dimanche 19 avril 2009

Du Tanit et des pirates.

La prise d’otage du voilier « Tanit » a alimenté la chronique pendant au moins une semaine voire deux. Quelle aubaine pour tous, journalistes, politiciens, citoyens, tous égaux face à l’écran magique, tranquillement installés dans leur fauteuil chaque soir afin de vivre par procuration une aventure dont la plupart n’avait même plus l’imagination nécessaire pour en rêver…

Inutile de préciser que cette affaire, somme toute banale, a mis Cochon sur Terre en émoi. On en parle, on prend des airs consternés, on en blogue, on s’en moque, on s’afflige, on fustige, mais au bout du compte on n’y reste pas indifférent. Il est certain que tous les ingrédients nécessaires pour exciter notre société immaculée étaient réunis là comme par un fait exprès.
On connaît l’histoire : un jeune couple (27 et 29 ans) décide de partir sur un bateau à voile de 12,5m (un yacht selon certains !) sur les mers du globe afin de «fuir la société de consommation et sa routine pour vivre une vraie aventure au long cours». Vous imaginez l’horreur ! « Fuir la société de consommation » est déjà quelque chose d’incompréhensible pour un cervelas normalement irrigué de Cochon sur Terre. En effet pourquoi fuir cette merveilleuse société d’abondance et de bienfaits en tout genre qui s’efforce par tous les moyens possible et impossible de nous apporter tout ce dont nous avons besoin, et même et surtout ce dont nous n’avons pas besoin ? Et puis fuir pour quoi ? Fuir pour aller où ? Pour se retrouver dans des endroits étranges où les habitants n’ont pas de retraites, ou il n’y a pas de caméras pour nous protéger, de radar pour nous empêcher d’aller vite, de flics pour nous enlever la cigarette du bec, où les « Associations pour la Disparition de la Vie Privée »(ADVP), ou ce qu’il en reste, qui ont pour seul et unique objectif de dénoncer et poursuivre devant les tribunaux tous ceux qui ne marchent pas en rang et en bon ordre, n’existent pas ; sans compter les impôts, les cotisations multiples, les sacro saintes assurances contre la fièvre aphteuse, le chômage, la chaude pisse, le feu ou le manque de neige, toutes ces bonnes choses qui nous sont fournies avec notre reconnaissance la plus vive… Non, apparemment tout cela ils n’en n’ont plus voulu ces deux jeunes gens et ils ont tourné le dos à notre monde idyllique comme on le fait de mauvais souvenirs dont on ne veut plus entendre parler. Ils ont largué les amarres et sont partis à l’aventure.
Il y a un mot dans cette phrase qui n’a pas été relevé mais qui reste le plus important : le mot « routine ». C’est celui-ci qui constitue la clé pour comprendre pourquoi ces gens sont partis. Ils ont fui la routine qu’engendre systématiquement notre monde et, n’en déplaise à ceux qui en ont profité pour voir dans cette phrase une déclaration contre la société de consommation, ils l’auraient faite de la même manière pour une société socialiste puisque ces deux mondes engendrés par les mêmes causes engendrent à leur tour les mêmes effets. « Routine » ou « ennui » crées par le monde moderne, ses planifications et ses directives suffocantes sans cesse en déploiement, cet étouffoir à libertés.
Mais parce que l’aventure s’est terminée de manière tragique Cochon sur Terre triomphe, le plus hypocritement du monde bien entendu, et se venge ainsi de l’humiliation qui fût la sienne de voir ces deux « jeûnes » lui dire : « fuck you », ces « jeûnes » dont notre monde délicieux fait si grand cas, ces « jeûnes » qu’il s’échine à séduire par son confort en carton pâte et ces promesses de sécurité jusqu’à 90 ans, voire plus avec un peu de malchance. La lecture des commentaires des articles traitant de cette histoire nous livre un aperçu assez juste de ce qui agite Cochon sur Terre. On peut en voir deux catégories opposées :
- ceux qui fulminent contre les « inconscients qui mettent la vie des autres en danger », les proches (l’enfant !) et les sauveteurs, ces soixante huitards attardés qui crachent sur la société mais qui lui demandent du secours s’il leur arrive quoi que ce soit, sans parler du fait que toutes ces « conneries coûtent chères au contribuables » et qu’il faudrait désormais « faire une loi et interdire aux plaisanciers français de circuler dans cette région » (quelle chance une loi de plus !).
- et puis il y a ceux qui accusent les militaires de bavure scandaleuse, le gouvernement d’être incompétent, voire ceux qui y voient un complot ou qui affirment du fond de leur canapé que les pirates étaient inoffensifs et que jamais il n’y aurait eu de morts si on ne les avait pas attaqué… Cela deviendra peut-être la prochaine polémique avec constitution d’une Association pour la défense des pirates dont le nom pourrait être : « touche pas à mon pirate ! » par exemple. (Car il faut bien savoir que ce sont de gentils pirates qui n’auraient jamais fait de mal à une mouche et qu’ils se sont défendus parce qu’on les avait attaqués et que leurs armes c’était juste pour rire mais qu’ils n’avaient aucune intention de les utiliser, non mais !…) Et puis il sont pauvres ce qui explique sinon excuse tout ou presque.
Nous avons relevé deux commentaires, l’un répondant à l’autre, qui résument bien la polémique :

« Ces individus, même en prison, vont profiter - aux frais de la République, donc avec votre argent - de conditions de vie d'une qualité inconnue de la plupart des gens en Somalie. Logés, nourris, blanchis, accès aux soins, le cas échéant à une formation. Certes ils seront en prison, mais la misère n'est elle pas une prison ? Finalement, d'une manière ou d'une autre, le crime paie: comment en conséquence imaginer qu'il puisse être combattu efficacement ? » (Le Monde 14.04.09)

Il est certain que pour Cochon sur Terre « être logés, nourris blanchis, un accès aux soins et avoir droit à une formation (!)», cela constitue le maximum du bonheur, du confort et du bien être souhaitable ! C’est pourquoi notre contribuable est vraiment furieux de l’injustice qui lui est faite étant donné que ce n’est pas lui qui profitera de toutes ces merveilles mais de vulgaires pirates somaliens qui, si l’on extrapole un peu, seront comme des coqs en pâte dans nos prisons, jouissant d’une survie incomparablement meilleure que ne le leur aurait jamais permis leur misère somalienne. Mais le commentaire suivant donne une réponse inattendue à ceux qui expliquent les actions désespérées de ces pirates par leur état endémique de pauvreté due à cet Occident qui leur tond la laine sur le dos :

« Je travaille en Somalie, et lire que les pirates seront plus heureux en prison que dans leur "misère" m’a fait beaucoup rire... Les pirates passent leur temps libre a conduire leurs 4X4 dans le désert somalien, a se droguer au Khat, a coucher avec leurs multiples épouses et a se dorer au soleil... je doute qu’ils se plaisent dans une prison française, ou personne ne parle somalien et ou le khat est interdit. Avant d’écrire n’importe quoi, on se renseigne sur la culture somalienne svp » (Le Monde 14.04.09)

Voilà qui remet les choses au point malgré les doutes que nous pourrions émettre sur l’emploi du mot « culture » dans ce contexte. Dans tous les cas de figure, opposants, opposés, pour ou contre, Cochon sur Terre ne peut envisager que l’on ne veuille pas survivre selon ses codes de bonne ou mauvaise conduite, que l’on puisse s’affranchir de ses superstitions érigées en dogmes. Il faut entrer et rester dans le rang d’une manière ou d’une autre et ces réactions, indignées comme de juste, qui semblent s’opposer en apparence ne font en réalité que se compléter. Toutes n’ont pour objectif sous-jacent que de souligner la folie de vouloir remettre en question notre monde inénarrable et ce qui lui est associé, prouvant ainsi une fois encore combien il reste indépassable. Et dans cette affaire combien de fois ne sera pas revenu comme leitmotiv, ou plutôt comme psaume récité rituellement par tous, l’inconscience de ces deux « jeûnes » en abandonnant la sécurité de l’ennui planifié et régulé de notre société pour un inconnu plein de dangers, o combien excitant mais parfois mortels, comme ils le savaient et comme le savent tous ceux qui décident de larguer les amarres. C’est précisément le piment de l’affaire comme ne peuvent pas le savoir tous ces héros pour qui l’expédition au supermarché constitue le sommet de l’aventure, sans parler de prendre un auto-stoppeur sur l’autoroute !
C’est bien sur ce point là que convergent tous les commentaires que nous avons pris la peine de lire. Au-delà de leurs oppositions virtuelles, puisqu’elles se situent toutes dans le cadre rassurant de Cochon sur Terre, personne ne semble intégrer l’idée que, parfois encore, certains préfèrent l’inconnu, le danger et les risques qui leur sont inhérents (la mort), au confort et à la sécurité. Personne ne parait concevoir qu’au-delà d’un certain seuil la recherche de la sécurité et la liberté deviennent fondamentalement antinomiques et que plus l’une s’agrandit plus l’autre diminue collatéralement. Personne ne parait comprendre que certains choisissent volontiers l’insécurité et l’aventure, qui impliquent l’inconfort et le danger, plutôt que la climatisation et les caméras de sécurité, les produits bios et la télé-réalité. Personne ne s’est demandé pourquoi ce couple a fait ce choix plutôt que de rester tranquillement là où ils étaient, faisant de l’informatique pour l’un et tenant une boutique pour l’autre jusqu’à la fin de leurs jours… Personne ne peut-il plus comprendre le sens de cette phrase inscrite sur leur blog de voyage :

« … ce n'est pas la peur des pirates qui va nous faire arrêter un voyage aussi enrichissant… »

C’est à craindre en voyant les réactions aux articles sur cette affaire. Alors on peut les traiter d’inconscients et de ce que l’on voudra mais il n’en reste pas moins qu’ils ont prouvé qu’ils étaient certainement plus vivants que tous ceux qui en parlent. Quant à la question des pirates là encore elle réunit sous un même fanion ceux qui les excusent et ceux qui les condamnent ; car les deux camps sont en réalité d’accord sur le principe que seule la pauvreté fait de ces gens des pirates. Ce qui revient à dire qu’à travers ces gens l’homme n’est rien d’autre qu’un animal exclusivement dirigé par ses instincts, ce qui est précisément la manière dont Cochon sur Terre envisage l’homme, une conception avilissante puisque strictement matérielle. Donnez leur à bouffer et ils se tiendront tranquilles ! Ou en d’autres termes : « du pain et des jeux ». En fin de compte les pirates et leurs prisonniers avaient une idée de la vie beaucoup plus proche l’une de l’autre que de celle que s’en fait notre monde agonisant, si tant est qu’il soit encore capable de s’en faire une !
Tout le monde est donc content à Cochon sur Terre, le meilleur des mondes.

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