jeudi 5 novembre 2009

Non, le mur de Berlin n'est pas tombé!

Il parait que le mur de Berlin est tombé il y a vingt ans... Et l’on en parle beaucoup à Cochon sur Terre, sur tous les tons, c’est à dire avec des airs de triomphes rentrés, des mines de victoires épanouies saupoudrées de sous-entendus lourdement esquissés: ce sont les meilleurs qui ont gagné, et nous sommes les meilleurs bien entendu, les plus vertueux, les plus beaux, les plus admirables, le sel de la terre tandis que notre monde est l’achèvement paradisiaque de notre volonté progressiste surhumaine déchaînée.

Le mur de Berlin c’était en Novembre 1989. C’était il y a déjà si longtemps que de jeunes adultes ne l‘ont pas connu; et pourtant pour ceux qui s’en souviennent cela ne parait pas si éloigné. D’ailleurs de nombreux journaux demandent à leurs lecteurs ce dont ils se rappellent comme si les souvenirs des journaux télévisés du soir et des inepties très régulièrement rapportées par les journaleux avaient le moindre intérêt. Car ce dont on peut se souvenir de ce fait historique ne peut-être que le produit de ce qui nous était présenté à l’époque de l'événement lui-même, avec les commentaires hautement pertinents qui les accompagnaient... A l’image de ce qui se passa en Roumanie...


Que furent les commentaires de l’époque, que sont les explications d’aujourd’hui ? Eh bien en gros ce sont pratiquement toujours les mêmes, en tout cas dans les cercles officiels, c’est à dire dans l’establishment occidental incluant les médias et la secte pullulante des «spécialistes» en tout genre.

En bref nous avons gagné la guerre froide car notre système était le meilleur. Et puisque l'effondrement du système soviétique en avait apporté la plus belle preuve il ne nous restait plus qu’à répandre les bienfaits de notre propre système sur la planète tout entière afin de transformer le monde, et l’humanité par la même occasion puisque cette dernière est transformable à volonté, comme peut l’être toute marchandise digne de ce nom. Bardés de cette certitude nouvelle nous lançâmes la «globalisation», c’est à dire la marchandisation généralisée de tout ce qui bougeait comme de tout ce qui ne bougeait pas.


Il est certain que l'effondrement du système communiste, pourri jusqu’à la moëlle, laissa un vide mortel que l’Occident s’efforça de combler du mieux qu’il put, et le plus rapidement possible. En réalité ce furent surtout les USA qui furent les plus prompts à réagir, non seulement parce-qu’ils passaient pour la seule superpuissance qui restait mais surtout peut-être parce qu’ils étaient les plus menacés par ce vacuum même. Comme le déclara un diplomate soviétique à des homologues US à Malte lors de la rencontre Busch senior-Gorabatchev en Décembre 1989:


«Nous venons de vous faire le pire des cadeaux: nous vous avons privé d’ennemi.»


Cette disparition de l’ennemi menaçait tout à coup tout le système d’effondrement car soudain le roi occidental était nu à son tour. En effet les oripeaux dont nous nous étions affublés et dont nous nous montrions si fiers, c’est à dire les défenseurs de la liberté, de l’humanité et bla bla bla, tout à coup ces déguisements qui servaient à masquer le nihilisme intrinsèque du système sur lequel fonctionnait l’Occident tout entier venaient à manquer avec la disparition du jumeau qui nous occupait si utilement jusqu’alors, c’est à dire avec l’effacement de ce qui nous avait donné jusque là une raison de survivre: nous étions menacés par le bloc communiste, l’Empire du Mal, et nous devions nous défendre légitimement, nous l’Empire du Bien. Mais tout à coup, à cause de cette trahison-effondrement de notre frère de lait, nous nous retrouvions au bord du gouffre, saisis de vertige par l’ampleur du vide qui se découvrait sous notre démarche d’ivrogne après la fête.


Bien sûr on ne cesse de nous répéter sur tous les tons à quel point notre système de société est meilleur, à quel point nous sommes plus heureux que ne l’étaient les habitants des pays communistes, à quel point nous sommes plus riches et combien notre situation matérielle est préférable à celle qui était la leur. Ne crachons pas dans la soupe ; oui, notre situation matérielle était largement meilleure que celle des anciens habitants des pays communistes; oui, notre système politique laissait plus de droits et respectait plus les individus que ne le faisait l’autre système; non, nos régimes politiques n’étaient pas des dictatures où des régimes totalitaires; non, nous n’avions ni goulags ni camps de concentration... Et pour finir oui il faisait meilleur survivre dans nos contrées que dans les pays communistes sans le moindre doute. C’est absolument vrai et il ne s’agit pas de le nier, bien entendu.


En revanche ce qu’il s’agit de dénoncer c’est de prendre pour excuse la fin du communisme pour affirmer que notre système est le meilleur de tous et le seul et unique viable. Car cela revient à dire qu’en dehors du communisme où de notre système il n’y a pas de salut; cela revient à affirmer que l’humanité ne peut choisir qu’entre deux types d’organisation politique, économique et sociale une fois pour toute: soit le communisme soit le capitalisme tel qu’on le connaît. C’est d’ailleurs assez logique puisque en bons progressistes nous aurions touché à la perfection et que celui des deux système qui reste debout est le meilleur par définition. Par conséquent il n’y a plus nulle part où aller; il n’y a donc plus aucune autre alternative. C’est contre cela qu’il faut s’élever car sous ce prétexte fallacieux on empêche la remise en cause du système actuel, on évite de questionner la possibilité qu’il puisse exister d’autres voies que celle de l’économie comme fin ultime de l’existence à travers la consommation à outrance et à n’importe quel prix de tout et de n’importe quoi, provoquant ainsi le pillage de la planète avec pour aboutissement la disparition de l'espèce.


Cela permet surtout d’éviter de remettre en cause la très basse conception de l’homme commune au communisme et au capitalisme, adversaires inexpiables en apparence mais irrévocablement liées par leur prémisse idéologique: une idée fausse de l’humanité, une théorie qui voit dans l’homme un animal qui ne demande que la satisfaction de ses besoins matériels pour être pleinement satisfait. Et si, selon la théorie absurde bien connue, l’homme est un animal rationnel constamment à la recherche de son intérêt bien compris, comment interpréter la crise de «delirium tremens» qui a fini par saisir l’humanité dans son ensemble depuis une cinquantaine d’année et dont on voit l’aboutissement aujourd’hui, cette crise qui ressemble étrangement à une course au suicide de l'espèce ? Serions-nous si rationnels que cela ?


La vérité c’est que l’homme est tout sauf rationnel. Capable de raisonnements, certes, mais certainement pas rationnel comme nous le démontre abondamment notre charmante époque, sans parler de notre édifiante histoire. Si nous l’étions comment expliquer l’absence de réaction de l’humanité face aux changements climatiques en cours ? Non seulement l’inertie mais bien plus la négation grandissante de tous problèmes dus à l’action de l’homme alors que tous les éléments disponibles tendent de plus en plus dans cette direction; cela donne t’il une image d’un homme rationnel ?

La vérité c’est que l’humanité est «désespérée» comme le disait déjà Bernanos en parlant de ses contemporains qu’il nommait «l’homme moderne». Nous pourrions ajouter que l’humanité d’aujourd’hui est non seulement désespérée mais aussi terrorisée, entraînés que nous le sommes par notre propre nihilisme sur la voie de l’extinction.


L’homme contemporain est désespérée, l’homme contemporain est terrorisé, l’homme contemporain n’a plus la force de faire face à sa propre fin. Il n’est plus en mesure d’accepter sa mort car il s’est privé de toute possibilité pour le faire. Non seulement il s’est ôté tout moyen pour faire face à sa condition et l’accepter mais il a fait tout ce qu’il a pu pour éviter la confrontation avec cette vérité que ses ancêtres avaient toujours pris grand soin d’intégrer. C’était d’ailleurs ce qui faisait leur humanité et constituait le tragique de leur condition d’homme; mais c’est également ce qui en faisait la grandeur.

La révolte de l’homme moderne contre sa condition fût alimentée par l'essor de la technologie, sa prise de possession de la nature suivie de près par son exploitation intensive. Heidegger nommait cela son «arraisonnement». Nous pourrions dire son «viol». Possédé, la tête tournée par ce qu’il considérait comme ses succès, l’homme moderne rejeta Dieu et Diable dans la même poubelle et s’institua seule et unique mesure de toute chose.


C’est cette illusion qui est en train de se dissiper de nos jours avec l’échec catastrophique de nos soit disant modèles de société. Cela a commencé par l'effondrement du communisme. Cette implosion a brièvement donné l’illusion au monde que le modèle qui restait temporairement debout était le meilleur et par conséquent celui que la planète dans son ensemble se devait d’adopter de toute urgence. Mais aujourd’hui, après vingt ans de saccages tant humains que naturels, nous assistons à la désintégration du second modèle, celui qui avait soit disant prouvé par la sélection naturelle qu’il pouvait apporter à l’humanité la félicité universelle et éternelle. La cause de la frénésie hystérique dont l’humanité est possédée n’est pas à chercher ailleurs. Car la signification profonde de cet échec est que l’homme ne peut pas échapper à sa condition contrairement à ce qu’avait cru les modernes. Et le problème est que l’homme contemporain ne sait plus comment faire face à cette vérité aussi ancienne que l’humanité.


Le mur de Berlin fut érigé pour empêcher les Allemands de l’Ouest de fuir le paradis socialiste pour l’enfer Occidental. Nous pourrions dire qu’il fut bâti pour éviter aux Allemands de l’Est de choisir, pour leur faire oublier la possibilité d’autre chose. Le mur de Berlin c’était l’abolition du choix, c’est à dire l’abrogation de toute référence étrangère à celle dans laquelle on était obligé de survivre. En bref le mur de Berlin c’était l’affirmation par tous les moyens qu’il n’y avait qu’un seul monde possible par la négation de tout ce qui n’était pas lui. Le mur de Berlin n’était pas forcément une preuve d'agressivité; c’était bien plus la révélation d’une terreur paranoïaque de la part des bâtisseurs. C’était d’abord un mur psychologique avant d’être un mur en béton hérissé de barbelés, au propre comme au figuré.


Sous peine de disparaître l’humanité contemporaine doit abattre le mur de Berlin qu’elle continue d’ériger frénétiquement autour d’elle afin de ne pas voir l’ombre qui la menace et qui la terrorise. L’homme contemporain doit comprendre qu’il y a d’autres possibilités de sociétés, d’autres manières de vivre que celle qui est la notre. Cela implique qu’il doit avoir le courage de faire face à son échec, à l’échec de sa révolte contre sa condition, à l’impossibilité de pouvoir se renier lui-même sans se détruire.

L’humanité doit réapprendre à accepter son humanité.


1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bravo, cher Jb tes idées me plaisent beaucoup et l'analogie entre le mur et notre emprisonnement idéologique est bien vu. CdeN