dimanche 15 septembre 2013

Syrie : accord signé entre Russie et USA. Quelles conséquences ?

L’accord pour la destruction des armes chimiques syriennes a été signé cette après midi par le Ministre des Affaires étrangères de Russie Sergueï Lavrov et John Kerry, Secrétaire d’Etat US.
L’accord prévoit la remise d’une liste par le gouvernement syrien du fameux stock d’armes chimique dans la semaine qui vient, puis la remise de l’arsenal syrien entre les mains d’inspecteurs internationaux des Nations Unies dés le mois de Novembre. Ces derniers procéderont à sa destruction. Vous pouvez consulter le texte de l'accord  (ici).

Certains disent déjà que cela ne durera pas, d’autres qu’il y aura des provocations qui déclencheront la guerre et bla bla bla... Non. Il n’y aura rien de tout cela car cet accord arrange tout le monde. De plus il permet de sauver la face, bien que personne ne soit dupe, du Président des USA, Prix Nobel de la Paix.

Il semble bien que le « deal » conclu entre les USA et la Russie soit le suivant : 
- la destruction des armes chimiques syriennes (pour assurer la sécurité d’Israël) d’un côté contre l’engagement des USA à laisser Bashar el Assad au pouvoir et à cesser toute aide aux terroristes, mercenaires et compagnie. 

C’est à dire le choix de la stabilisation de la région contre le chaos prémédité et général prônés par les néo-cons depuis deux décennies avec les résultats catastrophiques que l’on sait.

Ce deal conclu entre les présidents russes et US n’est peut-être qu’un prélude à un autre « deal » : une stabilisation puis une remis à niveau des relations entre l’Iran et les USA. Nous savons, et nous l’avons déjà signalé sur ce blog, que des contacts officieux sont en cours depuis un certain temps déjà entre les USA et l’Iran. Mais l’élection récente du Président Rouhani, le « deal » conclu sur la Syrie, la volonté du Président russe de profiter de son avantage pour faire avancer une négociation à propos de l’Iran, et enfin un Président US qui verrait d’un bon oeil une amélioration des relations entre les USA et l’Iran, tout cela peut laisser présager une évolution de la situation au Moyen-Orient dans un sens que les deux principaux « alliés » (Israël et Arabie Saoudite) des USA verront d’un oeil très inquiet, certes, mais qui, à terme, pourrait les forcer à réviser leur propre vision des affaires du Moyen-Orient : c’est à dire rétablir des relations normales avec l’Iran. Nous parions sur la reconnaissance à terme de l’Iran comme interlocuteur majeur par tous ceux qui n’ont eu de cesse depuis trente ans de repousser ce pays en marge de la communauté internationale. Ces derniers ont désormais clairement échoué (USA, Israël, Arabie Saoudite et France - UK). Nous verrons ce qui se passera lors de la reprise des négociations sur le nucléaire iranien et l’attitude de la Russie.

Cet accord sur la Syrie est une défaite majeure pour les deux principaux partenaires des USA dans la région : l’Arabie Saoudite et Israël.

1) En ce qui concerne l’Arabie Saoudite, nous avions déjà souligné à plusieurs reprises combien sa confiance en les USA avait été érodée, notamment depuis le renversement du président égyptien Moubarak. Ce fût le coup de grâce et  probablement le véritable « wake up call » pour les dirigeants saoudiens qui réalisèrent à ce moment là qu’ils pourraient très bien eux-mêmes se retrouver dans la position de Moubarak sans que les USA ne lèvent le petit doigt pour les sauver. Ils étaient donc seuls pour se défendre, d’une part contre l’influence grandissante de l’Iran dans la région, et d’autre part contre les menaces de révolution chez eux, venant notamment des frères musulmans et d’Al Qaéda.
La stratégie choisie pour éviter de se faire renverser fut celle prônée par les faucons saoudiens regroupés autour du Prince Bandar ben Sultan, chef des services de renseignements saoudiens, « l’homme de Washington à Riyadh » selon l’expression consacrée. Pour lutter à la fois contre l’influence de l’Iran et des frères musulmans et autres opposants sunnites (Al Qaéda), c’est à dire pour maintenir au pouvoir la famille Al Saoud, ils choisirent de promouvoir délibérément la guerre inter-religieuse entre communautés sunnites et shiites. D’où, entre autre, leur soutien aux takfiristes et autres Al Qaéda, Al Nusra et compagnie en Syrie et partout ailleurs, visant ainsi un double objectif : l’expansion du wahhabisme (ultra minoritaire) dans toute la communauté islamique et détourner du pays les ardeurs révolutionnaires des saoudiens et d’Al Qaéda contre les shiites et autres sunnites modérés. Face à la méfiance que cette stratégie suscitait dans son propre camp (le roi hait Al Qaéda tout autant que les FM), le Prince Bandar se vantait de maitriser parfaitement ces groupes financés et armés par lui, qu’il en faisait ce qu’il voulait comme il s’en était encore vanté très imprudemment auprès de Vladimir Poutine en Juillet dernier à Moscou. Or il s’avère qu’aujourd’hui tout le monde se rend compte que c’est faux et que ces fameux groupes terroristes sont hors de contrôle et constituent un danger pour tous : l’Europe, la Russie, les pays du Moyen-Orient tout entier, Israël et Arabie Saoudite compris.  
C’est pourquoi, selon nous, l’accord signé entre les USA et la Russie marque l’échec de cette stratégie nihiliste du Prince Bandar.
Car sans le soutien militaire des USA aux mercenaires payés et armés par les saoudiens, qataris et autres, une victoire de ces derniers contre l’armée syrienne n’est pas possible puisque même ave les 3000 tonnes d’armement reçus ils furent incapables de battre l’armée syrienne. C’est bien un échec complet. Il faudra donc bien que les dirigeants saoudiens en tirent les conséquences un jour où l’autre, ce qui pourrait se traduire par une petite révolution de palais qui éliminerait le clan des faucons de Bandar Ben Sultan au profit de plus modérés favorisant un apaisement des antagonismes, avec l’Iran notamment, au lieu de les exacerber à déssein. Le Roi fera t’il payer à Bandar Ben Sultan le prix de ses erreurs et de ses crimes, et si oui de quelle manière : exil doré, balle dans la tête (cela peut venir d’ailleurs) où les deux ? 

2) le second perdant principal dans cette histoire est Israël.
Selon nous, le résultat le plus spectaculaire de cette affaire est l’échec monumental du lobby israélien aux USA (l’AIPAC); il n’est pas parvenu à faire voter le Congrès en faveur de l’attaque contre la Syrie. Pourtant les moyens ne furent pas épargnés pour cela. Rien n’y fit. C’est ainsi que le cauchemar des dirigeants israéliens est en train de se réaliser : leur influence sur la politique étrangère US se dissipe, notamment en raison de l’apparition de nouvelles forces politiques anti-système et anti-guerre, voir isolationnistes pour certains. 
Si les USA et l’Iran améliorent leurs relations, jusqu’à rétablir des relations diplomatiques normales (qui sait à terme ?), et dans la foulée si l’Iran améliore ses relations avec les monarchies du Golfe (Arabie principalement),le tout sous l’égide des russes, la question palestinienne resurgira au centre de la scène politique internationale et Israël n’aura alors plus d’échappatoire possible puisque la diabolisation de l’Iran afin de détourner l’attention générale de la question palestinienne ne fonctionnera plus ; et ce d’autant moins si les USA se mettent à faire pression sur Israel pour aboutir à une solution viable à la fois pour les Palestiniens et pour les Israéliens, ce qui permettrait peut-être enfin de pacifier la région durablement. 
A suivre.
En revanche, après l’accord d’hier, Israël a désormais en face d’elle une Syrie sans armes chimiques, ce qui ne veut pas dire une Syrie désarmée, loin s’en faut. Et ce d’autant moins, que pour accepter de se défaire de ses armements chimiques le Président syrien a dû s’assurer de recevoir de la part des russes comme des iraniens des équipements militaires lui permettant de se défendre contre d’éventuelles attaques israéliennes où autres. A ce sujet l’exemple du Hezbollah a dû être pris en compte, exemple entre nous soit dit qui rend obsolète l’armement chimique précisément.
Ceci dit la Syrie devra se reconstruire et ne présentera pas une menace pour Israël avant longtemps.

Il est donc probable qu’après cet accord et le début de sa mise en oeuvre courant Novembre avec l’arrivée des inspecteurs de l’ONU en charge de la destruction du stock d’armes chimique syrien, nous voyions les forces gouvernementales syriennes poursuivre rapidement leur reconquête du territoire syrien face à des mercenaires  et des terroristes recevant de moins en moins d’armement et de subsides. 

La Russie sort de cette affaire comme le grand gagnant, rehaussé du lustre qui est celui des partenaires fiables, soutenant le droit international et la souveraineté contre le chaos perpétré par des états hors la loi, c’est à dire nous, les propagateurs de la déstructuration généralisée. Il va sans dire que l’influence russe sur la scène internationale va se renforcer considérablement au détriment de celle des USA comme de leurs alliés, français (c’est un pléonasme) entre autres. Les russes auront eu le grand mérite de montrer la voie non seulement en s’opposant aux « rogue states » mais en les obligeant à reculer.

Aux USA, l’affaire syrienne va sortir des écrans radar pour être remplacée par les crises internes qui font la queue au portillons pour éclater. Il ne fait pour nous aucun doute que l’affaire Snowden et le flux de ses révélations continues a beaucoup aidé à réveiller les consciences et à organiser la résistance au sein du Congrès comme de la population face au système. C’est bien l’affaire Snowden qui a permis indirectement la réaction très puissante et organisée, totalement inattendue pour l’establishment, contre la guerre en Syrie. Il est désormais probable que cette crise syrienne va créer un précédent et que les prochaines velléités guerrières d’une présidence de moins en moins impériale et d’un Congrès aux ordres des lobbys ne seront plus possible, comme cela fut le cas depuis des décennies. Ce ne sera plus possible car la résistance aura pris conscience d’elle-même et son opposition au système deviendra de plus en plus efficace, notamment grâce à un soutien populaire de plus en plus large.
En effet, la résistance se renforce au gré des crises successives que rencontre le système. Il s’agit d’ailleurs d’une suite de crises au sein d’une crise terminale d’effondrement. Le calendrier parlementaire US des deux mois à venir nous promet des empoignades majeures et tonitruantes entre les tenants du système et les « rebelles » du Congrès qui ont un soutien de moins en moins négligeable au sein de la population, comme vient de le montrer la crise syrienne. Le vote prochain du budget et celui de la remontée du plafond de la dette vont être l’occasion de batailles d’autant plus homériques que leur issue est très incertaine en raison du renforcement continuel de l’opposition, de plus en plus virulente, à l’égard des excès du système dont ces deux questions sont  des symboles particulièrement sensibles pour l’opinion US.

Pour notre part, nous voyons toute cette affaire comme une victoire des forces anti-système contre le système que la crise générale qu’il subit affaiblit de plus en plus en mettant au grand jour ses excès de toute sorte et sa folie nihiliste. 

La crise syrienne fut un échec de plus des états occidentaux, les « rogue states » par excellence. Comme on l’a dit plus haut, c’est la première fois qu’ils furent stoppés dans leur folie destructrice et suicidaire. Cela constitue un précédent fondamental à notre sens en montrant au monde qu’ils n’étaient que des tigres de papier en faillite. Il semblerait désormais qu’ils bénéficient de moins en moins de soutiens, chez eux comme parmi les membres de la communauté internationale. La résistance est en passe de s‘organiser tant intérieurement qu’à l'extérieur ; leurs faiblesses sont désormais à nu ; ils ne font plus peur.

Peut-être sommes-nous désormais entrés dans une nouvelle époque multipolaire où un état et ses alliés, ne représentant qu’une minorité à l’échelle planétaire, n’auront plus la liberté de faire ce qui leur plait, au mépris des lois internationales, et selon l’hystérie qui les agite sur le moment, sans se préoccuper de l’opinion de la majorité des membres de la communauté internationale.

C’est une très bonne chose, mais il faudra s’y habituer. Car cela pourra prendre beaucoup de temps dans le chef de nos dirigeants, le temps que la crise que nous traversons nous en débarrasse et que nos mentalités se transforment.

Pendant ce temps là, tout le monde est content à Cochon sur Terre, le meilleur des mondes.

1 commentaire:

mag a dit…

EXCELLENT article !