jeudi 15 avril 2010

Pologne: disparition de Kaczynski; et après ?

A la suite de l’accident d’avion qui a coûté la vie au Président de la Pologne et à la délégation qu’il menait à Katyn pour rendre hommage aux 22.000 officiers polonais assassinés par le NKVD sur ordre de Béria et Staline en 1940, les médias de Cochon sur Terre se sont déchaînés. 

En effet, durant quelques jours il n’y avait quasiment pas d’autres nouvelles que celle-ci sur les écrans de la médiasphère. Certains même, emportés par ce qu’ils nomment «émotion», mais qui n’est rien d’autre en réalité qu’une sensiblerie de midinette prompte à s’apitoyer sur n’importe quoi pourvu que cela ne les touche en rien, certains donc se sont empressés de jouer sur la soit-disant unité qui liait le défunt Président et les Polonais, voulant pour preuve les rassemblements, les bougies etc...


Il y a malgré tout certains éléments à rappeler afin de ne pas sombrer dans l’irréalité totale, comme il est habituel avec la propagande de la pravda officielle.

Nous ne reviendrons pas sur la vie politique du défunt président polonais, d’autres l’ont déjà fait avant nous et le feront après nous probablement. En revanche nous voulons rappeler ici que Lech Kaczynski fût élu en Octobre 2005 avec le plus petit nombre de voix jamais obtenu par aucun candidat victorieux au poste de Président du pays, c’est à dire environ 25% des voix seulement au second tour. Ce ne fût pas vraiment un raz de marée, comme on voit, mais plutôt le discrédit dans lequel était tombé son prédécesseur (Alexander Kwasniewski) qui permit une victoire sur une assise électorale si faible.

D’autre part les élections présidentielles qui devaient avoir lieu cet Automne étaient très loin d’être gagnées par le défunt Président. Bien au contraire tous les sondages montraient une nette préférence des électeurs pour son rival Bronislav Komorovski, actuel Président de la Chambre basse du Parlement et successeur par intérim du défunt Président. M. Komorovski est membre du même parti que le Premier Ministre en poste, Donald Tusk, un parti de centre-droit qui n’avait pas du tout les mêmes vues que le défunt Président en matière de politique étrangère, entre autre.


En effet Lech Kaczynski était notoirement opposé à tout rapprochement avec la Russie, comme avec l’Union Européenne d’ailleurs. De ce fait il était pro-américain, pensant que cela mettrait son pays à l’abri de toute visées impérialistes russes, partageant en cela la paranoïa irréaliste des américains. En revanche le Premier Ministre actuel, et donc M. Komorovski également, est un partisan d’un rapprochement avec Moscou et d’un élargissement de la coopération russo-polonaise, comme il l’a maintes fois souligné dans différent discours notamment. Mais même pour le Parti du Premier Ministre (PO) il y avait néanmoins certaines conditions à ce rapprochement et à une nouvelle coopération avec la Russie. Les plus importantes de ces conditions étaient au nombre de deux:


  1. La reconnaissance par la Russie de ses responsabilités dans l’invasion de la Pologne par les Allemands le 1er Septembre 1939, suivie par celle des Soviétiques le 17 Septembre 1939.


«Poland wants September 1, 1939, to remain etched in the world's memory as the beginning of the greatest tragedy of the 20th century,» (Sources: The Independant - 01.09.2010)


C’est ce que déclara le Premier Ministre polonais le 1er Septembre 2009 lors du 70 ème anniversaire du déclenchement de la seconde guerre mondiale par l’invasion de la Pologne par les troupes allemandes.

A sa suite M. Putin aborda la question de la responsabilité de la guerre que se renvoyaient les Russes et les Polonais en parlant dans son discours d’échec commun  


« (...) to prevent the bloodiest, most horrible war in the history of humanity » 

“All attempts between 1934 and 1939 to make peace with the Nazis, signing various agreements and pacts, were from a moral point of view unacceptable and from a practical point of view pointless, harmful and dangerous. It is necessary to admit these mistakes, and our country has done this.” 

Mr. Putin’s performance in Poland drew praise from many erstwhile critics of Russia, if not completely fulfilling Polish demands for Russian accountability.

“This is a very important and very symbolic visit,” said Andrzej Halicki, chairman of the Polish Parliament’s Foreign Affairs Committee. He said Mr. Putin’s statements left him optimistic about the future of their countries’ relations, but added, “This would have been a good occasion to say ‘sorry.” (Sources: The New-York Times -  01.09.2010)

A sa sortie de son entretien avec Vladimir Putin le Premier Ministre Polonais déclara;

“Our meeting showed from the first minute that we are making another step toward strengthening confidence in the past so that we can build our future on it,” (Sources: The New-York Times -  01.09.2010)

  1. La seconde condition était la reconnaissance formelle par la Russie de sa responsabilité dans le massacre de 22.000 officiers polonais en 1940 dont le charnier de la forêt de Katyn près de Smolensk devint un des lieux emblématique depuis lors. De plus la Pologne demandait depuis la fin de la guerre la remise de tous les documents disponibles sur cet assassinat de masse que le Kremlin s’était toujours refusé à livrer puisque l’URSS niait la tuerie en bloc, Staline ayant même prétendu après la guerre que ceux qu’il avait ordonné d’abattre s’étaient enfuis en Mandchourie...

Cette année, Vladimir Putin invita le Premier Ministre Polonais Donald Tusk à venir avec lui rendre hommage aux victimes de cette tuerie, victimes russes et polonaises enterrées côte à côte.

"It is the first time that a Russian prime minister has commemorated the victims of Katyn," Russian historian Natalia Lebedeva told SPIEGEL ONLINE. Lebedeva, who is 71, has devoted her entire life's work to the struggle for the recognition of Soviet atrocities against the Poles.

"Nevertheless, Putin showed that the issue of Katyn has an entirely new significance for the Russian leadership," said Lebedeva.

Putin (...) condemned "inhuman totalitarianism" during his speech in Katyn. Referring to the Katyn massacre, he said that "this crime cannot be justified in any way." Putin also condemned Stalin's claims that the missing officers had "fled to Manchuria" as "cynical lies." (Sources: Der Spiegel - 13.04.2010)

Les dirigeants russes ont donc fait de grands efforts afin d’améliorer leurs relations avec la Pologne depuis plusieurs mois. Auparavant les relations de M. Putin avec le précédent Premier Ministre, qui n’était autre que le frère jumeau de Lech Kaczynski, n’étaient pas vraiment excellentes, et ce d’autant moins que ce dernier et son frère ne cessaient de prôner  et de réclamer à grands cris l’installation du système de défense anti-missile voulue par l’administration Busch. D’ailleurs, selon les meilleurs spécialistes, ce système serait très très loin de fonctionner et encore plus loin de pouvoir être utiliser de manière fiable. Il faut d’ailleurs ajouter que le fameux système «Patriot» lui non plus n’a pas jusqu’à présent fait preuve d’une fiabilité à toute épreuve, c’est le moins que l’on puisse dire. Ses résultats sont plutôt considérés comme catastrophiques par ceux qui ne sont pas liés au lobby militaro-industriel. 


En revanche les relations de M. Putin avec Donald Tusk n’ont cessé de se renforcer depuis la prise de fonction de ce dernier en 2007, cela en dépit du Président défunt. L’amélioration des relations russo-polonaise depuis un peu moins d’un an maintenant s’est fait de par les volontés communes des dirigeants russes et du Premier Ministre polonais et de son parti, certes. Mais il est tout aussi vrai que les Américains y ont beaucoup aidé, tout à fait involontairement d’ailleurs. L’abandon unilatéral du projet de système de défense anti-missile en Pologne par les USA, après avoir tout fait pour convaincre les polonais et autres pays de l’Est de l’accepter sur leurs territoires au risque de se brouiller avec Moscou, n’a pas vraiment contribué à convaincre les Polonais, les Slovaques et autres, qu’ils pouvaient compter sur l’aide américaine en cas de problème avec leur voisin de l’Est. Et ce n’est pas le hochet que constitue une batterie de missile «Patriot» qui va apaiser les rancoeurs, surtout lorsque l’on connaît l’efficacité de ces gadgets. Cela d’ailleurs n’a fait que renforcer et confirmer la prise de conscience de l’apparent désintérêt de l’administration Obama pour l’Europe par certains Européens (à part quelques irréductibles dont M.Sarkozy et quelques membres du musée paléontologique de Saint Germain des Prés). 


La mort du président polonais changera t’elle donc quelque-chose à cette évolution ? En vérité elle n’en modifiera probablement pas la direction mais certainement la cadence car il n’y aura plus de résistance à cette impulsion de la politique étrangère polonaise voulue par son Premier Ministre et désormais par son Président par intérim M. Komorovski, qui a d’ailleurs de fortes chances de devenir le prochain Président de la Pologne. Et il faut relever que la Russie ne ménage pas ses efforts pour que cette évolution se produise dans les meilleurs délais et les meilleures conditions, comme l’ont démontré les discours et les gestes de la direction russe le 1er Septembre dernier ainsi que lors de la cérémonie à Katyn il y a quelques jours, cérémonie que le défunt Président Kaczynski a boycotté en raison de la présence du Premier Ministre russe; probablement aussi pour se démarquer de son propre Premier Ministre à des fins purement électorales.


Cet accident pourrait donc avoir trois conséquences principales:


La première serait une soudaine accélération de l’amélioration des rapports de la Russie avec les ex-pays de l’Est, ce qui est déjà en cours d’ailleurs avec la Slovaquie entre autre. Mais la Pologne est le plus important des ex-pays de l’Est et son attitude débloquera significativement la situation à ce niveau.


La seconde, qui découle logiquement de la première, est que les relations russo-européennes ne pourront que s’améliorer significativement puisque les opposants à la Russie, principalement mené par le Président polonais, n'existent plus, où en tout cas seront désormais extrêmement affaiblis au point de n’être plus en mesure de se faire entendre. Cela d’autant moins que la France et l’Allemagne sont non seulement très désireux d’améliorer leurs relations avec la Russie mais d’étendre ces relations à des accords  de partenariat plus stratégiques. Si on y ajoute la Pologne la résistance sera très difficile.


Cela nous amène à la troisième conséquence qui concerne la défense européenne. Il semblerait, à ce sujet, qu’une intégration de la Russie à une défense européenne ne soit plus aujourd’hui aussi tabou que cela ne l’était. Cela d’autant moins que la Russie elle-même serait en train de détendre sa position à ce sujet. Que ce soit en reprenant l’initiative Medvedev où d’une tout autre manière, comme une entrée de la Russie dans l’Otan par exemple; à terme donc il est très probable que les choses vont se mettre à bouger significativement. 

Dans cette dernière hypothèse prenons en compte une fois encore l’effondrement de la puissance US  qui laisse petit à petit un vide que les autres puissances régionales s’emploient à combler. Il devra en être de même en Europe. Les Américains seront donc amenés à se désengager d’Europe, notamment parce-que la menace soviétique n’existe plus et que les pays abritant les missiles nucléaires US n’en veulent plus et l’ont fait savoir, à commencer par l’Allemagne. De plus il est très probable qu’avec l'aggravation de la crise générale, et particulièrement de la situation financière US, les USA ne soit un jour contraint de se retirer d’Europe totalement, sans parler du reste du monde, comme nous en avions déjà fait l’hypothèse dans cette rubrique le 22 Février 2009 lors de l’entrée de la France dans l’Otan. L’Europe serait d’ailleurs un des tout premiers à bénéficier d’un retrait des troupes US, par mesures d’économie drastiques, étant donné le manque désormais cruel de justification de leur présence sur le sol européen.


Alors non, ce n’est pas la disparition du défunt président polonais qui changera le cours des événements car ces derniers étaient déjà bien entamés de son vivant, malgré son opposition farouche.

Ironiquement en revanche, sa disparition risque d’accélérer singulièrement le rapprochement de la Russie avec la Pologne et les ex-pays de l’Est, et de facto avec l’Union Européenne ce qui amènera la question de la défense Européenne sur la tapis sur fond de retrait US et de la pression immense de la crise qui s’approfondit toujours plus.


Mais pour le moment tout le monde est content à Cochon sur Terre, le meilleur des mondes.

Aucun commentaire: