dimanche 26 juillet 2009

Youngstown, Flint, les «shrinking cities» et le soit disant modèle urbain américain: quelle solution ?

Faîtes preuve d’imagination !

Imaginez que vous pesez 160 kg (oui, oui, je sais...).

Bon maintenant imaginez qu’en quelques jours vous perdiez tant de poids que vous finissiez à 80 kg.

Comment faire pour réadapter vos vêtements à votre nouvelle corpulence ?

C’est à peu près le problème que se posent une cinquantaine de villes aux USA aujourd’hui: celles que l’on appelle les «shrinking cities».


Généralement parlant les « shrinking cities » sont des villes qui font parties de la « rust belt », c’est à dire ces villes qui furent au coeur de l'essor industriel des USA à la fin du XIXeme et au début du XXeme siècle, puis qui ont décliné dés la fin des années cinquante pour finir par mourir dans les années 70, victime de la désindustrialisation du pays. C’est ainsi que nous pouvons citer Youngstown, Pittsburgh, Cleveland, Saint Louis, Flint, Detroit parmi beaucoup d’autres.

Toutes ces villes ont vu leur population se réduire de manière spectaculaire depuis trente ans en raison de la fermeture des industries qui les faisaient vivre. Les gens sont tout simplement partis en laissant leurs habitations derrière eux lorsqu’ils ne parvenaient pas à les vendre. C’est ainsi que certaines de ces villes ont pu perdre de 40 à 50% de leur population en quelques années, laissant derrière elles des quartiers entier abandonnés, des quartiers fantômes qui continuent à coûter des fortunes aux mairies en raison du fait que les services municipaux doivent maintenir l'éclairage de rues inhabitées et de collecter les poubelles pour les rares habitants restés sur place malgré le fait que plus de la moitié voire plus des maisons de leur quartier soient abandonnées. Celles-ci d’ailleurs finissent par devenir des lieux de ralliement pour les drogués où pour la prostitution.

D’où la question: comment faire pour réadapter le vêtement devenu trop grand?


Yougstown (Ohio) est la ville d’où est parti l’idée originale qui commence désormais à faire école aux USA pour régler ce problème.


Le 19 Septembre 1977 the « Youngstown Sheet and Tube’s Campbell Works » ferma ses portes du jour au lendemain laissant 5.000 personnes sur le carreau et mettant un terme à la principale activité de la ville depuis cent ans: la sidérurgie. Youngstown était la troisième ville des USA pour la production d’acier. Au cours des années suivant le «black Friday» 50.000 personnes perdirent leur emploi tandis que tous les fourneaux fermèrent les uns après les autres. Depuis, la vallée qui naguère se vantait d’avoir « Thirty Mills in Thirty Miles » n’en possède plus un seul, Youngstown a perdu la moitié de sa population, passée de 170.000 à 80.000, les saisies immobilières sont montées jusqu’au ciel, les impôts impayés également. Mais cela a eu d’autres conséquences. Aujourd’hui seuls 10% des résidents de Youngstown possèdent un «Bachelor’s degree» et seulement la moitié d’entre eux ont du travail. De plus on estime qu’environ 35% des habitants de Yougstown sont illettrés, ce qui reflète assez bien ce qu’on appelle aux USA une « National crisis in literacy ». Cela engendre de grandes difficultés à trouver du travail, et lorsque cela arrive les salaires sont généralement parmi les plus bas. Il n’est donc pas étonnant que le taux de criminalité et de délinquance soit parmi les plus élevés du pays.

Pendant des années l’objectif des autorités de la ville fût de redonner à la ville sa gloire passée, c’est à dire de faire en sorte qu’elle se repeuple à son niveau « d’avant » grâce à des implantations diverses d’industries et autres sociétés. En réalité jamais rien ne se concrétisa et la ville continua de sombrer jusqu’au jour où l’ancienne génération disparut et fut remplacée par des individus plus jeunes, c’est à dire des gens qui, n’ayant pas connu l’âge d’or de la ville, ne cherchèrent pas à lui redonner son lustre passé à l’aide de la croissance à tout prix mais au contraire prirent acte de la situation. Youngstown était devenue une petite ville et il fallait en prendre son parti. Il fallait la restructurer en fonction de cette nouvelle donne. D’où le plan (Yougstown 2010) de réduire la taille de la cité et tenter de redonner vie au centre de la ville, complètement déserté et abandonné, au lieu de vouloir à tout prix repeupler les quartiers vidés depuis trente ans.


C’est ainsi que des quartiers entiers sont en train d’être rasé à coup de bulldozers (2000 maisons doivent rasées l’année prochaine) et transformés en parcs où laissés à l’état de nature; plus de 1000 bâtiments ont été démolis jusqu’à maintenant. De plus la mairie offre $50.000 aux survivants de l’exode général afin de les encourager à déménager d’un quartiers promis à la démolition dans un de ceux où la mairie tente de regrouper le maximum de gens. De même en ce qui concerne le centre ville la mairie a déjà abattu de très nombreux immeubles en ruine où abandonnés, les rues ont été nettoyées et réaménagées de manière à attirer la population dans le centre.


Flint (Michigan) est une autre ville emblématique des « shrinking cities ». L’exemple est différent de celui de Youngstown en ce sens que l’industrie qui fit les beaux jours de la ville n’était pas la sidérurgie mais l’automobile.

Flint est synonyme de GM. C’est à Flint que GM avait son siège, c’est à Flint que GM employait 78.000 personnes au début des années 80 au moment de son apogée. C’est à Flint encore que GM avait un complexe industriel nommé « Buick City » réparti sur 80 hectares environ (235 acres), une véritable ville dans la ville, dans laquelle travaillaient 25.000 personnes. Aujourd’hui GM n’emploie plus que 8.000 personnes. Au moment de sa gloire Flint comptait 230.000 habitants; aujourd’hui il en reste 100.000 et plus d’un tiers des maisons sont vides et abandonnées. Déjà plus de 1000 maisons à l’abandon ont été détruites.


Mais contrairement à Youngstown rien n’est encore décidé et aucun plan n’a encore été accepté. En réalité il y a encore beaucoup de politiciens où responsables municipaux, sans parler des habitants eux-mêmes, qui ne parviennent pas à se faire à l’idée de réduire la taille de leur ville en démolissant des maisons pour laisser la place à des champs où à des terrains où la nature a repris ses droits. La controverse a lieu en ce moment même et on ne peut savoir quel en sera le résultat, et ce d’autant moins que la crise n’aide pas à résoudre le problème puisqu’elle provoque encore plus de chômage, et donc plus de charges pour les villes et les Comtés dont les finances sont loin d’être florissantes. C’est un euphémisme. Cela dit réduire la taille des villes qui ont perdu leur population est dans l’air du temps, surtout depuis que le Président Obama a confié à Dan Kildee, trésorier du Genesee County et ardent promoteur du plan en question, le soin de faire la même chose dans les 50 autres villes les plus importantes concernées par ce problème aux USA. Mais pour le moment ce sont des effets d’annonces et rien n’a encore démarré à l’exception de Youngstown qui montre la voie.


Parlons-en.

Le centre ville de Youngston ressemble à n’importe quel centre d’une agglomération aux USA; c’est à dire à rien. Où plutôt à des immeubles paniqués qui tenteraient d’échapper au cannibalisme débridée des routes extra larges qui tentent d’avaler le moindre espace qui ne leur ait pas encore été cédé. En revanche le centre de Youngstown a quelque chose de particulier: en effet les trottoirs sont en état, on a ajouté des fleurs et des arbres au milieu des avenues pour en réduire la largeur, on a aménagé des passages pour piétons afin de leur permettre de traverser les avenues sans risquer la mort à chaque pas, on a réaménagé les immeubles échappés à la destruction, il y a une quantité extraordinaires de parkings et enfin il y a un grand nombre d’espaces vides entre les bâtiments survivants. Mais il manque quelque chose à cette description: il n’y a absolument personne! Lorsque j’y étais Samedi dernier dans l’après-midi tout était vide; si j’y ai croisé 4 voitures ce serait bien le bout du monde et si j’y ai vu une dizaine de personnes ce serait le maximum. j’aurais très bien pu m’asseoir au milieu de Main Street et engager une partie d’échec sans craindre de devoir dégager les lieux avant de l’avoir terminer. En bref c’était tragiquement mort et sinistre. Pourtant me direz-vous beaucoup d’améliorations ont été apportées! Oui des améliorations de façade, c’est le cas de le dire, mais certainement pas de celles qui attirent un humain pour y passer du temps et encore moins pour y habiter.


Je fais le pari que n’importe quel humain logé dans le centre de Youngstown sans voiture mourrait de faim au bout d’une semaine. Pas de soif car il y aurait malgré tout l’eau de la ville. En revanche pour trouver le moindre morceau de pain où le plus quelconque des hamburgers il n’y a aucun choix sinon faire 5 où 6 miles en voiture, c’est à dire se rendre dans un de ces centres commerciaux qui se trouvent à l’entrée de toute agglomération US qui se respecte, s’étendant sur des millions de mètres carrés. C’est d’ailleurs là que se trouvent les restaurants, les garages et tout ce dont on a besoin pour survivre. Mais dans le centre de Youngstown il n’y a rien qui permette de survivre, et encore moins de vivre évidemment puisque cela n’a même jamais été envisagé par quiconque. De toute manière il faudrait encore que quelqu’un ait une vague idée de ce que cela pourrait bien signifier. Pour le moment donc, et bien que ce soit entretenu et en bon état, et malgré les incitations municipales, personne n’a manifesté la volonté de venir s’y installer. On comprend !


Quant aux quartiers situés en dehors du centre c’est une autre histoire. Effectivement on peut se balader longtemps au milieu de quartiers complètement abandonnés, dont les maisons sont murées, bien qu’il y ait de nombreuses exceptions, des maisons en plus où moins bon état, certaines déjà ruinées, les gouttières pendant le long des murs, les portes arrachées de leurs gonds ou les fenêtres brisées. Ce serait l’endroit parfait pour tourner un film dont le sujet serait une ville dont les habitants auraient été décimés par une épidémie de grippe porcine il y a des années, genre « retour vers le futur ». Aucune trace d’hommes et pourtant on le sentait partout, et pour cause; des chaises sur un balcon, une voiture laissée devant la porte, des poubelles oubliées sur un trottoir, une tondeuse abandonnée devant le garage, tout cela désormais envahi par les herbes, les ronces où même des arbres.

Et puis au détour d’un coin de rue, tout à coup il n’y a plus de maisons du tout, à part une où deux aussi esseulées que deux dents au milieu d’une bouche qui n’en contiendrait plus d’autres. Cela fait une impression étrange car il est évident que ces maisons n’ont pas été conçues pour rester isolées, que tous ces bouts de rues ne furent pas crées pour aboutir à rien, c’est à dire à un cul de sac au-delà duquel on se retrouve dans une espèce de terrain vague colonisé par des arbustes et des broussailles. Même les animaux semblaient avoir déserter l’endroit car je n’en n’ai vu aucun à l’exception des oiseaux. Je peux les comprendre car au bout d’un certain temps passé là-dedans on n’a plus qu’une envie: foutre le camps le plus vite possible.


Si ces quartiers abandonnés risquent la désintégration rapide, même sans intervention humaine, les anciennes usines et autres fourneaux (en partie rasés), les montagnes de matériel démonté et les stocks de tubes d’acier en train de rouiller à l’air libre semblent un peu plus résistants que les habitations. Non pas qu’ils dureront quatre mille ans comme les pyramides d’Egypte, mais peut-être bien suffisamment longtemps pour nous faire honte vis à vis de nos successeurs, s’il y en a...

D’immenses structures en ferrailles tordues, d’énormes bâtiments en briques aux toits métalliques rouillés, des montagnes de morceaux de ferrailles aux formes monstrueuses dont je serais bien en peine de dire à quoi cela pouvait bien servir, des camion de toute formes ressemblant à de féroces monstres ante-diluviens, des dizaines de grues géantes alignées les unes à coté des autres mais auxquelles on a retirée leurs pelles, ressemblant désormais à des éléphants sans trompes, des montagnes de pneus de tailles si grandes qu’on se demande à quel genre d’engins ils pouvaient être destinés, sans compter tout le reste. On reste un peu abasourdi face à cette débauche insensée de matériels qui paraissent sortis tout droit du cerveau malade d’un démon de la pire espèce. C’est là que prend toute sa force et toute son acuité la pensée que cette pseudo civilisation que nous connaissons depuis deux cent ans ne peut être qu’un accident monstrueux. C’est curieusement confronté à ce que nous laissons déjà derrière nous que nous pouvons réaliser à quel point nous avons fait fausse route. Rien n’est plus frappant que ces déchets qui pourtant faisaient notre fierté lorsqu’ils étaient en état de marche, car rien n’est plus hideux ni plus révulsif; rien ne peut soulever plus d’effroi que la contemplation de ce spectacle de la ruine de nos rêves de singes mégalomanes.

Imaginons dans quelques siècles la découverte par des explorateurs de nos déchets si prisés au milieu des forêts. Quels seraient leurs sentiments face à ces horreurs ? A contrario quels furent les sentiments de ceux qui découvrirent Angkor Vat au XIXeme ?

Je parie que ce ne seront pas les mêmes...

Malraux avait dit: « notre civilisation ne laissera aucunes ruines derrière elle; elle ne laissera que des déchets. »

Nous y sommes.


A Flint en revanche il n’y a plus d’usines. En effet la fameuse « Buick City » a été rasée peu après sa fermeture définitive en 1999, c’est à dire en 2002. A la place il ne reste qu’un immense espace (80 hectares environ) dont le sol est bétonné et à travers les plaques disjointes duquel poussent des arbustes et des plantes, un espace clos de hautes barrières grillagées attendant un repreneur avec l’espoir que cela reparte comme avant... La partie Sud de ce terrain a été lotie il y a quelques années d’un grand nombre de maison assez luxueuses destinées à la classe moyenne, celle qui avait la faveur des banques car ils étaient réputés être des emprunteurs sûrs. En bref ces gens dont les emprunts sont appelés « prime » et dont la crise, bien plus grave que celle des « subprime », est imminente car nombre d’entre eux, par la perte de leur emploi, sont aujourd’hui pris à la gorge et ne peuvent plus rembourser leurs crédits. Il y a quelques jours, lorsque j’y étais, la mairie plaçait beaucoup d’espoir sur un groupe de logistique qui serait tenté de reprendre l’ex « Buick City » pour en faire son hub pour l’Amérique du Nord. Et la municipalité de vanter l’opportunité merveilleuse pour la ville et bla bla bla.... Occasion si fantastique que cela pourrait mener à la création de... 600 emplois ! Quel progrès là où il y en avait 25.000 dans le même espace il y a quelques années !


A Flint il n’y a que des quartiers à moitié abandonnés, c’est à dire toujours en partie habités et par conséquent en meilleur état que ceux de Youngstown bien que de nombreuses rues ne soient pas goudronnées et que les infrastructures ne soient plus entretenues, où alors au minimum. Malgré leur pauvreté les habitants de ces zones en voie de destruction, en partant du principe que le plan de réduction de la ville soit adopté, tentent toujours de maintenir les abords de leurs maisons le plus proprement possible. Il est rare par exemple de voir des pelouses non tondues, même dans les zones les plus déshéritées. Malgré un des taux de criminalité les plus élevés des USA on ne se sent pas en danger en se baladant dans ces rues; peut-être parce-que malgré tout la vie y est encore présente et qu’il y reste encore un peu d’humanité, ce qui n’empêche nullement de se faire attaquer mais on ne se sent pas menacé. Ce qui n’était pas le cas dans les rues vides de Youngstown où on se sentait carrément mal à l’aise.

Le centre de Flint est lui aussi, malheureusement faudrait-il dire, l’objet de l’attention de la mairie. Les immeubles sont ripolinés, les parkings agrandis, quelques immeubles de bureaux convertis en condominiums, mais là encore nulle trace de magasins, d’épiceries où autres commerces de proximité comme on dit chez nous... En semaine le centre ville est plus actif que celui de Yougstown, bien que ce soit exclusivement une activité de bureaux. Mais au moins il y avait là quelques restaurants et endroits où il était possible de se restaurer même si cela n’est certainement pas suffisant pour permettre d’y vivre. Toujours la même équation: sans voitures on meurt.


En réalité tout le problème d’urbanisme, non seulement de ces villes, Yougstown où Flint, mais de toutes les autres, tout est résumé dans ce seul mot: voiture. Toutes les agglomérations aux USA se sont construites depuis quarante ans par l’évacuation des centre villes au profit des banlieues. Ces banlieues furent à leur tour construites selon un schéma qui séparait rigoureusement les zones d’habitation toujours plus étendues des zones dîtes commerciales. Ce qui aboutit au bout du compte à ne pas pouvoir se passer de sa voiture quel que soit le cas de figure. On a besoin de sa voiture pour aller travailler et on en a besoin pour acheter quoi que ce soit, qu’il s’agisse d’un timbre poste où d’une bouteille d’eau où encore d’une ... voiture. Dans ces immenses banlieues hypertrophiées rien ne peut se faire sans voiture car d’une part il n’existe pas de transport en commun et d’autre part il est impossible de rien faire à pied car tout est beaucoup trop loin.


De plus cette hypertrophie des banlieues a eu pour résultat de rendre impossible la création d’un tissu social minimum; de fait les liens entre voisins, où habitants d’une même rue, voire d’un même quartier sont quasiment inexistants; ils sont complètement étrangers les uns aux autres pour la simple raison qu’il n’y a plus ni rue ni quartier; il n’y a que des sortes de routes, bien entretenues certes, au bord desquelles s’étendent à l’infini des maisons très espacées les unes par rapport aux autres. Tous ces gens agglomérés les uns à proximité des autres ne constituent, encore une fois, qu’un agrégat de particules élémentaires que rien ne maintient ensemble. Combien de fois n’ai-je pas entendu des américains disant qu’ils ne connaissaient pas leurs voisins les plus immédiats. Combien de fois n’ai-je pas entendu parler de l’inconvénient d’avoir des nouveaux venus tous les deux où trois ans, repartant ailleurs une paire d’année après leur arrivée, sans qu’on ait jamais su qui ils étaient. Comment dans ce contexte créer une communauté, comment tisser des liens entre les habitants d’un même quartier, comment créer un intérêt, sans parler de responsabilité, chez les habitants pour une agglomération dans laquelle ils ne vivront pas plus de deux où trois ans ? Même les endroits publics où l’on pouvait se rencontrer et où l’on discutait de tout et de rien (avant la guerre 39-45) y compris de la commune, ont soit disparu là où ils existaient (dans les anciens centre-ville), soit ils n’ont jamais été planifiés dans les banlieues et encore moins dans ces centres commerciaux géants où il est impossible de rencontrer qui que ce soit.


Peut-être que le plan «Youngstown 2010» parviendra à résoudre un des problèmes auquel les «shrinking cities» doivent faire face, c’est à dire se débarrasser des quartiers inhabités. Mais ce sera bien le seul car les problèmes qui concernent le modèle US de développement urbain où suburbain, eux, ne seront pas résolus par ce plan. D’ailleurs ils ne sont même pas envisagés d’une manière où d’une autre. La racine de ce désastre qui touche pratiquement toutes les villes US est la dépendance totale de tout le système à une énergie abondante et bon marché; c’est à dire par ricochet à l’automobile. Si demain, pour une raison où une autre, il y a une pénurie de pétrole où encore si le prix du baril augmente comme il y a un an à plus de $150 le baril pour ne plus redescendre, c’est la famine assurée dans le pays (non ce n’est pas une exagération car l’agriculture US est la première dépendante de l’énergie bon marché).

Rien n’est fait pour tenter de se dégager de cette dépendance. Donnons quelques exemples qui sont généralement pris en considération par tout urbaniste digne de ce nom de nos jours: il n’est nullement envisagé dans ce plan de regrouper des habitations autour d’un centre où chacun pourrait aller à pied (pas plus de 10 minutes); il n’est pas prévu de transport en commun pour relier des agglomérations entre elles où simplement différents quartiers d’une même ville pour éviter de prendre une voiture pour acheter un bouton de pantalon. Dans ce qu’on appelle les centre-ville il n’est pas envisagé trente secondes de créer des zones piétonnières, de réduire la largeur démesurée des boulevards ni de créer une hiérarchie d’avenues, de rues et de ruelles où la circulation des voitures seraient de plus en plus limitées jusqu’à laisser la place aux piétons. Il n’est pas question non plus de mélanger les habitations, les petits commerces et les bureaux de manière à attirer une population diverses socialement et aux intérêts multiples. De même rien n’a été prévu pour augmenter la densité de la population au centre des villes par la création d’habitations de tailles et de conceptions variés afin d’éviter l’uniformité générale, sans parler du remplacement de la laideur ambiante par des architectures plus attrayantes ce qui ne serait vraiment pas du luxe superflu car, loin d’être une fantaisie plus ou moins romantique, cela a une influence réelle sur les habitants. Pour s’en convaincre il suffit de rester quelques temps dans une cité où dans «une boîte à habiter» pour reprendre l’expression de Le Corbusier. N’oubliez pas les prozac!


En conclusion c’est tout le modèle des agglomérations et des «suburbs» US qui est à revoir de fond en comble. Mais cela ne pourra être efficace que si un changement des mentalités se produit. Et cela doit passer par deux étapes principales.

La première est l’abandon de cette notion de «croissance» à tout prix, c’est à dire la fin du gigantisme comme preuve de succès. En clair une correction radicale de la mégalomanie ambiante. C’est ce qui fut à l’origine du retard pris par les «shrinking cities» pour se remettre en cause car les autorité visaient d’abord un retour à leur splendeur passée, refusant de prendre en compte la réalité parce-que cela aurait constitué un aveu d’échec.

La seconde étapes est la prise de conscience du danger de ce modèle US de développement des suburbs et des centres commerciaux. Rien ne pourra se faire d’utile sans la prise de conscience que ce modèle n’est pas soutenable, non pas seulement écologiquement, mais aussi économiquement et socialement.

Jusqu’à aujourd’hui, et d’après ce que j’ai pu constater sur place, seule la première étape est en train de se mettre en place, bien que très lentement. Quant à la seconde elle n’a de réalité que dans les cerveaux très minoritaires de certains bien plus lucides que tous les autres mais dont les avertissements pertinents sont largement ignorés par les gouvernants. Pour le moment pourrions-nous dire mais lorsqu’ils le seront peut-être sera t’il trop tard.

Il est probablement déjà trop tard. Car le facteur décisif désormais c’est la crise dont les ravages n’en sont qu’à leurs débuts. Il suffit pour s’en convaincre de voir à quel point les budgets des Etats fédérés sont déficitaires et comment ceux-ci n’ont d’autres solutions que de couper drastiquement dans leurs dépenses, notamment dans les domaines sociaux, médicaux, policiers ou éducatifs. Ce qui provoque déjà des conséquences sociales catastrophiques. Dans ces conditions comment imaginer pouvoir débloquer des fonds pour restructurer des agglomérations entières alors qu’on est en situation de faillite, obligé de fermer les écoles, de libérer des prisonniers pour alléger les coûts des prisons tandis que dans le même temps on licencie des officiers de police par dizaines ?

Si la crise s’approfondit comme tout le laisse penser, si de surcroît l’énergie devient moins bon marché comme tout le laisse penser, alors il est à craindre que la restructuration des agglomérations US ne se fasse d’elle-même, sans budget et sans plan urbanistique, comme cela s’est déjà produit dans les « shrinking cities ».

On en connaît le résultat.


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