De Flint à la Nouvelle-Orléans il doit y avoir 2000 miles, c’est à dire plus de 3500 km. Ces deux villes se situent pratiquement à la frontière canadienne pour la première et, comme on sait, tout à fait au Sud pour la seconde. C’est ce qui s’appelait avant 1763 la «Nouvelle France», territoire qui comprenait également une grande partie du Canada.
Après avoir traversé le Michigan, l’Indiana, l’Arkansas, puis le Mississippi on arrive enfin en Louisiane et à la Nouvelle-Orléans. C’est long, très long, surtout en voiture. Mais on voit du pays, comme on dit; cela étant c’est un pays qui est très monotone à la longue. En réalité c’est là que l’on se rend compte à quel point nous autres, Français où Européens, sommes gâtés par la variétés de nos contrées sur un territoire somme toute peu étendu. Tandis que dans le cas qui nous intéresse, tout au long de ces 3000 où 4000 km j’ai dû voir deux paysages véritablement différents l’un de l’autre, naturellement accompagné d’un changement de climat notable. A frontière de l’Illinois, du Tennessee et du Mississippi le climat et le paysage deviennent nettement tropicaux.
«Nouvelle France». Tout au long de cette longue route les noms des villes nous rappellent cette présence française: Saint Louis, Terre Haute, Louisville, Detroit... sans compter la Nouvelle-Orléans bien entendu. Cette ville est tout à fait à part, que ce soit dans l’Etat de Louisiane où dans le pays. Elle est d’abord tout à fait atypique en raison de son plan urbanistique hérité directement des Français, je parle ici du coeur de la ville, c’est à dire le vieux quartier où French Quarter situé au bord du Mississippi; ce lieu reste le centre touristique par excellence aux USA non seulement pour les étrangers mais aussi pour les Américains, pour la bonne raison qu’il est encore complètement non-Américain. En effet nul part ailleurs aux USA on ne peut trouver un endroit aussi différent, si exotique. Certes il s’agit de ce «vieux quartier» mais également de la mentalité qui y règne, de la vie qui s’y déroule comme un long tapis jamais usé, comme si par une sorte de miracle auquel personne ne prenait garde le tapis en question restait toujours aussi frais que lorsqu’il avait été installé. Ce quartier forme lui-même une enclave au sein de la ville, retranchée du reste, séparé de tout ce qui s’est construit après lui comme s’il s’était enfermé pour toujours pour échapper à tout ce qui se déchaînait à sa porte. Un des habitants de ce French Quarter me disait que ceux qui y habitent et qui y travaillent n’en sortent jamais que pour des raisons pratiques, par exemple un achat que l’on ne peut pas faire ailleurs; mais aucun de ces habitants n’envisagerait une seconde d’habiter hors de ce havre, non pas de paix mais d’incongruité. C’est plutôt cela le terme véritable: ce quartier est totalement incongru, jamais on ne s’attendrait à déboucher au détour d’une tour horrible de 50 étages sur un quartier de ce genre. Tout à coup on se trouve littéralement ailleurs. Comment, pourquoi, on n’en sait rien mais en trois secondes on est sur une autre planète.
Soudain disparus les atroces gratte-ciel sans âme, au loin les autoroutes à huit voies et leurs cortèges de voitures et de camions tonitruants, plus de trace du harcèlement publicitaire omniprésent, plus de trace non plus du clinquant et du bling bling de pacotille dont on est abreuvé où que l’on aille dans le pays. Au détour d’une rue on se retrouve tout à coup dans une ville, une vraie ville avec des rues étroites, une ville où il y a des piétons qui marchent dans les rues et sur les trottoirs, une ville où ils y a des gens qui s’interpellent dans la rue, où des diseuses de bonne aventure vous attirent sur un tabouret pour vous raconter votre vie, une ville où il y a des bistrots aux tables desquels on peut s’asseoir et discuter où bien regarder les passants. Bref une ville où la vie s’écoule comme un fleuve qui charrie le limon qui fécondera les rivages qui le bordent.
Les maisons sont basses, construites en briques, encadrées de balcons en fer forgé qui s’avancent souvent largement au-dessus des trottoirs, soutenus par des colonnettes qui descendent des toits pour venir se poser par terre, permettant ainsi aux passants de s’abriter des pluies soudaines, comme c’est le cas en ce moment lors de la saison des pluies... Les portes à double ventaux cachent souvent des cours intérieures envahies de plantes luxuriantes, qui suspendues aux plafonds comme des lustres, qui en pots posés à même le sol les uns à coté des autres, comme on en voit dans tous les pays tropicaux, des jardins intérieurs échappant au brouhaha de la rue, propices à la conversation où au farniente. Les façades sont souvent assez simples, parfois même banales car c’est seulement derrière leurs portes fermées que se révèlent les véritables trésors du quartier. Plus à l’Est du quartier français, à dix minutes à pied, se trouve un autre quartier, résidentiel celui-là. Les maisons y sont plus basses que dans le centre, construites principalement en bois, les façades peintes de couleurs vives, les fenêtres protégées de persiennes et des chaises en rotin souvent installées devant la façade de la maison de manière à profiter de se qui se passe dans la rue. Il règne dans ces petites rues mal éclairées le soir un silence et un calme reposant après l’agitation du centre ville, surtout rue Bourbon où se trouvent de nombreux bars dans lesquels la musique «on live» se déchaîne et se répand dans toute la rue. Il est certain, à mon avis, qu’il vaut mieux loger dans cette partie de la ville plutôt que dans le centre en raison du calme exquis qui y règne et de la vie «au ralenti» qui s’y déroule, comme un film muet d’avant guerre mais en couleur.
Lorsque l’on s’aventure dans la partie qui fût la plus touchée par Katrina en 2005, c’est à dire la partie située tout à fait à l’Est du quartier français, il faut sortir des grands axes pour voir encore des maisons en bois à l’abandon, recouvertes de plantes qui prennent possession des lieux. Ces maisons, pas aussi nombreuses que je ne le pensais, ont été abandonnées par leurs propriétaires qui souvent ne sont tout simplement pas revenus habiter la ville. Il parait que celle-ci a perdu la moitié de ses habitants depuis 2005. De nombreuses maisons ont été détruites et emportées par la tornade, d’autres furent abattues par la ville, mais d’autres encore furent restaurées où sont en train de l’être; on peut le deviner aux couleurs vives dont elles sont souvent repeintes en deux tons. Plus on se rapproche du quartier français moins on voit de traces du passage de la tornade. Les quartiers qui furent les plus touchés par Katrina sont des terrains qui se situent en-dessous du niveau de la mer, ce qui n’est pas le cas du quartier français. Cela explique pourquoi ce dernier ne connut pas le désastre de ses voisins, même s’il fut inondé en partie. En revanche, on reste un peu perplexe lorsque l’on voit des constructions nouvelles s’élever à l’endroit même où la catastrophe fût la plus sévère en raison de la dénivellation du terrain.
La Nouvelle-Orléans, où plus précisément le quartier français, lorsque l’on a déjà passé plusieurs mois aux USA, apparaît totalement surréaliste tant cette ville diffère de tout ce que l’on peut voir dans le reste du pays: les gens qui y vivent, les habitudes, la vie qu’on y mène, rien n’a son équivalent. C’est alors qu’on se demande comment tout cela a survécu aux ravages de la marchandisation généralisée qui sévit partout ailleurs. Pourquoi ce fléau s’est-il arrêté aux portes du quartier français ? Par quel miracle ?
La réponse serait-elle dans ce que m’a dit cette jeune femme charmante rencontrée dans un bar qui ne l’était pas moins ? Lorsque je lui demandais comment elle était arrivée là, elle m’a répondu: «je suis venu pour deux jours et je suis resté; cela fait vingt ans maintenant.» Et je suis certain qu’elle ne pourrait habiter nul part ailleurs aux USA. Cette opinion me fut confirmée par d’autres américains autochtones à qui je demandais s’il pourrait vivre ailleurs que dans cette ville; la réponse fût toujours la même: oui à l’étranger. En exagérant à peine, on pourrait émettre l’hypothèse que la Nouvelle Orléans est le refuge de tous ceux qui ne supportent plus de vivre ailleurs dans leurs pays mais qui ne veulent pas le quitter. Pour le moment. Ils finissent donc par atterrir ici avec leurs congénères ce qui fait que seuls des individus qui ne veulent pas que cela change peuplent le quartier, d’étranges bipèdes qui font tout ce qu’ils peuvent pour préserver ce qui existe, c’est à dire leur manière de vivre qui ne peut en aucun cas s’adapter à ce qui arrive partout ailleurs aux USA. En fin de compte la Nouvelle-Orléans est peut-être le seul refuge qui reste aux USA, en tant que ville, pour Américains refusant d’être transformés consommateurs, c’est à dire en produit de consommation eux-mêmes.
Où sinon dans le quartier français aurais-je pu voir, dans le bar cité plus haut, arriver un bonhomme, s’installant au bar où je me trouvais, commander un verre et se mettre à fumer une cigarette le plus naturellement du monde ? Inutile de dire qu’à NY on aurait appelé la Garde Nationale et que le type se serait retrouvé illico à Guatanamo pour attentat contre la santé des USA... sans parler de la sécurité évidemment !
Cela m’a rasséréné quelque peu... trop peu malheureusement.
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