samedi 20 juin 2009

NY, Le 20 Juin 2009

Une jeune femme d’à peine trente années.

Toujours strictement habillée, plutôt à la mode sans trop d'exagération, comme il faut, dans le ton général sans s’en démarquer outre mesure, suffisamment pourtant pour faire remarquer à qui de droit que l’on à faire à quelqu’un d’indépendant; ce qui n’est pas le cas.

Une jeune femme toujours polie lorsqu’on la croise dans l’escalier ou dans l'ascenseur mais qui ne se laissera pas aller à vous adresser la parole sans raisons valables pour le faire; en revanche « merci » ou « excusez-moi », «bonjour» ou « au revoir », ce qui relève pratiquement du miracle par les temps qui courent.

De plus elle fait encore partie de ces bipèdes en voie d’extinction de masse qui se balade dans la rue les oreilles libres d’écouteurs diffusant des «sons» si forts que tout l’entourage en profite.


La seule chose que l’on savait d’elle c’est qu’elle travaillait dans une des cinq grandes banques de Wall Street, une de celles qui ont le plus profiter des fameux bailouts qui vont coûter si cher au contribuable américain; une de ces cinq banques suffisamment en bonne santé financière, selon elles en tout cas, qui se dépêchent en ce moment même de rembourser les prêts qui leur furent accordés pour les sauver de la débâcle complète il y a quelques mois, celles là même qui aujourd’hui font les fines bouches en murmurant qu’on les a forcé à accepter cet argent dont elles n’avaient pas besoin... Raison pour laquelle elles rembourseront ces prêts dés que possible puisqu’elles n’en n’ont pas besoin. On se demande dans ce cas pour quelles raisons elles éprouvent le besoin de faire appel au marché pour ce remboursement qui ne leur a servi à rien...


Quoi qu’il en soit nous nous sommes croisés, la jeune femme dont nous parlions plus haut et moi. C’était hier soir. Comme d’habitude dans l’entrée, l’un ouvrant la porte pour laisser passer l’autre. Ce soir là pourtant ne fût pas comme les autres. Tout d’abord elle n’avait pas l’air d’aller très bien, le visage un peu pâle, les yeux légèrement gonflés et surtout cet air, cet air absent, ou peut-être hagard, comme lorsqu’on a reçu un grand choc, inattendu bien sûr. La différence était si grande que mon regard a dû laisser entrevoir involontairement les questions qui se pressaient derrière mes yeux.


  • I am fired...


Je restais bêtement à la regarder sans rien dire, peut-être parce que j’étais trop étonné du changement qui s’était opéré en si peu de temps sur son visage et dans son attitude. Elle avait l’air à la fois totalement perdue et absente.


-I am fired.


Encore une fois. Puis elle se mit à parler sans s’arrêter, comme çà dans l’entrée de l’immeuble, à un inconnu, ou peut-être après tout étais-je le plus connu sans le savoir à force de se croiser comme çà à longueur de semaines. Cela doit créer des liens pour ceux qui n’en n’ont aucuns avec qui que ce soit. Ce qui devait être son cas.

J’eus droit à tout.

Son éducation, son enfance, ses études, sa puberté et naturellement son travail puisque ce dernier était véritablement le centre de son existence comme elle me l'apprit ce soir là. Et pour finir elle se mit à sangloter tout en me racontant ce qui lui arrivait.

En bref elle s’était fait virer le matin même, sans aucune raison à part le fait qu’il fallait faire des économies, en toute logique puisque cette même banque était en train de rembourser les prêts du gouvernement en proclamant que sa santé financière ne pouvait être meilleur. Quoi de plus normal dans ces conditions que de mettre à la porte ses employés! Et dans son malheur elle avait encore la chance d’avoir pu rester dans son bureau car on la gardait jusqu’à la fin du mois de Juin. Ce qui est très inhabituel ici.

Mais elle répétait son histoire, sans beaucoup de variantes il faut bien le dire, ce qui me laissait penser que ce devait être assez proche de la vérité. Elle qui avait tant travaillé pour obtenir ce poste (je n’avais pas la moindre idée de ce que cela pouvait être), elle qui avait toujours été la seconde dans toutes ses études, brillantes bien entendu, elle qui avait tout prévu jusqu’au moindre détail pour mener sa vie comme elle le voulait, elle qui avait une vision détaillé de tout ce qu’elle voulait obtenir de son existence et qui savait comment l’obtenir qui plus est, ce qui est assez utile il faut bien l’avouer. Le plus extraordinaire fût tout de même lorsqu’elle me dit que cette catastrophe l’empêcherait de se marier dans deux ans comme prévu. Là je fus suffisamment surpris pour l’interrompre:


  • Mais vous avez un «boy-friend?»
  • Non, mais j’en aurai trouvé un pour me marier dans deux ans. Maintenant c’est fichu!

Elle me répondit cela avec son air momentanément retrouvé et assuré de femme d’affaire à qui rien ne résiste, qui fit ensuite place à de nouvelles larmes et de nouvelles cataractes de paroles.

Elle était paniquée. Vous pourrez dire que cela se comprend lorsqu’on perd son job dans un moment de crise pareille. Certes. Mais dans ce cas là j’avais la nette impression que c’était surtout le fait d’avoir à faire face à l’inconnu c’est à dire d’avoir à affronter quelque chose que l’on ne maîtrise pas. Soudain tous ces jolis petits plans sur la comète concoctés par les parents pour leur fille, puis par cette dernière, peut-être pour faire plaisir à ses parents, tout cela se retrouvait cul par dessus tête sans que jamais quiconque n’ait envisagé une seule seconde que cela pourrait se produire un jour; ou plutôt que ce genre de chose pouvait arriver dans la vie, et plutôt plus fréquemment qu’autre chose. Seulement voilà, ces gens là ne pouvaient le savoir car ils vivaient dans un rêve, un rêve plein de dollars qui tombaient toujours dans les bras grands ouverts de ceux qui se donnaient la peine de les ouvrir, un rêve qui promettait monts et merveilles en sucre agrémenté de paillettes dorées à tous ceux qui pourraient entrer dans le paradis de «l’American dream», ou plutôt de son mythe et de tout ce qui lui faisait escorte.

C’est aujourd’hui ce rêve qui explose en plein vol. Et bien entendu il ne sera plus question de faire un petit tour et de revenir à la case départ comme si rien n’était arrivé. C’est arrivé. Et ce qui se produit pour cette jeune femme est une analogie de ce qui se passe pour notre monde. Il nous faut désormais apprendre à vivre d’une autre manière.

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