dimanche 12 avril 2009

Petite histoire de la crise financiere pour les sains d'esprit...

Nous nous contenterons ici de raconter et de tenter d’expliquer comment ce que l’on appelle « la crise », c'est-à-dire la composante financière du désastre avec lequel nous commençons seulement à faire connaissance et dont nous n’avons vu pour le moment qu’une infime partie, comment donc cette crise financière s’est développée dans l’ombre pour finir par exploser. Contrairement à ce que l’on nous raconte cette catastrophe qui menace de nous submerger n’a pas débuté par l’écroulement des banques ; ce n’est là qu’un des symptômes d’un phénomène beaucoup plus vaste et bien plus grave dont les prémisses sont contemporaines des premières décennies de ce que l’on a appelé l’époque moderne.
En nous en tenant pour le moment uniquement à l’histoire de cette crise financière nous devrons revenir quelques années en arrière lorsque l’Administration Clinton commença à lâcher les rênes aux banques et aux institutions financières. Rassurez-vous nous serons en pays de connaissance, car si les années ont passé et ne se ressemblent pas forcément, les individus eux non seulement n’ont pas passé de mode mais sont donc toujours là, fidèles aux postes. Vous verrez dans la longue suite de cet article que cela pourrait bien expliquer les nombreuses et coûteuses bizarreries qui se produisent sous nos yeux en ce moment même.

- Dérégulations

USA - Années 1999-2000 – L’administration Clinton est sur le départ. Un certain Larry Summers, ancien numéro deux du Trésor sous Robert Rubin (ex banquier chez Goldman Sachs pendant 26 ans, Secrétaire au Trésor 1995 – 1er Juillet 1999) promu au poste de Secrétaire au Trésor (1er Juillet 1999-2001) lorsque son supérieur Robert Rubin déjà cité, devint vice-président de Citigroup ; Summers réussit alors à convaincre le Président Clinton de signer certaines propositions de lois d’origine républicaine afin de leur donner force de loi. Ce qui advint. Quelles furent ces lois ?
- La première (12 Novembre 1999) consista à abroger la loi de 1933 « Glass-Steagall » qui fût crée et votée en pleine Dépression pour interdire la fusion de banque de dépôt et de banque d’affaire. Même si cette loi était déjà battue en brèche depuis des années la constitution de la banque Citigroup n’aurait pu se faire sans elle (pure coïncidence bien sûr avec le fait que Robert Rubin devint vice-président de cette même banque après avoir été Secrétaire au Trésor.: « In November 1999, senior regulators—including Mr. Greenspan and Mr. Rubin—recommended that Congress permanently strip the CFTC of regulatory authority over derivatives. » (Source : NY Times). Monsieur Rubin démissionna de Citigroup le 9 Janvier 2009 après avoir touché $ 126 millions au cours de ces neuf années passées dans cette banque, probablement pour services rendus…
- La seconde loi fût le « Commodity Futures Modernization Act », signée par le Président Clinton le 21 Décembre 2000 ; elle abrogeait le « Shad-Johnson Juridictional Act » de 1982 qui interdisait les « Single stock Futures » et fût fortement recommandée par certains qui ne nous sont pas inconnus :

« In November 1999, senior regulators—including Mr. Greenspan and Mr. Rubin—recommended that Congress permanently strip the CFTC of regulatory authority over derivatives. » (Source: NY Times).

Cette seconde loi empêchait l’Agence Gouvernementale US de régulation (CFTC) d’avoir un quelconque contrôle sur le marché des dérivés financiers, tels que les fameux « credit default swaps » qui provoquèrent la catastrophe de AIG, ces mêmes produits que Warren Buffet catalogua comme : « weapons of financial mass destruction ». Cette loi a été citée par de nombreuses personnalités de l’économie comme ayant été à l’origine directe de la faillite d’Enron en 2001 et de la crise générale d’insolvabilité de Septembre 2008 qui mena à la faillite de Lehman Brothers, sans parler des plans massifs de sauvetage de AIG et des banques US sur lesquels nous reviendrons un peu plus loin.
L’actuel Secrétaire d’Etat au Trésor Timothy Geithner, quant à lui, servira sous deux de ses prédécesseurs de 1999 à 2001 : Robert Rubin et Larry Summers, désormais lui-même « Obama’s Chief Economic Advisor ». Ce qui permet d’affirmer que ceux que l’on a chargé d’endiguer la crise sont les mêmes que ceux qui l’ont provoqué en faisant passer des lois qui abrogèrent toutes les régulations antérieures qui avaient permis de protéger l’économie et les marchés contre les excès dus à la cupidité humaine qui engendre souvent des prises de risques irresponsables.

- Septembre 2004 : Alerte du FBI sur le danger que recèlent les produits dérivés et le parallèle avec la « S&L crisis ».

Cette dérégulation massive des produits dits dérivés entraîna des excès très rapidement (dés 2001 avec l’affaire Enron) au point que le FBI rédigea un rapport sonnant l’alarme sur le danger que cela pouvait entraîner. C’était en le 17 Septembre 2004:

Rampant fraud in the mortgage industry has increased so sharply that the FBI warned Friday of an "epidemic" of financial crimes which, if not curtailed, could become "the next S&L crisis." (Source: CNN 17.09.04).

La crise des « Savings and Loans » sévit entre 1980 et 1993, période durant laquelle plus de 1600 banques firent faillite ou bénéficièrent d’une aide du FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation). Cette crise financière d’origine immobilière fût en partie due à une mauvaise gestion des dépôts, à des prêts risqués attribués de manière inconsidérée et surtout à des fraudes ; cette crise coûta environ $150 milliards aux contribuables américains (1993). Le FBI avait raison. La crise dite des subprimes qui déclencha le désastre dans lequel nous sommes plongés aujourd’hui fût en quelque sorte « the next S&L crisis ». Ce qui est encore plus affligeant est qu’à l’époque de ce rapport la crise aurait pu être évitée. Malheureusement personne ne fît rien pour l’éviter, bien au contraire puisque les prêts douteux furent encouragés sans aucune restriction ni vérification de la qualité des emprunteurs. Si le FBI avait raison de tirer le signal d’alarme il ne pouvait imaginer combien l’échelle de la crise précédente (S&L) paraîtrait enviable en comparaison de ce qui allait exploser au grand jour quatre ans plus tard (Septembre 2008).

- Une épidémie de fraudes.

Une dérégulation systématique de l’utilisation des produits dérivés, l’absence presque complète de contrôle de ces mêmes opérations de la part d’un organisme institutionnel et des systèmes de compensation douteux aboutit immanquablement à la création spontanée d’un environnement encourageant la fraude comptable et le maquillage des pertes. Le schéma en est relativement simple même si cela parait aujourd’hui incroyable.

- L’emprunteur mentait à la banque en lui donnant de faux renseignements sur ses capacités à rembourser le prêt demandé et sur l’utilisation du bien immobilier qu’il achetait. D’après le FBI une grande partie des fraudes vinrent du fait que les acheteurs déclaraient que le bien immobilier pour lequel ils empruntaient serait leur résidence afin de bénéficier des avantages y afférant. Dans la majeure partie des cas c’était faux car ils n’achetaient qu’avec l’idée de revendre rapidement en spéculant sur la hausse de l’immobilier pour faire une rapide plus-value à la revente avant d’être contraints de rembourser un emprunt auquel ils ne pouvaient faire face depuis le départ.
- D’après le FBI les prêteurs de première instance, c'est-à-dire les établissements qui prêtaient de l’argent à des individus pour acheter un bien immobilier, furent complices de leurs clients dans 80% des fraudes, voire les encourageaient à ne pas dire la vérité pour avoir des contrats plus intéressants. C’est ce qu’on appelait les « liar’s loans » avec lesquels furent constitués les fameux « produits dérivés ». Afin d’améliorer leurs profit à court terme les banques accordèrent de plus en plus de prêts à des emprunteurs de moins en moins solvables et n’offrant aucune garantie. Pourquoi ? D’une part parce-que chaque dossier traité rapportait de l’argent à la banque, d’autre part plus le prêt était risqué pour la banque plus le taux d’intérêt du prêt était élevé, sans compter la revente aux établissements qui les transformeraient en produits dérivés. Pour éviter d’avoir à refuser une opération aussi lucrative les banques ne vérifiaient même plus les informations mensongères données par les emprunteurs quant elles prenaient encore la peine d’en demander ; c’est ainsi qu’on se rend compte aujourd’hui que bien souvent les demandes de prêt ne contiennent aucune information sur l’emprunteur (ce qui a des conséquences importantes aujourd’hui sur lesquelles nous reviendrons plus loin). La fraude était si répandue que n’importe qui aurait pu s’en apercevoir immédiatement en regardant une simple demande d’emprunt, ce qui se produisit après le début de la crise lorsqu’un analyste de l’agence de notation Fitch finit par faire une enquête sur le problème en Novembre 2007 :

In the absence of effective underwriting, products such as “no money down” and “stated income” mortgages appear to have become vehicles for misrepresentation or fraud by participants throughout the origination process.”(Source: The impact of poor underwriting practices and fraud in Subprime RMBS performance – Fitch Report 13 November 2007).

Fitch believes that much of the poor underwriting and fraud associated with the increases of affordability products was masked by the ability of the borrower to refinance or quickly resell the property prior to the loan defaulting, due to rapidly increasing home price.”(Source: The impact of poor underwriting practices and fraud in Subprime RMBS performance – Fitch Report 13 November 2007).

“…the results were disconcerting, in that there was appearance of fraud in nearly every file we examined.”(Source: The impact of poor underwriting practices and fraud in Subprime RMBS performance – Fitch Report 13 November 2007).

- Les banques et institutions financières qui achetaient sciemment ces « liar’s loans » aux établissements prêteurs et qui les regroupaient dans des « pools » pour créer des dérivés financiers (fondés sur des prêts à des individus insolvables, ou sans aucunes garanties) ne vérifièrent jamais la qualité de ces mêmes prêts. Et ces nouveaux produits dérivés furent revendus à des investisseurs qui ne se préoccupèrent de rien non plus. Pourquoi ?
- Parce-que ces « pools » comme on dit, ces regroupements de prêts douteux à hauts rendements, à court terme en tout cas, bref ces dérivés financiers bénéficiaient de notes positives de la part des agences de notation. C'est-à-dire que tous ces « toxics assets » étaient notés AAA ce qui signifie « sans aucun risque » ou « risk free », c'est-à-dire l’équivalent des Bonds du Trésor US. Non seulement ces agences de notation donnèrent les meilleures notations à ces bombes à retardement mais en plus elles ne firent aucun contrôle pour s’assurer que ce qu’elles disaient était vrai jusqu’au jour ou le marché se retourna et ou ses acteurs commencèrent à se pencher sur la question. Ce fût en 2007. C’était trop tard.

- Le rôle des agences de notation.

Le rôle des agences de notation, « credit ratings agencies », est absolument essentiel pour comprendre ce qui s’est passé. Entre 2000 et 2007 Wall Street émit une énorme quantités de nouveaux produits financiers, dits « dérivés », « subprimes », CDO, toujours plus complexes et basés sur les « liar’s loans ». Ces nouvelles inventions étaient si compliquées que plus personne ne comprenait ce que cela recouvrait. De plus il faut garder à l’esprit que dans ce contexte entièrement dérégulé (voir plus haut) il n’y avait plus aucun garde-fou contre ce que le FBI nomma « an epidemic of financial crime ». Lorsque le Rep. Henry Waxman déclara le 22 Octobre 2008 (dans le cadre de l’enquête du Congrès sur le rôle des agences de notation dans la crise), que « the leading rating agencies are essential financial gatekeeper » (1), il sous-estimait le problème ; elles n’étaient pas « essential » elles étaient les seules et uniques « gatekeepers » encore en place puisque le gouvernement avait abandonné son propre rôle de « gatekeeper » de dernier ressort. Le problème majeur était désormais de savoir jusqu’à quel point leurs avis pouvaient rester suffisamment indépendants pour guider les investisseurs correctement. D’où l’importance fondamentale et involontaire que prirent les agences de notation dans l’achat et la vente de ces produits :

- les investisseurs ne pouvaient plus se fier qu’aux notes de ces agences pour savoir, non pas ce qu’ils achetaient puisque personne n’en savait rien, mais bien la qualité de leurs achats, c'est-à-dire leur fiabilité, leur perméabilité au risque.
- les banques qui créaient ces produits dérivés à partir de prêts immobiliers à risque, ces « liar’s loans », avaient besoin des agences de notation pour inciter les investisseurs à acheter leurs produits hautement toxiques. Ils avaient un besoin vital de voir ces derniers se transformer miraculeusement en cash machine dés qu’ils obtenaient la note magique AAA grâce à laquelle les investisseurs se précipitaient pour les acquérir.

Ces deux facteurs accrurent la pression sur les agences de notation et malheureusement l’indépendance de ces dernières fut mise encore plus à mal lorsqu’elles virent leurs revenus affectés de manière spectaculaire par leurs attributions de notes AAA à ces produits dérivés plus que douteux crées par les banques : ils passèrent de $3 milliards en 2002 à $6 milliards en 2007 (1). C’est ainsi que les agences de notation finirent par attribuer leurs notes AAA sans même demander les documents qui pouvaient leur permettre de soumettre la solidité des produits à leurs propres analyses sur lesquelles reposait la confiance des investisseurs. Cette manière de faire était déjà en place dés l’année 2001 comme le prouve ce qui suit :

In 2001 Mr Raiter (from S&P) was asked to rate an early collateralized debt obligation called “Pinstrip”. He asked for the collateral tapes so he could assess the credit worthiness of the home loan backing the CDO. This is the response he got from Richard Gugliada, the managing director:
“Any request for loan level tapes is TOTALLY UNREASONABLE!!! Most investors don’t have it and can’t provide it. Nevertheless we MUST provide a credit estimate…
It is your responsibility to provide those credit estimates and your responsibility to devise some method for doing so.”
Mr Raiter was stunned. He was being directed to rate “Pinstrip” without access to essential credit data. He e-mailed backed:”This is the most amazing memo I have ever received in my business career
.”(1) (Les lettres en majuscule et les points d’exclamation sont d’origine).

Comme on le voit dés le début, c'est-à-dire dés que la dérégulation fût effective (2000-2001), le système d’aveuglement volontaire, c'est-à-dire de fraude, était en place à tous les niveaux, les sommes en jeux étant trop importantes pour être ignorées. Les agences de notation n’eurent donc pas d’autres solutions que d’occulter volontairement les documents qui leur auraient permis de se faire une opinion indépendante sur les produits que les banques leur demandaient de noter AAA si elles voulaient continuer à voire leurs profits exploser. Sans quoi elles n’auraient eu que deux choix : 1) soit déclarer ces produits comme hautement dangereux ou « toxic assets », ce qui les rendaient invendables. 2) soit prouver leur participation dans la fraude générale en les notant favorablement après avoir examiner des documents qui prouvaient sans aucuns doutes combien ces produits étaient dangereux.
On connaît leur choix.

The story of the credit rating agencies is a story of colossal failure. The credit rating agencies occupy a special place in our financial markets. Millions of investors rely on them for independent, objective assessments. The rating agencies broke this bond of trust, and federal regulators ignored the warning signs and did nothing to protect the public. The result is that our financial system is now at risk.”(1)

En vérité les agences de notation trompèrent les investisseurs en ignorant délibérément les documents qui auraient pu leur permettre d’alerter le monde entier sur les dangers encourus par l’achat de « produits dérivés ». Par cette ignorance volontaire elles renièrent leur raison d’être et permirent à la catastrophe que nous connaissons d’arriver.

- « Sauver le système bancaire » : qu’est ce que cela signifie ?

Aujourd’hui nous faisons face aux conséquences de sept ou huit années de folie irresponsable au cours desquelles tous les acteurs jouèrent avec le feu pour finir par faire sauter la maison toute entière. La maison est en flamme mais contrairement à ce qu’il serait rassurant de croire tout n’a pas encore fini de brûler et il reste encore beaucoup de braises incandescentes sous la cendre. Prévenir une recrudescence de l’incendie et l’écroulement de la bâtisse toute entière est la préoccupation principale du gouvernement US. Dans cette perspective le gouvernement US n’a d’ailleurs pas ménagé sa peine puisque les plans se succèdent les uns après les autres depuis le mois de Septembre, tous avec le même objectif officiel : sauver le système bancaire de la faillite. Mais qu’est-ce que cela signifie réellement ? Qui dans le système bancaire US est en banqueroute aujourd’hui ? En d’autres termes combien de banques sont-elles concernées par le risque de faillite à cause des produits dérivés? 1000, 500, 100 ou 10 ?
Apparemment seulement cinq !

Today, five US banks, according to data in the just-released Federal Office of Comptroller of the Currency’s Quarterly Report on Bank Trading and Derivatives Activity, hold 96% of all US bank derivatives positions in terms of nominal values, and an eye-popping 81% of the total net credit risk exposure in event of default. The top three are, in declining order of importance: JPMorgan Chase, which holds a staggering $88 trillion in derivatives; Bank of America with $38 trillion, and Citibank with $32 trillion. Number four in the derivatives sweepstakes is Goldman Sachs, with a mere $30 trillion in derivatives; number five, the merged Wells Fargo-Wachovia Bank, drops dramatically in size to $5 trillion. Number six, Britain's HSBC Bank USA, has $3.7 trillion.”(Source : William Engdhal – Asia Times (2)

Les chiffres cités ne sont pas croyables, ils semblent inventés et nous avons même cru à une erreur en en prenant connaissance si bien que nous sommes allés vérifier par nous-mêmes sur le site du gouvernement. Et nous sommes au regret de devoir vous les confirmer (sources : http://www.occ.treas.gov/). Pour résumer les positions de ces cinq banques US représentent 96% des positions sur les dérivés de toutes les banques US pour une somme de (accrochez-vous à votre siège !) $193 trillions de dollars… (Toujours là ?)…
Que nous révèlent ces chiffres invraisemblables ? Ils nous montrent que les cinq banques les plus importantes de Wall Street sont les plus exposées aux risques d’insolvabilité (81% du total) par leurs folles prises de risques. Nous pouvons remarquer d’ailleurs que la plupart de l’argent sorti de la planche à billet de la Réserve Fédérale, c'est-à-dire de la poche du contribuable américain, n’a servi qu’à renflouer directement ou indirectement ces cinq banques, y compris le renflouement d’AIG et le dernier plan PPPIP concocté par le Secrétaire au Trésor Geithner. Or ces plans n’ont jusqu’à présent servi à rien sinon à gaspiller de l’argent qui aurait été nettement plus utile s’il avait été employé à d’autres fins, comme par exemple mettre sur pied un système d’assurance et de chômage décent, surtout au moment ou ce dernier s’accroît à une moyenne de 600.000 personnes par mois. La question qui nous vient à l’esprit est la suivante : pourquoi tous ces plans qui ont déjà coûté à peu près $ 2.000 milliards ne parviennent-ils pas à éponger les dettes de ces banques ? Car dans l’hypothèse où il soit impératif de les sauver de la faillite (ce qui est plus que discutable) pourquoi ne pas leur donner toutes les sommes nécessaires pour les sortir du trou et gagner du temps contre la crise qui se déploie toujours plus au fur et à mesure que le temps passe ? Pourquoi ne pas dire ce dont elles ont besoin une fois pour toute ? Nous avons effleuré la réponse à cette question plus haut. C’est très simple : d’une part çà leur est impossible parce que personne ne sait quels sont les montants des pertes réelles, à commencer par les banques elles-mêmes, et d’autre part elles ne veulent pas révéler les montants des pertes qu’elles connaissent car cela montrerait qu’elles sont insolvables ce qui les placeraient aussitôt sous le coup de la loi PCA. En effet comment pourraient-elles connaître la totalité de ces montants puisqu’elles ne possèdent même pas de dossiers d’emprunts fiables (quant il y en a !), ces « liar’s loans » sur lesquels elles ont bâtis leur châteaux de cartes ; c'est-à-dire à partir desquels tous ces produits financiers ont été constitués en pools, revendus, triturés et torturés jusqu’à ce que plus personne ne sache qui possède quoi, à part des chiffres truqués et gonflés démesurément à chaque étape du désastre, chiffres qui n’ont plus aucun rapport avec le monde concret. Ce ne sont plus que des signes étranges inscrits sur du papier, ou plutôt sur des écrans d’ordinateurs trop stupides pour signaler que quelque chose ne tourne pas rond, des hiéroglyphes devenus incompréhensibles pour ceux là même qui les ont inventé. C’est pour cette raison que les plans de sauvetage succèdent aux plans de sauvetages car les banques sont incapables de faire face à chaque fois qu’une perte ou une nouvelle dépréciation d’actifs les surprend et vient s’ajouter aux précédentes ; et ce d’autant moins qu’elles ne peuvent matériellement pas prévoir ce qui va leur tomber dessus d’un mois à l’autre puisqu’il n’existe pas les pièces nécessaires à établir l’étendue de la catastrophe. Mais est-ce bien la seule raison ?

- L’oligarchie ?

Depuis plusieurs semaines de nombreuses voix se font entendre et trouvent un écho de plus en plus grand dans les médias et auprès du public pour protester contre le traitement de faveur réservé par le gouvernement US aux banques de Wall Street, celles là mêmes qui sont en grande partie responsable de ce qui est arrivé. Deux questions sont adressées publiquement sous forme d’exigences de plus en plus fortement exprimées :
- La première est la suivante : Pourquoi le gouvernement US ne place t’il pas ces banques en faillite sous « receivership » comme l’exige le système de régulation financière mis en place en 1991 pour éviter qu’une nouvelle catastrophe comme la « Savings & Loans Crisis » ne se reproduise ? Il s’agit du « Prompt Corrective Action » ou PCA grâce auquel une première crise des subprimes fût étouffée dans l’oeuf en 1992-1993. M. William Black (former Director for the Institute for Fraud Prevention) explique très clairement ce que prévoit le PCA dans le cas ou une banque est insolvable :

Whatever happened to the law (Title 12, Sec. 1831o) mandating that banking regulators take "prompt corrective action" to resolve any troubled bank? The law mandates that the administration place troubled banks, well before they become insolvent, in receivership, appoint competent managers, and restrain senior executive compensation (i.e., no bonuses and no raises may be paid to them). The law does not provide that the taxpayers are to bail out troubled banks.”(Source: Huffington Post – 23.02.09 – William Black (3 voir bio à la fin de l’article))

We have a law that says when banks are at or near insolvency private shareholders should be eliminated unless we can arrange a transaction that has no cost to the FDIC. Receiverships produce "private institutions." The FDIC manages the failed institution only long enough to get it in shape to be sold at the least cost to the taxpayers. Receiverships end unnecessary bailouts of private shareholders, reducing the cost to the FDIC, as the law requires. Receiverships place banks back in the hands of new shareholders” (Source: Huffington Post – 23.02.09 – William Black (3)

La seconde question qui fait suite à la première est la suivante
- Pourquoi le Congrès n’a-t-il pas constitué une commission d’enquête sur les causes de cette crise, comme celle qui avait été mise sur pied en 1933, la fameuse Pecora Commission, afin de comprendre ce qui s’était passé pour éviter que cela ne se reproduise à nouveau ?

Pourquoi n’applique t’on pas le PCA pour assainir la situation des banques le plus vite possible et se donner ainsi une chance de se sortir le moins mal possible de cette dépression puisque tout est déjà prévu par la loi pour assainir les banques et les revendre aux moindres coûts pour le contribuable américain.?
Si officiellement personne n’a jamais répondu à cette question, certains ont soutenu que les banques étant la propriété de holdings et la loi ne s’appliquant pas à ces entités mais exclusivement aux banques, cela empêcherait la mise sous « receivership » de ces banques pourtant bel et bien américaines (surtout lorsqu’il s’agit d’être renfloué à moindre coût par le Trésor US). Argument extrêmement faible et spécieux qui ne peut cacher la volonté d’épargner aux actionnaires et aux dirigeants de ces établissements les conséquences de leurs irresponsabilités et de leurs malversations comptables. Voici ce que déclare Mr Black à ce propos :

“… banks are the issue. U.S. banks have FDIC insurance and are subject to the PCA law, regardless of whether they are owned by a BHC (holding). Deposit insurance covers only insured banks, not BHCs, so the FDIC, the Treasury and the taxpayers do not owe any obligation to pay their creditors. If the commentator is worried that BHCs will escape receivership, s(he) need not fear. BHCs and insurance companies such as AIG are subject to the bankruptcy laws, which can be used to block and even “claw back” excessive and fraudulent executive compensation. (Treasury is also requesting Congress to grant it authority to place BHCs and some insurers into receivership.)”(William Black – “On the prompt Corrective Action Law”)

Par conséquent rien dans les textes ne s’oppose ni à l’application du PCA dans les plus brefs délais et encore moins à la constitution d’une commission d’enquête par le Congrès afin de comprendre ce qui s’est passé.
Y a-t-il une explication à ces bizarreries?
Au début du mois d’Avril Simon Johnson (ancien économiste en chef du FMI) a fait connaître publiquement sa version des faits, celle qui se trouve être la plus répandue aux USA, à la fois dans le public et de plus en plus ouvertement dans les médias. Ce fût un véritable pavé dans la mare non seulement en raison de la comparaison qu’il fait entre les USA et une « banana republic » mais aussi à cause de la caution qu’apporte sa position à cette vision des faits.

But I must tell you, to IMF officials, all of the crises looked depressingly similar. Each country, of course, needed a loan, but more than that, each needed to make big changes so that the loan could really work” (Simon Johnson – IMF former chief economist – The Atlantic)
(…)
No, the real concern of the fund’s senior staff, and the biggest obstacle to recovery, is almost invariably the politics of countries in crisis. Typically, these countries are in a desperate economic situation for one simple reason—the powerful elites within them overreached in good times and took too many risks. Emerging-market governments and their private-sector allies commonly form a tight-knit—and, most of the time, genteel—oligarchy, running the country rather like a profit-seeking company in which they are the controlling shareholders.” (Simon Johnson – IMF former chief economist – The Atlantic)
(…)
In its depth and suddenness, the U.S. economic and financial crisis is shockingly reminiscent of moments we have recently seen in emerging markets (and only in emerging markets): South Korea (1997), Malaysia (1998), Russia and Argentina (time and again).” (Simon Johnson – IMF former chief economist – The Atlantic)
(…)
But there’s a deeper and more disturbing similarity: elite business interests—financiers, in the case of the U.S.—played a central role in creating the crisis, making ever-larger gambles, with the implicit backing of the government, until the inevitable collapse. More alarming, they are now using their influence to prevent precisely the sorts of reforms that are needed, and fast, to pull the economy out of its nosedive. The government seems helpless, or unwilling, to act against the” (Simon Johnson – IMF former chief economist – The Atlantic)

Tout cela n’est-il qu’une vision de paranoïaque anti-capitaliste et néo-bolchevique de surcroît ? En réalité la plupart des critiques américains de la politique économique et financière du gouvernement US, et ils sont de plus en plus nombreux, ne sont pas le moins du monde anti-capitaliste et encore moins socialistes ou néo communistes. Chacun critique l’abrogation du Glass-Steagall Act et du Shad-Johnson Security Act de 1982, deux mesures qui furent directement à l’origine de la crise en ce qu’elles ont supprimé tous garde-fou à la « créativité » financière et à la malversation puisqu’il n’y avait plus de contrôle sur les marchés des produits dérivés. En ce qui concerne ces deux abrogations une autre critique existe également, une critique qui rejoint tout ce qui a été dit jusqu’à maintenant à propos de cette oligarchie financière et qui en précise les contours. Elle est bien résumée par William Engdahl :

What Geithner does not want the public to understand, his "dirty little secret", is that the repeal of Glass-Steagall and the passage of the Commodity Futures Modernization Act in 2000 allowed the creation of a tiny handful of banks that would virtually monopolize key parts of the global "off-balance sheet" or OTC derivatives issuance.” (Source: Asia Times)

Cette opinion est largement corroborée par les faits ; par exemple le lobbying intense qu’exercèrent ces banques au Congrès : on sait par exemple qu’elles dépensèrent $5 milliards (Source : William Engdhal – Asia Times (2) pour faire abroger les deux lois citées plus haut permettant la dérégulation tant controversée aujourd’hui mais acceptée alors par tout le monde, démocrates comme Républicains. Or nous savons que les cinq banques américaines (JP Morgan Chase, Citigroup, Bank of America, Goldman Sachs, Wells Fargo-Wachovia) qui détiennent à elles seules 96% du marché des dérivés aux USA et se partagent 81% des risques (Sources déjà citées) sont celles qui furent les plus actives à soutenir la dérégulation. Ce sont celles là également, comme déjà dit, qui sont les principales bénéficiaires des différents plans de soutiens successifs et ce sont elles encore qui fournissent régulièrement de hauts fonctionnaires au gouvernements et inversement. Ce sont elles qui concentrent les liens incestueux qui existent depuis une décennie au moins entre l’administration et le Congrès d’une part et Wall Street d’autre part. Il est de notoriété publique que de très nombreux passages se font en permanence de l’un à l’autre comme le montrent éloquemment les cas de Robert Rubin (26 chez Goldman Sachs avant d’être nommé Secrétaire au Trésor pour finir Vice-Président de Citigroup) et de Henry Paulson (lui aussi CEO de Goldman Sachs avant de devenir Secrétaire au Trésor). Aujourd’hui les accusations contre ces liens qui frisent le conflit d’intérêt se font plus fortes au fur et à mesure que les sommes d’argent destinées à sauver ces banques augmentent à chaque plan qui passe tandis que les managers de ces établissements sont toujours aux commandes ; à ce titre la différence de traitement entre ces derniers et le Président de GM releva presque de la provocation et la presse US ne manqua pas de souligner ce fait; pendant ce temps le Secrétaire au Trésor et le Conseiller économique de la Maison Blanche d’aujourd’hui sont les pères fondateurs de la dérégulation d’hier !

- La réaction populaire.

Aujourd’hui même, le 11 Avril 2009, une série de manifestation est prévue à travers les USA, organisée en dehors des circuits officiels. Ces actions, dont on ne sait pas encore ce qu’elles donneront ni à quoi elles aboutiront, furent mises sur pied grâce à Internet (www.anewwayforward.org). Le but est de faire entendre l’opinion des américains aux membres du Congrès et de l’Administration, c'est-à-dire de les forcer à prendre des mesures contre les banques et l’oligarchie financière. Le programme brièvement résumé sur le site recoupe ce que prônent nombre d’économistes, y compris le prix Nobel d’économie Paul Krugman :

NATIONALIZE: Experts agree on the means -- Insolvent banks that are too big to fail must incur a temporary FDIC intervention - no more blank check taxpayer handouts.

REORGANIZE: Current CEOs and board members must be removed and bonuses wiped out. The financial elite must share in the cost of what they have caused.

DECENTRALIZE: Banks must be broken up and sold back to the private market with strong, new regulatory and antitrust rules in place-- new banks, managed by new people. Any bank that's "too big to fail" means that it's too big for a free market to function.

Cette série de manifestation est dirigée à la fois contre les banques et leurs dirigeants mais aussi contre le Congrès et l’Administration perçus tous les trois comme ayant les mêmes intérêts qui ne sont pas ceux du peuple américains. Pourtant que les gauchistes attardés de tous poils ne crient pas à la victoire du prolétariat car il ne s’agit nullement du grand soir mais bien de remettre le système sur ses pieds sans oligarchie mettant en cause l’indépendance du gouvernement, comme c’est désormais la perception justifiée que peuvent en avoir de nombreux Américains.

Le rêve tourne mal, mais nous sommes toujours en plein rêve, qu’on ne s’y trompe pas ! Les rêveurs font face à des problèmes qui les agacent mais qui, s’illusionnent ils, font toujours partie de leur trip. C’est pourquoi dirigeants comme dirigés cherchent des solutions pour résoudre leur cauchemar qui, toutes, font parties prenantes de leur état de somnambules agités. En effet, dirigeants comme dirigés ne divergent pas (pas encore) sur les fins mais sur les solutions à apporter à leurs problèmes puisque tous cherchent à perpétuer leur rêve commun pour toujours. Il s’agit donc de continuer à dormir le plus agréablement possible en éliminant tous les risques de réveil les menaçant.
Jusqu’à quand ? Quant le réveil se fera t’il ? Car ce que l’on nomme par convention “la crise”, elle, s’étend toujours plus, toujours plus vite et elle n’attend personne. Et plus on tarde à se réveiller plus il sera difficile de faire face aux problèmes qui se dressent face à nous tous, des problèmes qui ne se limitent pas, très loin de là, à une poignée de banquiers imbéciles ou à une question de liquidités ou même d’insolvabilité générale. Nous devrions même affirmer que ces questions constituent un paravent derrière lequel s’abritent les menaces véritables qui continuent à se développer inexorablement. Et les criailleries que l’on entend de tous côtés à ce propos ne font que masquer cette réalité de « la crise » qui a une ampleur telle qu’il nous faudrait des dirigeants dignes de ce nom, des hommes aptes à saisir la grandeur de la catastrophe qui nous menace tous. Pour le moment il n’y en a pas, ou en tous cas aucun ne s’est fait connaître.
Nous ressemblons à ces habitants de l’île de Pâques (4) qui coupèrent le dernier arbre de leur île après les avoir tous abattus les uns après les autres sans avoir pris aucune précaution pour en replanter, agités qu’ils étaient par leurs rivalités et leurs guerres intestines, aveuglés par leur immaturité tragique et leur incapacité à remettre en cause un mode de vie qui les condamnaient à la disparition.
Le dernier arbre abattu les fit-il sortir de leur rêve ?
Ce n’est même pas sûr…




(1) – Opening statement of Rep. Henry A. Waxman, Chairman, Committee on oversight and Government Reform – Credit Rating Agencies and Financial Crisis – October 22 2008-
(2) - F William Engdahl est l’auteur de: A Century of War: Anglo-American Oil Politics and the New World Order; and Seeds of Destruction: The Hidden Agenda of Genetic Manipulation. Son dernier livre: Full Spectrum Dominance: Totalitarian Democracy in the New World Order (Third Millennium Press) doit sortir en librairie à la fin du mois d’Avril.
(3) - Bill Black is an Associate Professor of Economics and Law at the University of Missouri – Kansas City (UMKC). He was the Executive Director of the Institute for Fraud Prevention from 2005-2007. He has taught previously at the LBJ School of Public Affairs at the University of Texas at Austin and at Santa Clara University, where he was also the distinguished scholar in residence for insurance law and a visiting scholar at the Markkula Center for Applied Ethics. He was litigation director of the Federal Home Loan Bank Board, deputy director of the FSLIC, SVP and General Counsel of the Federal Home Loan Bank of San Francisco, and Senior Deputy Chief Counsel, Office of Thrift Supervision. He was deputy director of the National Commission on Financial Institution Reform, Recovery and Enforcement. His regulatory career is profiled in Chapter 2 of Professor Riccucci's book Unsung Heroes (Georgetown U. Press: 1995), Chapter 4 (“The Consummate Professional: Creating Leadership”) of Professor Bowman, et al’s book The Professional Edge (M.E. Sharpe 2004), and Joseph M. Tonon’s
(4) - A lire sur ce sujet - Jared Diamond : « Collapse. How societies chose to fail or succeed. » - Viking Penguin 2005.
Edition française – Jared Diamond – “Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie. » - Gallimard 2006.

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