Pakistan.
C’est étrange car il parait que les américains comptent beaucoup sur les russes pour les aider dans leurs éventuelles négociations avec les iraniens à propos du développement du programme nucléaire de ces derniers; il parait également que les américains compteraient sur les russes pour les soutenir au Conseil de Sécurité s’il fallait renforcer les sanctions contre les iraniens en cas d’échec des pourparlers.
C’est étrange car il parait que les américains auraient bien besoin du soutien des russes pour résoudre le problème de la Corée du Nord...
Ce sont de mauvaises langues certainement qui colportent ces ragots.
The news on Thursday, however, reinforced a sense that the region — once at the center of American foreign policy in the days of the Solidarity movement and the broader fight for freedom in the former Communist bloc — has drifted out of Washington’s focus compared with problems in Afghanistan and Pakistan, Iran and North Korea. And all are problems the United States needs help from Russia, with its strategic location and Security Council veto, to fix. (Sources: NY Times).
Ce qui est intéressant dans toute cette histoire c’est d’observer les réactions, assez discrètes d’ailleurs, des Européens à l’annonce de la nouvelle. Réactions soulagées, notamment de la part des Allemands, et satisfaites, notamment de la part du Secrétaire général de l’OTAN Rasmussen. En réalité cette histoire de BMDE avait profondément énervé les européens et les membres de l’OTAN. Nous faisons la distinction car pour les uns, les Allemands où les Français par exemple, le BMDE risquait de compromettre leurs efforts pour nouer des relations privilégiées avec la Russie, ce que les américains ne peuvent voir que d’un oeil torve. D’autre part l’OTAN qui avait très mal pris cette initiative de défense qui faisait fi de son existence et de son utilité...
Il faut noter également que si les gouvernements polonais et tchèques ont réagi de manière négative il n’en est pas de même de leurs populations qui n’ont jamais été favorables à ces implantations de missiles et de radar. Aujourd’hui les gouvernements pleurent et les populations rient.
Au-delà de ces considérations le sentiment général en Europe est que les USA semblent se désintéresser de l’Europe au profit d’autres théâtres d’opération, plus chauds dans tous les sens du terme. Il est probable qu’un jour aussi il leur faudra se résoudre à se poser la question de savoir à quoi peut bien encore servir d’entretenir des troupes et des bases qui coûtent cher dans une région du monde où il y a très peu de chance qu’elles servent un jour prochain. Car lorsque l’administration américaine aura bien compris que la Russie n’est plus une menace, n’en déplaise aux polonais, la présence de ses troupes sur le territoire européen deviendra immédiatement un fardeau financier insoutenable. Et ce d’autant plus avec les problèmes budgétaires inextricables qui s’annoncent.
On peut déjà en voir quelques effets avec l’annonce la semaine dernière de la possible suppression d’une partie importante des chasseurs basés à Okinawa (F15 et F16) en raison de leurs vétusté, raison officielle, sans être remplacés avant plusieurs années... si tant est qu’ils le soient un jour. En lieu et place il faudra se contenter des hypothétiques F35 de la base de Guam, située beaucoup plus à l’Est, vers les USA, F35 qui n’existent pas et dont le futur relève pour le moment du virtualisme le plus complet. Donc il n’est pas difficile d’imaginer un sort similaire pour les troupes basées en Europe puisque la raison officielle de leur présence a disparu depuis dix huit ans. A l’appui de cela retenons que l’USAF envisage déjà de réduire le nombre de ses avions aux Royaume-Uni.
En vérité la situation parait évoluer de plus en plus rapidement vers un retrait des forces US de leurs bases à travers le monde vers les USA, principalement en raison de la crise budgétaire dans laquelle ils sont englués et de laquelle ils ne pourraient sortir qu’en pratiquant des coupes budgétaire draconiennes dont le budget du Pentagone serait le premier à faire les frais.
Pour l’Europe cela signifie à terme, probablement plus rapproché qu’on ne le pense, comme pour le Japon et la Corée du Sud, qu’elle ne pourra plus compter que sur elle-même pour se défendre. Cela signifierait que la France, grâce à sa capacité industrielle, la qualité de ses armements et la compétence de son armée, la France donc pourrait jouer un rôle pivot dans la nouvelle architecture de défense européenne, en espérant que l’Europe soit capable de s’entendre pour se faire. Il y a néanmoins quelques raisons, assez ténues pour le moment il est vrai mais belle et bien valables tout de même, pour espérer qu’un noyau de défense européen se forme autour de la France, du Royaume-Uni et de l’Allemagne. La situation budgétaire plus que critique du Royaume-Uni laisse entrevoir à ce propos quelques lueurs d’espoir d’une accélération du processus bien qu’il soit encore un peu tôt pour en tirer quelques conclusions que ce soit. C’est en tout cas déjà une possibilité à l’état d’ébauche dans certains cervelas de responsables britanniques. Mais cela impliquerait une rupture des mentalités à propos de l’alliance soit disant privilégiée avec les USA, privilège qui apparaît de plus en plus douteux aux yeux de certains responsables d’Outre-Manche. A ce propos le sommet de Saint Malo en Décembre 1998 entre la France et le Royaume-Uni avait ouvert de séduisantes perspectives qui pourraient être réactualisées dans une optique de coopération européenne renforcée.
En ce qui concerne les pays de l’Est, et particulièrement la Tchéquie et la Pologne, il est certain que cette abandon du BMDE a fait l’effet d’une douche glacée. Nous pouvons d’ores et déjà supposer que cela modifiera sensiblement leur position tant à l’égard de la fiabilité d’un partenariat avec les USA qu’à l’égard d’une plus grande intégration dans une défense européenne indépendante qui rassurerait peut-être ces pays par rapport aux dangers qu’ils perçoivent en provenance de Russie. A notre avis cette perception n’a pas lieu d’être au vu de la situation actuelle mais il est difficile de leur en vouloir après avoir subi 50 ans d’occupation soviétique. De plus la date choisie pour l’annonce de l’abandon du BMDE ne pouvait être mieux choisie: le 17 Septembre 1939 fût le début de l’invasion de l’Est de la Pologne par les soviétiques, conformément à l’accord germano-soviétique du 23 Août 1939. Il faut avouer que c’était particulièrement délicat bien qu’on ne puisse pas dire que l’intention y était car certainement personne parmi les têtes non pensantes de Washington n’a dû faire le rapprochement.
Et puis: Who care ?
En conclusion, une fois encore, la crise est la grande maîtresse des événements et il semble que l’on soit obligé de naviguer à vue et au mieux en fonction de ce qui arrive. Cette histoire de BMDE en est encore une illustration. Contraints, forcés, les USA abandonnent ce projet car ils se voient obligés d’obtenir le soutien de la Russie sur d’autres théâtres d’opération; à court où, au mieux, à moyen terme, ces choix pourraient peut-être se révéler sensés, mais il semblerait malgré tout que cela ne soit à nouveau que le produit d’une fuite en avant qui n’aboutira qu’à accélérer la chute de tout l’édifice.
Désormais échaudés, il est bien possible que les pays d’Europe de l’Est ne voient plus leur salut que dans une Europe plus forte; il est possible également que le Royaume-Uni, au prise avec une crise budgétaire sans précédent et à un certain malaise par rapport à son «alliance privilégiée», ne se tourne vers l’Europe pour sa défense, sans parler des risques de banqueroute qui l’obligerait à demander l’aide du FMI et de la BCE, ce qui pourrait le forcer à abandonner la livre pour l’Euro; il est possible également que, face à des dettes gouvernementales et à des déficits budgétaires insupportables, et au vu de ce qui précède, la France comme l’Allemagne ne se décident à accélérer la réalisation d’une défense commune avec l’Angleterre, ce qui pourrait avoir l’avantage de leur faire réaliser des économies (en théorie en tout cas). D’autre part nous pouvons également penser que l’Europe et la Russie se rapprocheront et que le projet du Président Medvedev, sa «nouvelle architecture de sécurité Européenne», ne fasse surface à nouveau.
Tout ce que l’on peut dire aujourd’hui est qu’il parait de plus en plus probable que les Européens vont devoir faire face rapidement, et tout seuls, à la charge de leur défense. Qu’elle se réalise de manière commune dépendra d’eux mais les événements leur faciliteront la tâche en les forçant à agir; s’ils le veulent, s’ils se montrent perspicaces, s’ils savent surmonter leurs rancoeurs et leurs petitesses respectives, alors ils pourront tirer parti des remous de l’histoire pour en sortir renforcés.
Mais cela fait beaucoup de si...
D’un autre côté qui aurait pu dire en 1945 ce que l’Europe deviendrait quelques décennies plus tard ?