Le Lancaster County et ses habitants « pas comme nous »...
Lancaster County est situé à une soixantaine de km à l’ouest de Philadelphie, autant dire à un jet de pierre, ce qui a eu des conséquences assez dommageables pour le Comté en raison du tourisme que cela y amène.
Quoi qu’il en soit nous sommes dans une région agricole dans laquelle les fermes sont très nombreuses et ou l’activité ne manque pas. Le Lancaster County est le vivant exemple de que dut être l’Etat de New-York au temps de sa prospérité, à la différence près que les terres paraissent plus riches ici que là-bas.
Mais cela n’explique pas le flot continu de touristes dans cette région de la Pennsylvanie. En effet, et c’est fort dommage, on ne peut pas ne pas être incommodé par les files de voitures et les grappes de touristes qui s’agglutinent dans quelques villages bien spécifiques de la région (Intercourse principalement), c’est à dire ceux qui sont indiqués en rouge et en gras dans tous les guides touristiques.
Mais qu’y a t’il donc de si extraordinaire dans le Comté de Lancaster, me demanderez-vous?
Eh bien il y a des gens... pas comme nous...
Venant de Philadelphie, c’est à dire se dirigeant vers l’Ouest en direction de la ville de Lancaster, les paysages que l’on traverse en voiture ne peuvent masquer leur destinée agricole; cela dit ils n’attireraient pas particulièrement l’attention au premier abord pour le conducteur distrait par une radio trop forte, ou encore occupé à manipuler son téléphone portable à la recherche de quelqu’un avec qui gaspiller le temps qui passe.
Ces gens peu observateurs ne verraient que les nombreuses fermes qui parsèment le paysage vallonné et verdoyant, comme autant de grosses fleurs blanches semées au hasard par un bon génie ivre, avec leurs silos à grain caractéristiques qui semblent monter la garde contre d’éventuels envahisseurs peu scrupuleux, leurs immenses étables aux toits en forme de coques de navires renversées par une tempête, ressemblant un peu à leurs cousines de l’Etat de NY mais en moins grandioses, peut-être parce que celles-ci sont plus récentes. Le conducteur distrait noterait peut-être sans le relever les nombreuses barrières blanches bordant des prairies et le nombre tout à fait surprenant de chevaux qui le regarderaient passer. En revanche un observateur quelque peu attentif noterait les diverses races de chevaux: des chevaux d’attelage ou de monte, plutôt élancés et racés, mais aussi des chevaux beaucoup plus trapus et costauds, des chevaux que l’on voyait jadis dans les champs lorsque l’agriculture n’était pas encore mécanisée; des chevaux de traits.
Et c’est à ce moment précis que le conducteur au téléphone avec son agent de change, occupé à comprendre pourquoi il a perdu 40% de son portefeuille alors que la bourse a monté de 30%, c’est donc à ce moment là que le conducteur aperçoit quelque-chose de bizarre, là sur la route juste en face de lui, venant dans la direction opposée... Vraiment très étrange, indeed! Le téléphone lui tombe des mains sous le coup de la surprise, il ralentit jusqu’à s’arrêter pratiquement sur le bord de la route pour regarder passer... un attelage noir tiré par un cheval, mené de main de maître par une femme portant une longue robe foncée lui tombant aux chevilles, une sorte de coiffe blanche juchée sur le chef, accompagnée de 3 ou 4 enfants d’âges variables, tous habillés de la même manière, les garçons d’un côté et les filles de l’autre, et ce quelque soit leur âge puisque les filles portent les mêmes vêtements que leur mère.
Bienvenue chez les Amish people ou les «plain people», nom dont ils sont désignés depuis le 18eme en raison de la couleur uniforme de leurs vêtements.
(Il ne s’agit pas de raconter ici l’histoire des «plain people».
Le site suivant donnera quelques caractéristiques de base à propos de ces communautés: www.800padutch.com/amish.shtml.
Le livre à acheter est: Amish Society by John Hostetler - John Hopkins University Press.)
Le conducteur désormais attentif et stupéfait notera alors beaucoup plus de faits intéressants qu’il n’en n’avait noté au premier abord. Premièrement il verra de plus en plus d’attelages sur les routes, à tel point que des voies spéciales leur sont réservées, ou en tout cas sur les routes principales autour de chez eux, comme la route 340 par exemple. Il notera également que ces attelages possèdent des clignotants, des feux arrières ainsi qu’un grand triangle de signalisation accroché à la malle arrière. D’autre part il aura également la confirmation que tous ces gens s’habillent plus ou moins de la même manière, que tous les individus de sexe mâle portent des chapeaux de paille en été, en feutre noir en hiver, qu’ils sont généralement à cette époque de l’année en chemise à manches longues et pantalons noirs retenus par des bretelles, que ce soit dans les champs ou en ville. Oui, il est vrai, ce ne sont pas des «fashion addicts » car leurs vêtements sont faits maison; Non, je n’ai pas parlé de telle ou telle marque ni de telle ou telle maison, mais « fait maison », c’est à dire confectionné chez eux par leur femme. Pour ne pas être en reste le conducteur désormais très attentif sera estomaqué de découvrir au détour d’un virage un champs dans lequel un attelage de 4 chevaux de front est mené par un jeune homme, tirant derrière lui une machine à ramasser le foin pour en faire des ballots de paille à la suite de laquelle se trouve une remorque sur laquelle ces derniers sont entassés soigneusement par un autre garçon ressemblant étrangement au premier. Ce qui n’est pas étonnant étant donné qu’il n’est pas rare que les Amish aient huit enfants par couples et que toute la famille travaille sur l’exploitation familiale. Et pour achever de désorienter notre visiteur urbain celui-ci pourrait même remarquer que les maisons des Amish ne sont pas reliées à l'électricité.
Bon je sais, on voit venir d’ici les cochons à roulette et à oreillettes, gémissant avec condescendance sur le sort de ces gens qui refusent ce qu’ils appellent le « progrès ». Pensez-vous, ces pauvres arriérés qui refusent par principe tout « progrès », ce qui signifie, pour les cervelas atrophiés des cochons, toute technologie nouvelle quelle qu’elle soit ! Ces êtres pitoyables qui vivent sans téléviseurs, sans radio ou sans ordinateurs ! Ces êtres primitifs qui refusent les moyens de transport modernes, qui n’ont pas de voitures mais des attelages et des chevaux pour les plus stricts d’entre eux ! Sans compter ce scandale abominable de ne pas envoyer leurs enfants dans les écoles publiques et de leur faire arrêter leurs études à 16 ans ! Et n’oublions pas que ces esclavagistes font également travailler leurs enfants dés leur plus jeune âge; par exemple nourrir les poules dés l’âge de 6 ans. N’est-ce pas de l’exploitation pure et simple alors qu’on pourrait les laisser s’abrutir devant la télévision ? Ne serait-il pas mieux de leur retirer leurs enfants pour les confier aux bons soins de l’Etat, comme nous le faisons déjà avec les nôtres, afin qu’ils soient formatés à point pour devenir les meilleurs cochons du meilleur des mondes ? Car ces pauvres enfants exploités, qui ne savent pas qu’ils sont si malheureux, n’attendent-ils pas néanmoins l’intervention de nos bonnes fées carabosses qui savent, elles, ce qui est bon pour eux malgré eux et sans eux? N’ont-ils pas besoin d’être libérés de leurs familles, de leurs traditions et de leurs superstitions afin qu’ils puissent devenir enfin des zombies comme tout cochon qui se respecte? Et n’est-il pas inacceptable que ces gens « pas comme nous » refusent toutes subventions de l’Etat, y compris les pensions de retraite et autres assurances maladies, car ils pensent que ce serait créer un lien avec l’Etat qui non seulement rendraient les générations futures dépendantes de celui-ci mais en plus parce-que cela reviendrait à admettre, selon eux, que l’Etat aurait une responsabilité sur leurs parents ou grand-parents.
N’est-ce pas honteux de ne pas laisser à l’Etat la possibilité de régenter la vie entière de tout individu de la naissance à la mort ? Il faut bien avouer que ce n’est pas très moderne comme attitude, presque archaïque même, voire réactionnaire. Cela mériterait une condamnation et une loi.
En ce qui concerne la question de la technique, et malgré ce que pourraient éructer tous les infâmes cochons à roulette qui se baladent en esclavage partout où ils sont autorisés à le faire, rien dans l’histoire et la manière de vivre des Amish ne trahit un refus pur et simple de toute invention technique quelle qu’elle soit. Mais il est vrai que toute réticence face à une invention technique provoque immanquablement l’accusation d’être un ennemi du « progrès », comme si accepter de voyager en train devait impliquer automatiquement l’acceptation enthousiaste des centrales nucléaires où de la manipulation génétique. Il est certain cela a pour avantage d’éviter toute remise en cause du dogme en question: c’est tout où rien. Pourtant il y a d’autres voies possibles, dont les Amish nous donnent un exemple.
Ils ne sont pas contre la technique per se. Comme déjà dit ils en acceptent une grande partie puisque leur manière de vivre implique bel et bien l’utilisation de techniques mises au point non seulement depuis des milliers d’années mais aussi depuis moins d’un demi siècle, voire moins; sans quoi ils ne vivraient pas dans des maison similaires à celles de leurs voisins, à l’exception près du cordon ombilical électrique qui ne les relie pas au monde, ils n’auraient pas d’attelages ni de lampe à pétrole etc; ils seraient plutôt retournés dans les cavernes, sans feu et sans agriculture, sans silex et sans animaux domestiques... Au contraire les Amish savent parfaitement utiliser les techniques qui leur conviennent et laisser de côté celles qui leur paraissent constituer une menace pour leur mode de vie et leur communauté. Toutes celles qui les aident à conserver ce mode de vie ou à l’améliorer sont adoptées, non sans discussions et dissensions, mais c’est un choix de leur part mûrement réfléchi. Une technique, pour eux, n’est qu’un moyen qui doit servir à une fin bien précise; une technique, et encore plus La technique, est et doit être subordonnée à ce pour quoi on veut l’utiliser dans un cadre défini, cadre qui ne doit pas être déformé et encore moins détruit par son adoption irréfléchi. En résumé la technique n’est pas une fin en elle-même ce n’est qu’un vulgaire moyen qui ne peut en aucun cas menacer l’intégrité de la communauté. C’est en fonction de ce critère que les « plain people » adoptent où non telle où telle nouveauté technique.
Lorsqu’on se retrouve dans le Lancaster County, au milieu de ces gens « pas comme nous » et des touristes qui, malheureusement, viennent les voir comme on va au zoo, qui les photographient comme ils le feraient d’un animateur déguisé dans un parc d’attraction, on ne peut s’empêcher de penser et de voir que la situation n’est peut-être pas celle qu’on pourrait croire. Car la plupart de ces touristes viennent voir des « gens pas comme nous », sous-entendu des gens sous-développés, arriérés où ce que l’on voudra, des gens qui les rassurent à bon compte sur notre soit disant « supériorité » due à notre « progrès ».
De fait on peut ainsi voir dans la rue principale du village d’Intercourse ces représentants de plus de deux cent ans ininterrompus de « progrès » soulever avec peine leurs 100 à 150 kg pour faire quelques pas sur le trottoir, l’indispensable bouteille d’eau à la main, le portable attaché à la ceinture, l’appareil photo autour du cou afin de ne pas rater une occasion de faire un maximum de mauvaises photos de n’importe quoi, le porte monnaie en embuscade prêt à s’ouvrir en grand pour acheter à crédit des souvenirs dont on ne saura plus la provenance dés la fin de l’excursion; euh non « l'expédition » car c’est désormais toute une expédition de sortir de chez soi comme le prouve le nombre de précaution qu’il nous est recommandé de prendre pour ce faire. Et puis on peut encore avoir la joie de retrouver les mêmes dignes représentants du « progrès », littéralement avachis sur une chaise de restaurant, épuisés après l’effort bestial qui consiste à descendre du car, occupés à ingurgiter des montagnes de nourriture arrosées de litres de boissons gazeuses et sucrée destinées à augmenter leur tonnage déjà terrifiant.
Je ne pouvais m’empêcher de penser en voyant ce pathétique spectacle d’une civilisation au bout du rouleau que c’était bien là le produit fini de ce que nous avions célébré depuis deux où trois siècles comme étant une suite de progrès ininterrompus qui se retrouvait sous mes yeux à cet instant précis. Et cela me paraissait d’autant plus épouvantable que j’avais également sous les yeux des gens « pas comme nous » à qui la religion du « progrès » était totalement étrangère; en conséquence ils n’avaient pas suivi le même chemin que nous ce qui, apparemment, leur avait plutôt mieux réussi. Des gens pour qui l’existence ne se mesure pas en terme de quantité mais de qualité, des gens pour qui, comme l’a dit leur meilleur connaisseur John Hosttetler:
«The wisdom of the ages is for the Amish more important than the pronouncements of the modern science. It is more important to do what is morally right than to win acclaim, popularity, or riches, or to survive physically.»
On comprend pour quelle raison ce sont des gens « pas comme nous ».
Aux yeux des Amish il y a deux catégories de gens sur terre: eux et les « English ». Ce qui signifie, dans une perspective grecque, que nous sommes tous des barbares.
Et d’après un autre point vue bien connu: des... COCHONS!
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