jeudi 6 décembre 2012

Comment peut-on être américain ?

L’écrivain ruse Maria Arbatova fût interrogée par la rédactrice en chef de la Pravda, Inna Novikova, à son retour des USA. Elle donne ici sa vision des USA et aborde la question de ce qui unifie la population US, comme Tocqueville en son temps, avec la question sous-jacente : les USA peuvent-ils être une nation alors que les facteurs liant les individus composant la population du pays entre eux semblent réduits :

- à la quête effrénée de son intérêt financier par chacun,
- à la guerre menée à l’extérieur. 

Dans un pays où l'oubli du passé de chacun parait être la devise nationale, la question de ce qui unit la population vers un but commun peut être à nouveau légitimement posée ; à commencer par savoir s'il y a véritablement un but et une destinée commune. 
Dans ce cas, l'idée même de nation est absurde.

Maria Arbatova aborde ensuite sa vision du fait d’être russe et de ce que cela signifie.

L’Amérique est une forme concentrée de tragédie humaine (traduction de l'anglais : jean Erbenger).

Inna Novikova : Vous êtes revenu récemment des USA. Pensez-vous que les USA ont les mêmes problèmes que la Russie dans leurs relations avec les peuples de différentes nationalités et de différentes mentalités.
Maria Arbatova : En fait, j’ai une proposition. Envoyons tout le monde en Amérique d’où ils reviendront tous patriotes. L’Amérique se présente comme une nation tolérante, mais en fait, j’ai compris quelle était son idée nationale : « vous n’avez pas de passé ». C’est un rassemblement de gens ahuris, qui ne restent ensemble que sur la base d’un intérêt financier, où bien sur le désir de faire la guerre quelque part.
- Mais les immigrés ne sont en guerre avec personne. Ils sont financièrement dépendants, ils doivent être tolérants et ont le devoir de s’adapter eux-mêmes à la société d’accueil.
- Les jolies phrases selon lesquelles les immigrants sont gentils et tolérants font mourir de rire n’importe quel psychologue, psychiatre où psychanalyste. Ils sont tolérants car ils ont la police à leur trousse. Si vous prenez les USA, tout est construit sur des lois extrêmement mal pensées, contre lesquelles se heurtent de manière inévitable n’importe quel immigrant. Par exemple, un de nos amis, un avocat de formation, nous fit un tour d’horizon du pays. Il nous dit :
« Je vis dans cette schizophrénie. Je conduisais l’autre jour le long de l’océan et je voulus m’asseoir sur la plage. A cet endroit il y a une plage réservée à la pêche et il y a une police pour les pêcheurs (il y a une police sanitaire, une police postale et toute sorte d’autres polices). Des policiers de la pêche revêtus d’uniformes de la police de la pêche vinrent à moi pour me dire que je devais payer pour aller sur la plage pour pêcher. « Où est votre canne à pêche ? », me demandèrent-ils. Mais je n’avais pas de canne à pêche avec moi bien sûr. Je leur ai menti en répondant que ma canne à pêche était dans ma voiture. Une femme policier me dit : « J’espère que vous l’avez vraiment dans votre voiture, parce que vous comprenez bien qu’ici il y a des gens qui pêchent, et si vous êtes venu ici uniquement pour vous asseoir sur la plage, vous vous trouveriez en infraction ».
- Est-ce que c’est spécifique à l’Amérique ?
- Oui, ce sont ces spécificités qui nous rendent tous fous. Par exemple, quand la fille de mon ami s’installa à côté de Chicago, son mari acheta une voiture qui servait à livrer des pizzas auparavant. Sur la voiture, il y avait un autocollant sur lequel étaient inscrits un logo commercial. Le mari de la fille de mon ami parqua la voiture près de la maison, et dans la minute qui suivit, une voisine appela la police. Il prit $ 500 d’amendes car, comme il l’apprit, une voiture commerciale ne pouvait pas être garée près de la maison. La police le força à courir chercher de la peinture et à effacer le texte commercial en leur présence, pour éviter ainsi de recevoir une amende de plus.
- En Russie, c’est très différent.
- Oui, nous avons une vision de la vie très différente. Que ferait un Russe dans cette situation ? Un homme viendrait et dirait : « vous devriez repeindre cette inscription sinon vous risquez une amende ». Nous appelons la police uniquement lorsque quelqu’un ne veut pas faire quelque chose, où quand ils ne peuvent pas parler d’une question tranquillement. En Amérique, les choses fonctionnent différemment.
- Peut-être devrions-nous faire la même chose ? Par exemple au lieu de commencer à palabrer avec des voisins bruyants où avec des ouvriers qui utilisent des marteaux piqueurs la nuit. On peut parfois régler le problème mais pas toujours. Peut-être serait-il mieux de ne pas gaspiller du temps et de l’énergie, mais simplement appeler la police afin qu’ils règlent tout. Il y a quelque chose à dire à ce propos, non ?
- Mais après un certain temps nous cesserons de nous comporter comme des êtres humains. Ce réseau policier qui couvre les USA n’attrape en fait pratiquement rien. J’ai parlé à un homme qui habite Brooklyn depuis presque 20 ans et qui sait très bien comment les choses fonctionnent. Je ne parle pas de Chinatown, personne ne siat combien de personnes vivent là-bas ; et encore à NY il y a 7 quartier chinois. Il m’a dit qu’il n’y avait pas de police du tout. Premièrement, la police a peur. Deuxièmement, tout est contrôlé par les gangs du crime là-bas, comme c’était le cas à Moscou dans les années 90. Si quelqu’un vous vole votre porte monnaie, vous devez aller voir le chef du gang local et c’est lui qui décidera. Il y a bien un réseau de police, mais il est inutile. L’homme à Brooklyn a vécu pendant 20 ans sans papiers, tout comme sa femme et la moitié du quartier.
Ce qui signifie qu’ils ne peuvent aller nulle part, qu’ils ne peuvent pas faire des études et qu’ils n’ont pas de Sécurité Sociale.
En réalité, c’est bien pire que çà, mais çà n’a pas d’importance. La plupart des gens de Brooklyn vivent de cette manière. Il y a aussi Brighton, où vivent les immigrants les plus misérables de la planète, les plus misérables que j’ai jamais vu.
- Mais tout de même, comment a t’il pu vivre si longtemps sans papiers ?
Pourtant il l’a fait, pendant vingt ans. Il vit comme çà en travaillant et payant ses cotisations pour sa retraite qu’il recevra dans l’avenir. Je lui ait demandé : «Comment peut-on vivre sans papiers ?». Il m’a répondu qu’en Amérique, un système administratif n’a aucun lien avec les autres. Il m’a dit que deux semaines après 9/11, un des arabes ayant détourné un des avions avait reçu un permis de travail. Quelle perfection !
- Pourtant, il devrait y avoir des situations, particulièrement pendant vingt ans, où quelqu’un a besoin d’un passeport.
Oui, je lui ait demandé çà. Il me raconta qu’un jour il s’était fait renverser par une moto et qu’il s’était réveillé aux urgences et qu’il pensa qu’il allait se faire expulser du pays. Mais on lui confisqua simplement son permis de conduire, une enquête fut ouverte et l’histoire se termina bien pour lui.
- Ainsi ce pays est peuplé de ce genre d’individus qui vivent dans l’illégalité ?
Oui, et c’est le problème de ce pays. Tous ceux qui viennent en Amérique, le font parce qu’il ne peuvent pas vivre normalement dans leur pays d’origine, parce que leur existence là-bas y était insupportable, parce qu’ils ne peuvent pas vivre dans le pays dans lequel ils sont nés. C’est une forme de tragédie humaine en concentré.
 Nombre de ceux avec qui j’ai fait mes études sont allé en Amérique. Plus tard,    beaucoup revinrent après avoir gaspillé du temps et de l’énergie. Certains restèrent, mais, en dépit de leurs diplômes universitaires, ils sont simplement vendeurs où quelque chose de ce genre là. Pourtant, de nos jours, des jeunes parlent d’émigrer à nouveau, beaucoup rêvent de partir. Cela signifie t’il qu’ils n’ont rien appris des folies que commirent leurs prédécesseurs ?
Vous savez, le fait de partir n’est pas si effrayant en soi. Il y a des statistiques dans les pays européens qui montrent que 50 % des gens interrogés disent qu’ils voudraient émigrer, et, oui, ils sont jeunes. Nous avons ici 20 % de gens comme çà. Bien sûr, vous ne pouvez par aimer votre pays si vous ne le connaissez pas. Notre pays est énorme, et ceux qui ne sont allé nulle part sauf à Saint Petersbourg où à Moscou, ceux-là ne peuvent pas comprendre où ils vivent et combien ils sont chanceux. Un jour je suis allé à Magadan en avion, et je pensais à ces forêts, à ces montagnes, à ces ours, à ces rivières qui étaient là, en bas sur la terre que nous survolions au cours de ce vol de six heures. Et puis, vous arrivez dans cette ville si éloignée, vous y rencontrez des gens qui parlent votre langue, vous y rencontrez les mêmes assistances qu’à Moscou lorsque vous faites une présentation d’un de vos livres, vous y mangez la même salade « Olivier »... et soudain vous réalisez que cette énorme machinerie - eh bien, vous réalise que c’est la votre.


Aucun commentaire: