lundi 11 février 2013

Le Pentagone : les conséquences de l'austérité.

Nous sommes désormais à quelques semaines de la guillotine budgétaire auto-imposée par le Congrès il y a un peu plus d’un an (Budget Control Act of 2011). Cette loi était destinée à mettre fin à l’opposition entre démocrates et républicains à propos de la remontée du niveau de la dette fédérale.
Cette loi a imposé deux actions distinctes :

1) elle a imposé une réduction des dépenses fédérales d’un montant de USD 1 trillion  prévues sur les dix prochaines années.
2) de plus la loi avait chargé un « supercommité » de trouver des moyens de réduire le déficit de l’Etat fédéral de USD 1.2 trillions sur les dix prochaines années. Si ce Supercomité échouait à trouver des solutions pour réduire le déficit fédéral de la dite somme, alors ces réductions s’appliquerait automatiquement dés le 1 er Janvier 2013 pour réduire le déficit budgétaire de l’Etat Fédéral.

Il est important de bien comprendre qu’il y a deux volets distincts dans cette loi :
-  une réduction des dépenses prévues dans les budgets fédéraux sur les dix prochaines années
- une réduction imposée du déficit fédéral de USD 1.2 trillions à partir du 1 er Janvier 2013, désormais 1 er Mars 2013.

Le « supercomité » ayant échoué à se mettre d’accord, le Congrès a néanmoins réussi à repousser la date butoir de mise en application des coupes automatiques du 1 er Janvier au 1 Mars 2013. C’est ce que l’on appelle la « sequetration ».

En conséquence de quoi, le Pentagone fait face à une réduction importante de son budget. Le budget réel du Pentagone et de ce que l’on peut appeler ses « filiales », c’est à dire les budgets annexes à la défense, où plutôt à la guerre, mais ne faisant pas partie proprement dite du budget du Pentagone per se, le budget général de la « guerre » pour l’année fiscale 2013, donc, se décline de la manière suivante :

Department Of Defense total : USD 620 billions
Atomic Energy total : USD 19.4 billions
Defense related Activities total : USD 7.7 billions
Veterans total : 137 billions
Payment to Military Retirement Fund : UDS 67.2 billions

Total Defense Related Funding : USD 852 billions

Au cours des négociations entre Républicains et Démocrates à propos des deux parties du Budget Control Act de 2011, l’administration Obama proposa de réduire les dépenses « prévues » du Pentagone sur les dix ans à venir de USD 490 milliards. Ce sont donc des réductions de budgets futurs à ajouter aux USD 500 milliards de coupes automatiques prévues dans le second volet de la loi et destinées à réduire le déficit de l’Etat Fédéral. Mais il faut préciser également que ce sont des réductions proposées sur des augmentations de budget prévues ce qui signifie qu’il n’y a pas de réelles réductions : ce ne sont que des réductions de la hausse des dépenses prévues sur les dix prochaines années. Cela dit, cela ne comprend pas les effets de l’inflation et il est donc vraisemblable qu’au bout du compte le pouvoir d’achat réel du pentagone va baisser.

Si l’on fait le calcul, les réductions sont relativement minimes. Admettons même pour les besoins de la cause que le Pentagone soit obligé de réduire ses dépenses de USD 1000 milliards sur dix ans, cela ne fait qu’une réduction de USD 100 milliards par an. Et encore ne s’agit-il pas de réduire de 100 milliards chaque année le budget actuel de dépenses puisque la moitié de la réduction s’envisage sur des dépenses prévues dans le futur sur des budgets en augmentation chaque année. En revanche, les USD 500 milliards de réductions automatique, afin de réduire le déficit budgétaire, qui doivent être mises en oeuvre le 1 er Mars (à moins que cela ne soit à nouveau repoussé) celles-là vont toucher le budget actuel, et donc des dépenses pour lesquelles on avait prévue de recevoir des fonds.

Les industries de défense ont anticipé cette coupe budgétaire et ont mis en oeuvre des réductions de dépenses et d’investissement qui n’ont pas manqué de se répercuter sur l’indice manufacturier US ce qui entrainé une contraction de l’économie US de 1 % en taux annuel pour une chute des dépenses liées à l’industrie de guerre de 22 %.

The defense industry has been preparing for the massive budget cuts for months -- a fact reflected by the 0.1% annual rate decline in the nation's economy in last year's fourth quarter. The contraction was largely due to a 22% drop in defense spending.
(Sources : CNN Money - 4 Février 2013)

Entre parenthèse, cela ne fait que renforcer la thèse de ceux qui affirment que le complexe militaro-industriel US est la seule industrie manufacturière de quelque importance qui reste en place aux USA. Peut-être est-ce un peu exagéré mais ces chiffres devraient faire réfléchir quelque peu.

Désormais, avec la date fatidique du 1er Mars se rapprochant, et sans signes encourageant de résolution du problème entre Républicains et Démocrates, c’est à dire trouver un plan de réduction du déficit alternatif qui éviterait une coupe générale de toutes les dépenses sans discrimination, les militaires montent au créneau afin de faire prendre leurs responsabilités aux parlementeurs US.

General Martin Dempsey, chairman of the Joint Chiefs of Staff, said about a third of the cuts would have to come from the armed forces, with the remaining two-thirds taken from spending on modernization, compensation and readiness.
Defense programs would be cut by about $45 billion in the seven months remaining in the fiscal year ending September 30.
The US army already began to shrink last year, downsizing toward 490,000 from around 570,000.
(Sources : RT - 10 Février 2013)

Mais il y a d’autres conséquences à cette crise budgétaire. 

In separate, highly detailed memos sent to Congress, the military services described widespread civilian furloughs, layoffs and hiring freezes that will hit workers all around the country. Overall, the military will furlough 800,000 civilian workers for 22 days, spread across more than five months, and will lay off as many as 46,000 temporary and contract employees.
(Sources : Fox News - 06 Février 2013)

Ce qui a bien évidemment des répercussions au niveau opérationnel.

The Navy says it will cease deployments to South America and the Caribbean and limit those to Europe.
The Air Force warned that it would cut operations at various missile defense radar sites from 24 hours to eight hours. And the Army said it would cancel training center rotations for four brigades and cancel repairs for thousands of vehicles, radios and weapons.
(Sources : Fox News - 06 Février 2013)

Mais il y a plus important que cela encore.

Nous voulons parler des réductions que les deux volets de cette loi imposent désormais à la Navy et à sa capacité de déploiement de ses groupes de porte-avion. Comme on sait, ces fameux porte-avions d’attaque sont les outils principaux de projection de puissance des USA et la colonne vertébrale de toute action politique et militaire où que ce soit de la part des USA.

Or la Navy, tout comme ses consoeurs de l’US Air Force et de l’US Army, rencontre de graves problèmes depuis des années en raison de demandes de la part des politiques qui ne prennent pas en compte les capacités militaires réelles de l’armée US en général, et de l’US Navy en particulier. Dix années de guerre perpétuelle ont épuisé l’armée et réduit considérablement sa capacité de faire face à plusieurs guerres à la fois, deux en tout cas comme le prévoit la stratégie générale des USA. Au bout de dix ans de guerre, le matériel est à remplacer d’urgence pour cause d’usure précoce  (pour les plus récent) mais aussi pour cause de vieillesse avancée, particulièrement en ce qui concerne les chasseurs qui se trouvent dans un état de vieillissement très grave  (F15, F16 et F18, avions ayant trente ans d’âge au moins). L’échec du programme JSF va plonger l’US Air Force dans une crise dont elle risquera de ne pas se remettre puisque rien n’est prévu pour remplacer le fameux JSF qui devait être le meilleur du meilleur des avions du monde et bla bla bla... Pourtant, après USD 350 milliards dépensés et des années de retard, il n’est toujours pas capable de voler et son coût unitaire s’est envolé à défaut de l’avion lui-même.

Revenons aux porte-avions.
Ils étaient l’outil majeur et fondamental pour appuyer la politique US dans le monde depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Ils constituaient un moyen de pression, de dissuasion comme de contrôle partout où ils étaient envoyés à l’appui de décisions politique. C’étaient les canonnières contemporaines des USA en quelque sorte. Or, il semble qu’aujourd’hui ces canonnières subissent quelques problèmes de deux ordres : 

- l’un relatif aux manques de fonds propres pour les entretenir
- l’autre au développement de nouvelles armes qui pourraient se révéler diablement efficaces pour les couler, et d’un coût minime pour ceux qui les construisent. Nous pensons notamment à la Chine et à son missile anti-porte-avion DF-21D, mais aussi à l’Iran qui en aurait également mis au point, sans parler des drones que ce dernier pays serait en train de fabriquer afin d’attaquer les porte-avion US au large du Golfe Persique si cela devenait nécessaire. Hors ces drones sont indétectables et ne seraient pas non plus susceptibles d’être détournés comme leurs homologues US qui fonctionnent pas GPS, ce qui ne serait pas le cas des drones iraniens.

Bref, les porte-avions US ne sont plus aussi en sécurité qu’auparavant, ce qui suffit à les rendre vulnérables aux yeux de l’état major US pour qui la perte de l’un d’eux serait une catastrophe impensable. Catastrophe car cela aurait des répercussions psychologiques incalculables dans le monde entier et accélérerait encore la perception que ce même monde a déjà du déclin de la puissance US.

Outre ces armes étrangères, il y a donc les problèmes budgétaires qui sont peut-être encore plus redoutables. Aujourd’hui, en raison de ces coupes budgétaires dont nous venons de parler, la Navy n’est plus en mesure de déployer plus de deux porte avion en même temps. L’un d’eux est basé au Japon en permanence, et l’autre est dans le Golfe Persique où il yen a généralement. Aujourd’hui, seul le USS Stennis est sur place avec son escorte. Le USS Eisenhower a quitté le Golfe Persique en Décembre pour faire ses révisions au bout de neuf mois en mer alors que, généralement, une mission n’excède pas six mois : à la fois pour ménager le matériel et le réparer, mais aussi pour les hommes servant à bord.

There have been two aircraft carrier groups in the Gulf for most of the last two years. The USS Dwight D. Eisenhower was in the Gulf but was brought home in December for maintenance. It will return later this month, at which point the USS John C. Stennis -- currently the only carrier in the Gulf -- will leave the region and return home.
Officials say that in the event Congress cannot avert $500 billion in defense cuts over the next 10 years, the Navy can't justify the cost of two carriers in that region.
The Navy could, however, be "surge-ready" one official said, and deploy more carriers in a crisis situation. It would take an aircraft carrier about two weeks to get to the Gulf from Norfolk, if needed.
The Navy has 10 aircraft carriers in its fleet and, as of today, only three were forward-deployed at any given time. Two were in the Persian Gulf and one permanently stationed in Japan. Now the Navy will only have two forward-deployed carriers.  
Typically, carriers spend six months at sea, but in an already budget-constrained atmosphere, their deployments have lasted closer to nine months.
(Sources : Fox News - 6 Février 2013)

Qu’est-ce à dire ?
Quelle sont les conséquences de cet état de fait qui ne s’arrangera pas avec le temps, bien au contraire, y compris si le Congrès parvient à trouver un modus vivendi a propos de la « sequestration ».

Cette crise que connait la Navy, tout comme l’US Air Force et l’US Army,  aura une importance fondamentale, politiquement et stratégiquement parlant, pour les USA, et pour le reste du monde par voie de conséquence. Car cette crise montre que les USA n’ont plus les moyens militaires de leurs ambitions politiques, où plutôt de celles de leurs dirigeants qui souffrent tous d’un défaut d’adaptation à la réalité et qui refusent le déclin de la puissance américaine. Ils continuent de vouloir appliquer une politique dont leur pays n’a plus les moyens. Désormais ils seront contraint de s’y adapter par manque de moyens financiers, de bon où mauvais gré. C’est bien là que réside le danger car ils ne semblent pas prêts à accepter cet état de fait. Heureusement, les militaires US, eux, sont parfaitement conscients du problème et font ce qu’ils peuvent pour éviter les désastres dans lesquels tentent de les précipiter le plus souvent des politiciens irresponsables en déclenchant des guerres que l’armée n’a plus les moyens de soutenir. Comme les amiraux de la US Navy ont su le faire en 2007 en évitant la guerre contre l’Iran dans laquelle voulut les lancer Cheney and co.

C’est ainsi que cette crise et les réductions budgétaires qui en découlent, pourtant pas si importantes en terme de numéraire, vont obliger l’oligarchie US à réduire la mainmise des USA sur le monde. Le monde va se retrouver de plus en plus « seul » et  certains acteurs régionaux devront faire face à leurs voisins sans le parapluie protecteur et menaçant des USA. Nous pensons notamment au Moyen-Orient. Ce qui signifie également que certains pays qui étaient jusque là mis à l’écart et menacés de destruction, comme l'Irak en son temps, la Libye où la Syrie, se verront désormais pris en compte et réintroduits dans les concerts régionaux des nations. Nous pensons à l’Iran, par exemple. Cela dit ces changements sont déjà en cours ; il suffit de voir l’évolution de la situation au MO où en Asie, ainsi que les politiques de certains pays, autrefois attentifs aux USA et à leurs consignes, qui aujourd’hui n’y prêtent plus autant d’attention qu’auparavant, voire même qui n’hésitent plus à s’en écarter où à s’y opposer (voir la question de l’achat de pétrole iranien par exemple).

La vérité est que le déclin est déjà pris en compte par les différents acteurs depuis un certain temps déjà. Chacun en tire les conséquences qu’il peut et qu’il veut, ce qui contribue à changer les rapports de force régionaux. Certains tentent encore de tirer parti des USA déclinant, avec de plus en plus de désinvolture certes, mais personne n’est plus dupe, à l’exception de nos brillants politiciens français, anglais où quelques autres, encore pris dans le mirage  que l’on nommait le « rêve américain ». A ce titre nous pouvons noter les changements profonds qui sont en train de se dérouler au Moyen-Orient et qui risque de s’accélérer dans les années qui viennent. Le retrait du USS Eisenhower, le refus des USA de s’engager dans une guerre en Syrie et encore plus avec l’Iran, tout cela révèle au grand jour l’état de faiblesse des USA dont le prestige militaire avait déjà été sérieusement entamé par les échecs afghan et irakien. Désormais on ne peut plus le cacher par des artifices où de beaux discours.

Le statut quo de ces soixante dernières années est en train de disparaitre avec les porte-avions US. La politique des porte-avions, comme celle de la canonnière en son temps, n’est plus d’actualité : elle a coûté trop cher, l’empire est exsangue ; il a saigné à blanc la métropole.
Comme l’URSS en son temps.
Pour les mêmes raisons.

Mais pour le moment tout le monde est content à Cochon sur Terre, le meilleur des mondes.

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