par Jean Seymour
Paul Guillaume est un marchand d’art génial ; il épouse Juliette Lacaze, dite « Domenica » ; il meurt ; elle épouse son amant Jean Walter ; il meurt ; entre temps elle a adopté un fils afin d’empêcher la donation que Paul Guillaume voulait faire de sa collection au musée d’art moderne du Luxembourg ; et ça marche ; puis elle n’aime plus cet enfant ; elle demande à un ancien para de l’assassiner ; ce dernier au moment de commettre son crime le reconnait : c’est un ami, ils étaient en Algérie ensemble, il dénonce alors Domenica ; pour ne pas aller en prison elle lègue à l’Etat sa collection – Malraux est à la manœuvre : 146 tableaux, dont 24 Renoir, 12 Picasso, 15 Cézanne, 10 Matisse, 29 Derain, 22 Soutine… puis elle finira ses jours, tranquille et riche, entourée de ses chers tableaux.
Voilà l’histoire de la collection - pas mal non ? A l’Orangerie, il n’y a plus d’orangers. On vous demandera de descendre sous terre ; c’est lugubre, les murs sont en béton avec des trous. C’est moderne. Là je ne résiste pas de vous citer un paragraphe d’un essai revigorant Tous touristes de Marin de Viry. L’auteur parle d’une visite faite au musée Peggy Guggenheim à Venise après qu’il eut été refait – la démonstration s’applique à notre musée : « Depuis qu’il a été refait, il ressemble à n’importe quel autre module transnational arty de la planète, dans toute sa banalité convenue. Ça fait quoi, dans la vie, un module transnational arty ? Ça fait deux choses : ça amuse le gogo et ça accélère le flux. »
Heureusement, heureusement ce qui se trouve sur les murs réchauffe ! Aussi descendez les marches quatre à quatre pour admirer la collection permanente. Tout de suite en arrivant pénétrez à droite dans le salon reconstitué de Paul Guillaume avec ses boiseries, et regardez les maquettes de son bureau et de sa salle à manger, tout cela vous mettra en condition, vous saurez désormais comment le collectionneur vivait avec ses tableaux, il y en avait partout, heureux mélanges ! Vous êtes maintenant son invité. Renoir, Picasso, Cézanne, Matisse, Derain, Soutine… que pouvez-vous demander de plus ? Un arrêt plus long que d’habitude dans la petite salle consacrée à Marie Laurencin ; quatre tableaux aux couleurs qui sont comme un parfum d’ivresse ; vous planerez ; essayez (et oublions les Nymphéas de Monet pour le moment qui sont le clou de l’exposition permanente).
Passez les Pyrénées et rendez-vous dans les salles d’exposition temporaire ; « L’Espagne entre deux siècles » y est suspendue aux cimaises. L’exposition est à taille humaine. Barrès vous accueillera devant Tolède peint par Ignacio Zuloaga – sévère, profond, le ciel est bleu nuit, noir. Si vous vous sentiez encore déraciné dans cette Orangerie impersonnelle, le prince de la jeunesse du début du XXème siècle vous conduira dans ces « lieux où souffle l’esprit ». Je vous conseille un long arrêt devant le portrait d’Anna de Noailles toujours par Zuloaga : la poétesse y est troublante, le tableau magistral, sensuel à souhait. Il y a également des œuvres lumineuses - Joaquin Sorolla toujours, et tout un tas d’œuvres très « du sang, de la volupté et des larmes » comme l’écrivait encore Barrès. L’Espagne noire à côté de l’Espagne blanche. Une exposition avec quelques chefs d’œuvres, suffisants pour mériter le déplacement, et en ressortir plein d’énergie dans cet automne dont on espère tous qu’il s’achève vite.
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