mercredi 10 juin 2009

NY - Le 10 Juin 2009


Obama sera t'il un Gorbatchev américain?



Bien sûr de nombreux commentateurs, ici aux USA, n’ont pas manqué de faire des parallèles entre la situation des USA et celle de l’Union Soviétique quelques années avant son effondrement, c'est-à-dire pendant les années où Gorbatchev fût au pouvoir. Bien sûr d’autres, où les mêmes, n’ont pas manqué non plus d’établir des comparaisons entre Obama et Gorbatchev, allant jusqu’à nommer le premier « le Gorbatchev américain ». De toute manière il est certain que c’est une des grandes peurs de l’establishment américain. Combien de fois n’entendons-nous pas ici : « vous voyez son vrai visage commence à apparaître ! » à chaque fois qu’un vague projet de réforme s’annonce, comme celui de la Sécurité Sociale, où comme n’importe quelle autre proposition destinée à modifier quoi que ce soit. Le spectre du « révolutionnaire » fait sa réapparition et ce qui va avec, le transfert des « privilèges » d’une partie à une autre. En théorie en tout cas.


Or voici que ce même Gorbatchev publie un article le 7 Juin dernier dans le Washington Post exhortant le monde à faire sa perestroïka avant qu’il ne soit trop tard. Le monde ? En lisant l’article nous avons plutôt l’impression qu’il s’adresse tout particulièrement aux USA. En effet à plusieurs reprises, et ce malgré le titre de l’article, il cite les USA comme étant plus spécialement concernés par cette pérestroïka qu’il appelle de ses vœux:


(…) the need for a more far-reaching perestroika -- one for America and the world -- has become clearer than ever (…)..

The current global crisis demonstrates that the leaders of major powers, particularly the United States, had missed the signals that called for a perestroika. The result is a crisis that is not just financial and economic. It is political, too (…)..

(…) Washington will have to play a special role in this new perestroika, not just because the United States wields great economic, political and military power in today's global world, but because America was the main architect, and America's elite the main beneficiary, of the current world economic model. That model is now cracking and will, sooner or later, be replaced. That will be a complex and painful process for everyone, including the United States.

However different the problems that the Soviet Union confronted during our perestroika and the challenges now facing the United States, the need for new thinking makes these two eras similar (…). (souligné par nous).


Comme on le voit les USA sont les premiers visés par cet appel à la perestroïka et ce d’autant plus lorsque l’on note de quelle manière il exempte partiellement le reste de la planète des désastres induits par la copie « du modèle » anglo-saxon, en raison justement de leur adoption d’un modèle économique instituant


(…) the right balance between the government and the market, for integrating social and environmental factors and demilitarizing the economy.


Elements of such a model already exist in some countries. Having rejected the tutorials of the International Monetary Fund, countries such as Malaysia and Brazil have achieved impressive rates of economic growth. China and India have pulled hundreds of millions of people out of poverty. By mobilizing state resources, France has built a system of high-speed railways, while Canada provides free health care. Among the new democracies, Slovenia and Slovakia have been able to mitigate the social consequences of market reforms (…).


Clairement les deux premières phrases sont destinées aux USA, c’est à dire ce pays qui n’a pas d’équilibre entre gouvernement et marché, qui n’a pas intégré les facteurs sociaux et environnementaux dans sa politique internes et dont l’économie est la plus militarisée de la planète.

Cela signifie que les USA, et le monde entier bien sûr avec eux, ont besoin non pas d’une réforme du système existant mais bien plutôt de son remplacement par un autre sans quoi cela ne servira qu’à repousser l’inéluctable désastre qui nous guette et à le rendre encore plus catastrophique.


But if all the proposed solutions and action now come down to a mere rebranding of the old system, we are bound to see another, perhaps even greater upheaval down the road. The current model does not need adjusting; it needs replacing(...).


L’ancien Secrétaire Général du PCUS parle en connaissance cause, lui qui tenta de réformer le système soviétique à bout de souffle afin de lui injecter une bouffée d’oxygène rajeunissante et lui redonner ainsi une nouvelle jeunesse ; cela aurait permis de conserver les structures de l’Etat soviétique intactes, c'est-à-dire le parti communiste et la doctrine marxiste-léniniste comme Evangile. Ce qui est curieux c’est l’usage contradictoire du mot « perestroïka » que fait M. Gorbatchev. Ce mot signifie « reconstruction » ou « restructuration » en russe, ce qui implique à la fois la conservation des éléments de base mais également l’emploi de nouveaux matériaux. Certes. Mais l’auteur l’utilise à la fois dans le titre de son article ( « We had our perestroïka, it is time for yours ») qui suggère le bénéfice que nous tirerions d’une simple réforme. Toutefois, un peu plus loin, l’auteur se contredit en soulignant qu’il ne s’agit pas de réformer notre système mais bien de le remplacer par un autre. Il ne s’agit donc plus de « perestroïka ». De toute manière la « perestroïka » en tant que telle, c'est-à-dire la tentative de réforme qui débuta avec l’accession au pouvoir de Gorbatchev en 1985 et qui prit fin en 1991, cet essai de restructuration échoua puisque les institutions qu’il voulait préserver se sont effondrées corps et biens. En revanche il est certain que la conjonction de la « Glasnost » et des réformes entreprises, la « perestroïka », entrainèrent le pays trop loin pour revenir en arrière. Les vannes avaient été ouvertes et il n’était désormais plus possible de les refermer ; le courant était trop fort et finit par tout emporter sur son passage. Pourquoi ? Parce que les mentalités n’étaient plus prêtes à accepter l’ancien ordre des choses et que la Glasnost leur donna l’occasion de se libérer. Et cela plus que la perestroïka fut la cause de la chute de l’URSS. M. Gorbatchev le dit d’ailleurs à la fin de son article :

However different the problems that the Soviet Union confronted during our perestroika and the challenges now facing the United States, the need for new thinking makes these two eras similar. In our time, we faced up to the main tasks of putting an end to the division of the world, winding down the nuclear arms race and defusing conflicts. We will cope with the new global challenges as well, but only if everyone understands the need for real, cardinal change -- for a global perestroika. ( souligné par nous).

Mais là est peut-être la question fondamentale pour notre époque. Sommes-nous prêts ? Sommes-nous conscients de la nécessité absolue d’une nouvelle façon de penser ? Sommes-nous convaincus que la manière d’appréhender le monde qui est la nôtre depuis si longtemps est à la base du désastre dans lequel nous sommes prêts à verser ? Et puis sommes-nous si persuadés que cela de la gravité de la situation ? En fin de compte ne nous plaisons-nous pas trop dans notre monde idyllique croulant pour vouloir le changer, à la différence des soviétiques ?

Rien n’est moins sûr ! Nous pourrions même affirmer le contraire. Pour le moment la majorité des populations et des dirigeants ne pensent qu’à une seule chose : faire redémarrer le système au plus vite afin que tout revienne comme avant la crise et renouer ainsi avec les années de crédit facile et d’énergie bon marché. Pratiquement personne à l’exception d’une minorité ne soutient le contraire. D’ailleurs il suffit de voir quelles sont les mesures prises par les différents gouvernements pour sortir de la crise. Il s’agit de ressusciter le cadavre et non pas de l’incinérer définitivement. Dans ces conditions comment espérer une action résolue pour remplacer le système ? Et puis par quoi ? Comment ? Qui propose quoi que ce soit, officiellement entendons-nous ? Pour faire des propositions il faudrait d’abord avoir une vision claire de ce qui se passe, ce qui n’est apparemment le cas pour aucuns de nos dirigeants bien-aimés. Personne n’a la moindre idée de ce qui arrive et tous agissent comme si nous faisions face à une crise habituelle, si ce n’est par son ampleur. Le manque du plus petit sens de l’histoire fait d’ailleurs partie intégrante d’une des causes des problèmes que l’humanité traverse. D’ailleurs même M. Gorbatchev n’est pas prêt pour le genre de changement nécessaire. Il reste dans la sphère de la réforme du système, il reste étranger à toute radicalisation. Il reste à ce que l’on entend en Europe un peu partout, c'est-à-dire un mélange de capitalisme de type rhénan repeint en vert. Mais le dogme de la croissance illimitée et de la consommation à outrance pour la soutenir n’est nullement remis en cause ni par les cercles dirigeants ni par l’écrasante majorité des populations. Or c’est pourtant bien là l’un, et non le seul, des aspects principaux du problème. De plus il faudrait peut-être souligner également que l’effondrement de L’URSS ne peut se mesurer à notre situation que dans une mesure limitée étant donné que la situation que nous connaissons concerne le monde entier et non pas tel ou tel pays pris isolément.

Alors M. Obama, dont on fait si grand cas, est-il un Gorbatchev américain, c'est-à-dire celui qui sera l’instrument par lequel le système sera mis à bas ? Pour cela il faudrait premièrement qu’il soit convaincu que le système dont il fait partie intégrante nécessite de profondes réformes, ne serait-ce que pour survivre encore quelques temps ; deuxièmement il aurait besoin de l’énergie, du courage et de la ténacité que M. Gorbatchev déploya dés le début de sa prise de pouvoir pour imposer ses réformes contre l’establishment qui s’y opposait avec la virulence que l’on sait. Les quatre premiers mois de la présidence de M. Obama ne laissent rien paraître ni de sa conviction que le système soit profondément atteint ni, en conséquence, qu’il ait besoin d’un remède de choc pour le maintenir en réanimation artificielle. En politique intérieure nous assisterions plutôt à une tentative désespérée du maintien du statu quo à tout prix (jeu de mot conseillé) ; quant à sa politique extérieure elle ferait plutôt penser à une continuation de la politique traditionnelle américaine par des voies plus conciliatrices vis-à-vis du reste du monde que celle de son prédécesseur, mais avec le même but final qui est le maintien de la prééminence des USA sur le reste de la planète. En réalité le Président et son administration sont encore en plein rêve et n’ont pas encore compris que la situation de leur pays ne leur donne plus les moyens de leur politique, qu’elle soit extérieure ou intérieure. Dans ces conditions M. Obama ne peut pas être le Gorbatchev américain. C’est regrettable car cela aurait pu atténuer quelque peu l’atterrissage qui se fera donc dans les pires conditions et qui risque d’avoir lieu dans les mois qui viennent, quand tout le monde réalisera ce que certains, ici même aux USA, savent déjà, c'est-à-dire que les USA sont en faillite. Et lorsque cela arrivera M. Obama et son administration ne seront plus que des jouets impuissants et effarés de l’immense événement qui les emportera eux et tout le reste, en gardant à l’esprit que l’écroulement financier des USA et de ceux qui gravitent dans leur sphère n’est qu’un des aspects de la crise générale, et probablement finale, à laquelle est confrontée ce que nous nommons notre « civilisation ».

La seule chose que nous pourrions concéder à ceux qui prétendent que M. Obama est le Gorbatchev américain c’est qu’il n’est pas impossible que le Président des USA ne devienne malgré lui l’instrument par lequel pourrait se faire cet effondrement, comme son homologue soviétique le fût en son temps, effondrement qui sera encore plus radical que même M. Gorbatchev ne l’escompte. La différence entre les deux est que le soviétique avait pleine conscience de la gravité de la situation de son pays d’une part, et d’autre part qu’il accéléra la chute du système lorsqu’il prit conscience de l’impossibilité de le reformer. Aujourd’hui la situation empirant, c'est-à-dire les effets de la crise se précipitant en finissant par devenir incontrôlable, ce qui n’est pas vraiment loin d’être le cas, il se pourrait bien que les actions de M. Obama, au lieu de renforcer le système comme escompté, ne contribue à le détruire et à faire advenir autre chose : un chaos complet d’où émergera peut-être les « green shoot » d’une autre société.

Alors non, M. Obama ne sera probablement pas le Gorbatchev américain car n’ayant pas conscience des événements il nage à contre courant au lieu de l’accompagner. Se faisant il s’épuisera vite et se fera entrainer par la puissance des flots déchainés qu’il est en train de libérer sans le vouloir ni même sans en avoir conscience.

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