mercredi 16 novembre 2011

Diane Airbus, rétrospective, musée du Jeu de Paume, jusqu’au 5 février 2012.

Par Jean Seymour.

L’été indien est bel et bien fini. Rendez-vous au jardin des Tuileries en passant par la place de la Concorde ; mettez-vous au pied de l’obélisque, et malgré les fontaines louis-philipparde, admirez ses proportions, jouissez de son équilibre, gorgez-vous des perspectives qu’elle vous offre généreusement ; vous êtes « au centre du monde » comme l’écrivait Roger Nimier (même si lui parlait de la place Pereire).

Une fois que vous aurez pénétré dans le jardin des Tuileries, montez au Jeu de Paume, à gauche. Le sol n’est plus en parquet comme jadis, il n’y a plus de filet, non, mais il est dur comme celui d’un ring de boxe avec des cordes sur lesquelles sont accrochées des photographies en noir et blanc. Car c’est sur un ring que Diane Arbus (New-York, 1923-1971) nous invite à monter : celui des âmes damnées de l’Amérique.
La photographe ne s’intéresse pas aux vainqueurs de la prospérité, mais aux autres, aux irréguliers, aux travestis, aux contorsionnistes, aux nains, aux handicapés, aux trisomiques - invitée par la fédération des handicapés d’Amérique, ce sont les seules photographies de l’exposition sans titre, tout un symbole, ce fut également son dernier reportage, après elle se suicida.
Et comme vous êtes sur un ring, à chaque fois que vous vous retrouverez devant l’une des 200 photographies, vous recevrez un coup ou un appel, c’est selon ; mais en aucun cas cela ne sera une promenade ; votre visite sera un combat contre l’humanité, contre des visages et des corps déglingués qui ne cesseront de vous interpeller, un combat contre la photographe que vous accuserez de voyeurisme.
Au milieu des photos coup de poing surgiront des portraits de gens « normaux », parfois célèbres (Norman Mailer, Jorge Luis Borges, Marcello Mastroianni), mais en est-on si sûr ? Car tous sont emportés dans ce grand magma américain, cette civilisation de la matière ; elle n’oublie jamais de nous le rappeler avec ces petits drapeaux à la bannière étoilée qui ressurgissent dans les décors, et agissent comme des marqueurs : « made in America » ou la promesse d’un bonheur terrestre à tout prix, même dans les situations les plus misérables.
Dans l’ultime partie de l’exposition vous trouverez des citations de Diane Arbus aux murs, intelligentes, profondes, elles éclaireront vos pensées, ses photos ; il y a également des cahiers, des journaux, son agenda, enfin tout un tas de pièces à conviction de sa vie, de son chemin, de sa profonde honnêteté, de ses recherches et de ses souffrances.
Vous aurez alors compris qu’elle nous adresse une longue prière, la sienne, que personne, qu’aucune église, croyance ne peut revendiquer ; et cette prière raconte l’histoire d’une humanité que nous croisons tous les jours, qui nous tend les bras, non pas pour faire la manche ou susciter chez nous de la compassion, non, Diane Arbus nous dit simplement de les regarder, de leur sourire, parce qu’ils sont vivants.
Redescendez dans le jardin des Tuileries, marchez ; admirez l’architecture des allées, la beauté de l’alignement des arbres ; faite le tour du grand bassin, observez les parisiens, repensez aux personnages de Diane Arbus ; croisez le regard du Louvre, puis rejoignez les arcades de la rue de Rivoli et marchez jusqu’au salon de thé Angelina – pour y déguster un chocolat onctueux naturellement, le reste serait une hérésie.
Après, rendez-vous au musée de l’Orangerie où vous attendent des tableaux, un chef d’œuvre et une exposition. Je vous en parlerai dans ma prochaine chronique. Vive l’art !

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